La négociation du Pacte transatlantique UE-USA est mal engagée

par Robin Emmott et John O'Donnell BRUXELLES (Reuters) - Avant même le report des dernières discussions commerciales prévues entre l'Union européenne et les Etats-Unis, les négociations visant à donner naissance au pacte de libre échange le plus important au monde s'annonçaient particulièrement ardues. La France a réussi une nouvelle fois à imposer le concept de l'"exception culturelle", qui exempte les industries culturelles de tout libre échange pur et dur, aux Etats-Unis, au risque que ces derniers demandent la même faveur dans d'autres secteurs, pour des motifs de sécurité. Une première série d'entretiens en juillet a pâti de l'affaire des écoutes mondiales de la National Security Agengy (NSA) américaine révélées par l'ancien consultant de l'agence en fuite Edward Snowden et qui auraient aussi concerné des bâtiments de l'Union européenne. Alors même que les négociateurs allaient entrer dans le vif du sujet pour aboutir à un accord d'ici la fin de l'année prochaine, la fermeture partielle des administrations fédérales américaines a provoqué l'ajournement des discussions qui devaient avoir lieu la semaine prochaine à Bruxelles. Enfin, de fortes divergences se font jour entre Bruxelles et Washington sur l'un des domaines les plus importants d'un éventuel futur pacte: la finance. "Ce report n'est pas fatal mais si le 'shutdown' américain se prolonge et si on exclut a priori des choses telles que la culture et les services financiers, on démarre mal", a dit Stuart Eizenstat, ex-ambassadeur américain à l'UE. UN MARCHÉ DE 800 MILLIONS DE PERSONNES Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement est susceptible d'augmenter le PIB d'une centaine de milliards de dollars par an de part et d'autre de l'Atlantique, créant un marché de 800 millions de personnes, de l'avis de responsables américains et européens. Après cinq années de crise, les deux parties y voient un moyen de redonner du mordant à leurs économies, qui représentent le tiers du commerce international, en une période où la Chine remet en cause leur prééminence. Pour le commissaire européen au Commerce Karel de Gucht, cet ajournement "ne nous détourne en rien de notre but qui est d'aboutir à un accord de commerce et d'investissement ambitieux". Le délégué américain au Commerce adjoint Dan Mullaney est attendu à Bruxelles lundi pour déterminer une date de reprise de cette deuxième série d'entretiens, qui dépendra en grande partie de l'évolution des débats budgétaires au Congrès américain. Dans tous les cas, les deux parties voudraient en finir avant la fin de 2014, dans la mesure où le mandat de l'actuelle Commission européenne expire en novembre de l'an prochain et que les Etats-Unis auront des élections de mi-mandat. Compte tenu du fait que les tarifs douaniers entre l'UE et les USA sont déjà faibles, tout l'intérêt de ce pacte est surtout de définir des règles et des normes communes, dont on espère qu'elles donneront un coup de fouet aux échanges transatlantiques et redynamiseront les économies concernées. Mais après la culture, la finance est une nouvelle terre d'affrontement. L'UE veut mettre la régulation financière au coeur du partenariat, ce à quoi les Etats-Unis, soucieux de ne pas perdre le contrôle de leur secteur financier, s'opposent farouchement. Les liens financiers entre les Etats-Unis et l'Europe sont déjà impressionnants, représentant ainsi 60% de la banque mondiale. Les investisseurs européens détiennent pour 2.700 milliards de dollars (1.992 milliards d'euros) d'actions et obligations américaines, et la somme est pratiquement équivalente dans l'autre sens. Mais au point de vue régulation, USA et Europe divergent sensiblement, surtout lorsqu'il est question des 630.000 milliards de dollars que le segment des instruments financiers dérivés représente. LA RÉGULATION AU COEUR DU PROBLÈME La crise financière enclenchée en 2008 a mis en lumière les différences de manière spectaculaire. Si Washington a agi avec rapidité pour résoudre les difficultés de ses banques, l'UE en est encore, cinq ans plus tard, à imposer avec peine l'ordre au sein de son système financier, tout en ayant dû aider d'urgence cinq pays du Vieux Continent. Pour ce qui concerne les dérivés proprement dit, Washington veut que le droit américain - et seulement lui - s'applique aux échanges impliquant des firmes américaines, quel que soit par ailleurs le lieu desdits échanges. L'Europe veut une réglementation plus affinée, qui définisse bien les responsabilités de chacun en fonction du type d'activité. Certains responsables européens vont jusqu'à évoquer la création d'institutions transatlantiques de supervision financière. Le délégué américain au Commerce Michael Froman a bien fait comprendre à Bruxelles, le 30 septembre dernier, que les voies réglementaires américaine et européenne devaient rester séparées. "Ce travail devrait se poursuivre en parallèle", avait-il déclaré. Certains responsables américains craignent qu'un accord avec l'Europe ne vienne amoindrir leur réforme majeure induite par la crise financière, à savoir le Dodd-Frank Act, un document de 848 pages qui a pris force de loi en 2010 et dont la philosophie générale est de décourager la prise de risque inconsidérée. En Europe, la régulation n'est pas source d'harmonie mais de dissonances multiples malgré les efforts déployés par Bruxelles pour imposer un système de type fédéral. "Il y a aux Etats-Unis des régulateurs fédéraux puissants", observe Anthony Belchambers, patron de la Future and Options Association, organisme représentant les banques participant aux marchés de dérivés en Europe. "En Europe, la supervision et l'application des lois demeurent du ressort des autorités de chacun des Etats membres et ce n'est pas prêt de changer". Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Pascal Liétout