Les obsèques nationales, une chance pour la diplomatie

par Alastair Macdonald LONDRES (Reuters) - Nelson Mandela pourrait encore contribuer à la paix à l'occasion des cérémonies organisées à sa mémoire, auxquelles une centaine de chefs d'Etat et de gouvernement doivent assister aujourd'hui au Soccer City Stadium de Johannesburg. Les obsèques des grands de ce monde ont souvent donné lieu à des percées diplomatiques et celles de l'ancien président sud-africain pourraient ne pas faire exception, bien que tous les dirigeants attendus ne soient pas prêts à se serrer la main. "Cela bouleverse leur emploi du temps, ils peuvent donc improviser. Tout le monde fait des offres", assure David Owen, qui a assisté à plusieurs funérailles de chefs d'Etats à la fin des années 70 en tant que ministre britannique des Affaires étrangères. A Johannesburg, Barack Obama côtoiera notamment son homologue cubain Raul Castro. Le président iranien Hassan Rohani, dont l'investiture en août a été suivie d'un spectaculaire réchauffement entre Téhéran et Washington, était également annoncé, mais sa présence est désormais douteuse. Pour d'autres, comme le Zimbabwéen Robert Mugabe, de tels événements permettent d'échapper provisoirement aux sanctions internationales. Les conseillers du Prince Charles, qui représentera la Grande-Bretagne à Johannesburg, s'efforceront d'éviter cette fois qu'il ne lui serre la main par inadvertance, comme ce fut le cas lors des obsèques du pape Jean Paul II, en 2005. "Il y a beaucoup de gens qui veulent être photographiés avec quelqu'un qui n'en a pas très envie", poursuit David Owen. Lui-même dut s'interposer entre l'héritier de la couronne britannique et le président ougandais Idi Amin Dada lors des obsèques du président kényan Jomo Kenyatta, en 1978. "Il a bien essayé et je l'en ai bien empêché", dit-il, évoquant la photo que la délégation britannique voulait par-dessus tout éviter. Avant l'événement, la décision d'y assister ou non fait souvent l'objet de calculs diplomatiques complexes. Barack Obama, premier président noir de son pays tout comme Mandela, sera à la tête d'une importante délégation qui traduit l'estime de Washington pour le héros de la lutte contre l'apartheid. INDICES Certains ont toutefois saisi l'occasion pour reprocher à nouveau au locataire de la Maison blanche de ne pas avoir assisté aux obsèques de l'ex-chef du gouvernement britannique Margaret Thatcher, en avril. Quand Hosni Moubarak se rendit en Israël pour les funérailles du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, certains Israéliens lui reprochèrent de ne pas l'avoir fait avant cette funeste occasion, pour le bien du processus de paix. Jimmy Carter, qui accompagne Barack Obama à Johannesburg avec deux autres anciens présidents américains, s'est pour sa part vu reprocher d'avoir porté atteinte à l'influence des Etats-Unis en Yougoslavie en envoyant sa mère le représenter à l'enterrement de Tito, en 1980. L'initiative lui avait alors permis d'échapper à une rencontre avec Léonid Brejnev, numéro un d'une Union soviétique qui venait d'envahir l'Afghanistan. La mort du maître de l'URSS, deux ans plus tard, allait marquer le début d'une série de cérémonies funèbres sur la place Rouge. "Comment pourrais-je parvenir à quelque chose avec les Russes s'ils continuent à mourir comme ça ?", se serait demandé Ronald Reagan après la troisième. Au plus fort de la Guerre Froide, ces obsèques levaient alors un coin du voile sur les coulisses du Kremlin. Ainsi George Bush, alors vice-président de Ronald Reagan, y fit la connaissance Mikhaïl Gorbatchev en 1985, qui allait ouvrir la voie quelques années plus tard au démantèlement de l'Union soviétique. L'année précédente, les obsèques de Iouri Andropov avaient montré tout le potentiel de ces cérémonies funèbres. Lorsque David Owen, chirurgien de formation, présenta ses condoléances à Constantin Tchernenko, successeur désigné d'Andropov, il perçut un sifflement provenant de sa poitrine et diagnostiqua un emphysème. "Je fit le tour du monde à une vitesse que je ne croyais pas possible. Le diagnostic était exact et c'était le signe, je crois, qu'il ne tiendrait pas longtemps", se souvient le diplomate. Treize mois plus tard, Gorbatchev présidait les obsèques de Tchernenko. Jean-Philippe Lefief pour le service français