Les chefs d'entreprise iraniens espèrent la fin des sanctions

par Andrew Torchia DUBAÏ (Reuters) - Les hommes d'affaires iraniens, après avoir subi pendant des années les "effets collatéraux" du programme nucléaire de Téhéran, osent espérer que les sanctions imposées à leur pays seront levées et qu'à terme un accord global lui permettra de réintégrer le système financier et commercial international. L'hypothèse d'un règlement du conflit autour du nucléaire iranien a fait naître un optimisme prudent parmi les chefs d'entreprise, notamment ceux installés à Dubaï, carrefour traditionnel des transactions commerciales iraniennes. L'espoir est né d'abord de l'élection en juin à la présidence iranienne d'un religieux considéré comme modéré, Hassan Rohani, puis des signes d'ouverture esquissés par ce dernier, auxquels les Occidentaux, et notamment les Etats-Unis, ont rapidement répondu. A Dubaï, l'Iranian Business Council a perdu les deux tiers de ses membres depuis l'instauration des sanctions, mais le fondateur de cette association d'hommes d'affaires vient de sonner le rappel des troupes. "Nous suggérons à nos membres de se préparer à l'éventuelle levée d'une partie des obstacles au commerce entre les Emirats arabes unis et l'Iran", a déclaré Asrar Haghighi. Avec ses 75 millions d'habitants, l'Iran serait la plus importante puissance économique à rejoindre le concert des nations depuis la chute du communisme en Europe de l'Est. "Les possibilités en matière commerciale sont immenses : une population jeune et éduquée, une société basée sur le crédit avec une énorme demande insatisfaite pour toutes sortes de choses, des raffineries aux usines chimiques, en passant par le logement et les infrastructures de base", note Emad Mostaque, un analyste de NOAH Capital à Londres. ENTHOUSIASME RETENU L'enthousiasme encore retenu est à la hauteur de l'impact réel qu'ont provoqué les sanctions en Iran, autant sur les échanges commerciaux avec l'extérieur que sur l'activité intérieure. Les exportations de pétrole iranien ont été divisées par deux depuis 2011, une perte sèche estimée à 40 milliards de dollars, sans compter le manque de financement pour entretenir et rénover les équipements pétroliers. L'Iran a pratiquement disparu des radars dans le système bancaire mondial, et les liaisons maritimes avec le pays ont été sérieusement affectées. Pour le marché intérieur, les autorités ne livrent qu'au compte-gouttes des chiffres. Mais la formation brute de capital fixe, qui mesure les investissements tant privés que publics, a diminué de 19,4% entre mars et décembre 2012 par rapport à la période similaire de 2011. Soit une chute d'environ 35 milliards de dollars au cours du rial sur le marché libre. En fin connaisseur du climat des affaires dans la région, Asrar Haghighi estime que le seul changement de ton enregistré entre Téhéran et les Occidentaux devrait permettre une timide reprise des échanges, avant même une levée partielle des sanctions. Il en veut pour preuve la remontée du rial par rapport au dollar depuis l'élection de Rohani, alors que la monnaie iranienne avait perdu les deux tiers de sa valeur par rapport au billet vert. Les chefs d'entreprise, qu'ils soient iraniens ou étrangers, ne s'attendent pas à une suppression totale des sanctions, mais tablent sur une levée très progressive, en commençant par des secteurs mineurs, comme la vente de matériel de communication ou de logiciels. Les Etats-Unis garderaient alors jusqu'à un accord global la levée des mesures frappant les secteurs sensibles, comme les banques. PEUGEOT ET RENAULT BIEN PLACÉS L'Union européenne, où les tribunaux ont dans certains cas jugé inappropriées certains sanctions prises contre l'Iran, pourrait devancer Washington dans son rapprochement avec Téhéran, Barack Obama risquant de devoir batailler sur ce sujet au Congrès avec les républicains. "Il ne faut pas sous-estimer l'intérêt bien senti de l'Occident. Les premiers de retour en Iran peuvent s'attendre à être récompensés en conséquence", fait remarquer Mehrdad Emadi, un économiste né en Iran. A ce jeu, les deux grands fabricants automobiles français, Peugeot et Renault seront particulièrement bien placés s'ils parviennent à rebâtir les réseaux créés dans le passé en Iran. En renonçant à l'exportation vers l'Iran de ses véhicules "en kit", Peugeot a fait une croix sur près de 10% de ses livraisons mondiales. Et il ne lui sera pas facile de reconstituer la chaîne de production. Selon un porte-parole de la société, les équipes travaillant sur le projet ont été réaffectées à d'autres tâches et les sous-traitants ont probablement fait de même. Renault a de son côté effectué une provision de 512 millions d'euros pour compenser l'impact pour l'entreprise du durcissement des sanctions. Dubaï, situé à 150 km des côtes iraniennes, figurerait parmi les premiers bénéficiaires du retour en grâce de l'Iran. La communauté iranienne représente 10% de la population de l'émirat. D'autres pays, en revanche, risquent de pâtir d'une levée des sanctions, eux qui avaient profité de l'isolement partiel de l'Iran. Le Pakistan et l'Irak s'étaient ainsi substitués aux circuits commerciaux traditionnels. L'Arabie saoudite, qui a augmenté sa production de pétrole pour compenser la baisse des livraisons iraniennes, serait probablement contrainte de réduire la voilure. Avec Gilles Guillaume à Paris, Pascal Liétout pour le service français, édité par Gilles Trequesser