La "Große Koalition" dans les starting-blocks en Allemagne

par Noah Barkin BERLIN (Reuters) - Près de trois mois après les élections législatives qui l'ont contrainte à négocier un accord de gouvernement avec les sociaux-démocrates, Angela Merkel s'apprête à entamer un troisième mandat à la tête du gouvernement allemand, performance rare dans l'Allemagne de l'après-Guerre. Seuls Konrad Adenauer et Helmut Kohl, son mentor à l'Union chrétienne-démocrate (CDU), ont été reconduits avant elle une troisième fois à la chancellerie fédérale. Le dernier obstacle sera levé samedi avec l'annonce des résultats de la consultation des adhérents du SPD. Les quelque 475.000 membres du Parti social-démocrate étaient invités à se prononcer sur l'accord de "große Koalition" conclu le 27 novembre entre les négociateurs du bloc chrétien-démocrate CDU-CSU et du SPD. Si, comme prévu, le camp du "oui" est majoritaire, la composition du gouvernement devrait être connue dès dimanche. Selon des sources sociales-démocrates, Wolfgang Schäuble (CDU) devrait être maintenu à la tête du ministère des Finances, et, de façon plus inattendue, la gauche devrait obtenir le ministère de l'Énergie, qui sera chargée de l'une des réformes les plus importantes du nouveau mandat d'Angela Merkel. Frank-Walter Steinmeier, l'un des principaux cadres sociaux-démocrates, devrait être chargé des Affaires étrangères, et d'autres personnalités de gauche seraient nommées aux ministères du Travail et de la Justice. Sauf rejet par la base du SPD, Angela Merkel sera investie mardi par les députés du Bundestag, où la coalition dispose depuis les élections du 22 septembre d'une écrasante majorité (311 sièges pour la CDU-CSU et 192 pour le SPD sur un total de 631 élus). Elle devrait se rendre mercredi à Paris pour un entretien avec le président François Hollande avant de participer en fin de semaine au conseil européen de Bruxelles où les dirigeants des Vingt-Huit doivent boucler le projet d'accord sur l'union bancaire. "RAMPE DE LANCEMENT VERS LE PASSÉ" Les deux premiers mandats de Merkel (2005-2009 dans le cadre déjà d'une "grande coalition" avec le SPD puis 2009-2013 en alliance avec les libéraux du FDP) ont été largement façonnés par la crise financière et les troubles de la zone euro. La crise des dettes souveraines a fait d'Angela Merkel et de Berlin le pôle dominant de l'Europe. Sa troisième expérience gouvernementale s'annonce moins spectaculaire, avec des attentes réduites et des ambitions plus modestes sur le plan extérieur. Le SPD, toujours traumatisé par la déroute électorale subie au terme de la précédente grande coalition, en 2009, a obtenu des concessions vues d'un mauvais oeil par le patronat et les économistes allemands, à commencer par l'instauration d'un salaire minimum au niveau fédéral. Le calendrier des réformes prévoit la mise en place d'une refonte de la loi sur les énergies renouvelables d'ici Pâques de l'année prochaine. La réforme des retraites - avec une augmentation des pensions pour les mères de famille et des dérogations au régime général de départ à la retraite à 67 ans - doit être bouclée avant l'été. Le gouvernement devra aussi avoir avancé sur la voie de la création du salaire minimum, fixé à 8,50 euros brut de l'heure. Dans une note d'analyse, la Deutsche Bank, principale banque du pays, compare les 185 pages du programme gouvernemental à une "rampe de lancement vers le passé". "Trop de cadeaux, trop peu de mesures de soutien de la croissance, pas de réformes structurelles", résument les économistes de la banque. AUCUNE HARMONIE À ATTENDRE Elga Bartsch, de Morgan Stanley, redoute, elle, que le futur gouvernement revienne sur les réformes de la protection sociale et du marché du travail décidées sous Gerhard Schröder, au tournant des années 2000. "Les performances de notre marché du travail sont éblouissantes, mais remonter dans le temps et revenir sur certaines des réformes courageusement adoptées sous l'ère Schröder pourraient changer la situation", estime-t-elle. "Selon moi, l'économie allemande n'est pas aussi forte qu'on le pense." Sur le front politique, Angela Merkel devra composer avec un SPD sans doute moins conciliant qu'entre 2005 et 2009 quand, circonstances obligent, les deux partis avaient serré les rangs. "Je ne sais pas comment se serait achevée la précédente grande coalition si la crise financière mondiale ne nous avait pas contraints à coopérer", confie un haut conseiller de Merkel sous le sceau de l'anonymat. "Cette coalition-ci sera encore plus difficile à gérer." En premier lieu, Sigmar Gabriel, président du SPD, sera soumis à la pression de son parti pour faire respecter l'accord. Ensuite, dans le Bundestag tel qu'élu en septembre, les partis de gauche (SPD, les Verts et la gauche radicale Die Linke) disposent d'une majorité théorique avec 320 sièges. "Attendez-vous au conflit permanent" avance Frank Decker, politologue à l'Université de Bonn, à propose du gouvernement à venir. "Ces deux partis sont des rivaux. Cela n'aura rien d'harmonieux", Henri-Pierre André et Julien Dury pour le service français