Transparence biologique et «droit du sang»

Les reports continuels de la révision de la loi de bioéthique de 2004 -elle aurait dû l'être en 2009- ont pour conséquence le développement exponentiel de polémiques inattendues. A commencer par celle, éclairante, sur le maintien ou la levée de l'anonymat des donneurs de sperme et d'ovocytes; une polémique qui voit s'affronter, parfois de manière violente, partisans et adversaire du «tout génétique» dans le domaine de la filiation. Un camp estime qu'il faut en finir avec l'hypocrisie que constitue l'anonymat de celui/celle qui fait don des ses cellules sexuelles pour un couple dont l'homme/la femme souffre de stérilité. Il invoque notamment les souffrances des enfants ainsi conçus, victimes d'un «kidnapping» d'une partie de leurs origines biologiques. Les membres du camp adverse soulignent quant à eux que vouloir imposer une transparence biologique dans le domaine de la filiation est ni plus ni moins qu'une hérésie, la filiation étant avant tout éminemment «sociale». Ils ajoutent que le primat donné au «biologique» sur le «social» aurait pour conséquence de menacer la pratique de l'accouchement «sous X» et plus généralement celle de l'adoption. Ce primat instituerait au final le retour du droit «du sang» sur celui «du sol». Cette polémique vient ainsi réactiver quelques questions essentielles. Ne sommes que la somme de nos gènes? Le législateur se doit-il d'organiser la prééminence de l'inné sur l'acquis. On se souvient que dans ce domaine Nicolas Sarkozy n'avait pas fait mystère, dans les colonnes de Philosophie Magazine de ses convictions personnelles quand au poids du génétique, de l'hérédité, de l'inné: «J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1. 200 ou 1. 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs: certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense.» Et force est bien d'observer que dans le domaine particulier de la filiation le «tout génétique» ne cesse de progresser. En témoigne le recours croissant aux techniques de recherche en paternité qui permettent -le plus généralement à un homme- de savoir s'il est bien le père biologique de l'enfant qui porte son nom. Autre élément d'actualité éclairant, le récent «amendement Mariani» autorisant les prélèvements ADN destinés à prouver la filiation dans le cadre du regroupement familial; amendement voté mais resté lettre morte. Le psychanalyste «lacanien» Jean-Pierre Winter (nullement «homophobe» mais radicalement opposé à l'«homoparentalité») revient sur cette initiative dans son dernier ouvrage Homoparenté. «Sous couvert d'éviter des abus l'examen génétique a pour effet de réduire la filiation à sa part biologique», écrit-il. Il estime plus généralement que la somme des contradictions dans ce domaine nous conduit collectivement dans une impasse «parce qu'on ne sait plus dire ce qui constitue réellement un lien de filiation que, dans les faits, on a déjà cassé». Tout comme dans le cas des mères porteuses, la question de la levée de l'anonymat des donneurs de sperme divise les familles politiques mais aussi le corps médical, les psychanalystes comme les spécialistes des différentes sciences humaines concernées. L'actuel projet de loi de révision de la loi de bioéthique (qui avait été porté par Roselyne Bachelot lorsqu'elle était ministre de la Santé) entrouvre la porte à une possible levée de cet anonymat. Bachelot argue ici de la nécessité de «responsabiliser les donneurs» (comprenne qui le pourra). Réplique immédiate: le député (UMP) Jean Leonetti, qui avait dirigé la rédaction du rapport parlementaire sur la bioéthique publié en janvier 2010 (et concluant à la nécessité du maintien du statu quo consacré à la fois par le code civil et par le code de la santé publique) fait savoir qu'il fera tout pour s'opposer à cette disposition. Fin octobre il expliquait sa position dans les colonnes du quotidien La Croix :