Le tunnel sous le Bosphore, rêve des sultans ottomans

La Turquie ouvre ce mardi à Istanbul le premier tunnel ferroviaire sous-marin reliant deux continents, l'Europe et l'Asie. Le Marmaray transportera par métro des voyageurs d'une rive à l'autre de l'ancienne Constantinople, avant d'accueillir plus tard le fret ferroviaire et les TGV. /Photo prise le 29 octobre 2013/REUTERS/Murad Sezer

par Ayla Jean Yackley ISTANBUL (Reuters) - La Turquie a inauguré mardi à Istanbul le premier tunnel ferroviaire sous-marin reliant deux continents, l'Europe et l'Asie, permettant ainsi au Premier ministre conservateur Recep Tayyip Erdogan de réaliser un rêve des sultans ottomans. Long de 13 km et situé à soixante mètres de profondeur sous le détroit du Bosphore, le Marmaray transportera par métro des voyageurs d'une rive à l'autre de l'ancienne Constantinople, avant d'accueillir plus tard le fret ferroviaire et les TGV. "Nous réalisons aujourd'hui un rêve vieux de 150 ans, en unissant les deux continents et les peuples de ces deux continents", a déclaré Erdogan lors de l'inauguration programmée pour coïncider avec le 90e anniversaire de la République turque. D'un coût de 5,5 milliards de livres turques (2,03 milliards d'euros), le tunnel faisait partie des "méga projets" voulus par Recep Tayyip Erdogan pour modifier en profondeur l'image de la Turquie. Le Premier ministre, au pouvoir depuis 2002, souhaite également percer un canal de 50 km de long pour rivaliser avec celui de Suez, et qui aurait pour effet de transformer en île la moitié d'Istanbul. Parmi ses "projets pharaoniques", appelés ainsi par l'opposition, figurent aussi le plus grand aéroport au monde et une mosquée immense dominant la ville sur les hauteurs. Plusieurs centrales électriques sont en outre à l'étude et un troisième pont sur le Bosphore, qui a déjà nécessité l'abattage d'un million d'arbres, est en cours d'édification. MODE DE GOUVERNEMENT AUTORITAIRE Pour les opposants au Premier ministre, ces programmes ne sont que l'expression d'un mode de gouvernement autoritaire, montrant le peu de cas que fait Erdogan de la protection de l'environnement. C'est sur ce thème qu'ont débuté les manifestations du printemps dernier, provoquées par les menaces entourant l'un des rares espaces verts de la ville. Cette protestation s'est ensuite transformée en un vaste mouvement d'hostilité contre le gouvernement. Les adversaires du Premier ministre, qui bénéficie toujours d'un fort soutien populaire après plus de dix ans de pouvoir, l'accusent d'ignorer les aménageurs urbains et de rayer d'un trait l'histoire à coups de bulldozer pour satisfaire ses goûts de grandeur. Erdogan répond que sa politique répond aux besoins d'une population de plus en plus importante et de plus en plus aisée. "Les routes, c'est la civilisation", assure-t-il. "Nos valeurs ne connaissent aucun obstacle face aux routes. Si une mosquée se trouve sur le tracé d'une route, nous détruirons cette mosquée et la reconstruirons ailleurs". Le Marmaray était "le rêve de nos ancêtres", ajoute-t-il. LE SONGE DU SULTAN Le premier songe d'un tel tunnel date de 1891, lorsque le sultan Abdulhamid, bienfaiteur des travaux publics souvent cité en exemple par Erdogan, commanda à des ingénieurs français une étude qui resta lettre morte. Aujourd'hui, l'immense tube immergé a été construit par la société japonaise Taisei, en partenariat avec les entreprises turques Nurol et Gama. Le financement a été assuré en grande partie par la Banque japonaise pour la coopération internationale. "Le Japon et la Turquie sont les deux ailes de l'Asie. Rêvons ensemble d'un train à grande vitesse partant de Tokyo, et passant par Istanbul pour arriver à Londres", a déclaré le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, qui assistait à la cérémonie. La levée de fonds pour les autres "méga projets" turcs pourrait toutefois se révéler plus délicate en raison des manques de liquidités actuels sur les marchés financiers, juge Atilla Yesilada, analyste chez GobalSource Partners. Ces projets augmenteraient d'au moins 130 milliards d'euros la dette extérieure du pays, aggravant ainsi le déficit des comptes courants, qui atteint déjà des proportions gigantesques et pourrait représenter cette année 7% du PIB, selon le FMI. "Au lieu d'avoir une utilité sociale, certains de ces projets semblent s'apparenter à une volonté de laisser un héritage. Erdogan tente d'imposer son empreinte sur le paysage et l'histoire turcs", note Atilla Yesilada. Pour le ministre des Transports, Binali Yildirim, ces considérations relèvent de la pure jalousie. "Une moitié du monde est en guerre, l'autre moitié connait un ralentissement économique, alors que la Turquie met ses grands projets à exécution", tranche-t-il. Pascal Liétout pour le service français, édité par Gilles Trequesser