L'UE peu impatiente d'accueillir ses nouveaux arrivants de l'Est

par Stephen Brown et Radu Marinas BERLIN/BUCAREST (Reuters) - Malgré les mises en garde de Bruxelles, plusieurs gouvernements européens voient d'un mauvais oeil l'ouverture prévue de leurs marchés du travail à la Bulgarie et la Roumanie en janvier, redoutant une vague de nouveaux arrivants pauvres et de Roms. En Allemagne, au Royaume-Uni, au Danemark, en Autriche, aux Pays-Bas, le débat enfle sous la pression de partis populistes et d'extrême droite qui espèrent élargir leur assise aux élections européennes de mai. Selon les modalités négociées de leur adhésion en 2007, Sofia et Bucarest bénéficieront le 1er janvier 2014 de la levée de toutes les restrictions imposées à leurs travailleurs dans l'UE, après sept années de transition. Fin novembre, le Premier ministre britannique, David Cameron, inquiet de l'émergence sur sa droite du Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), a dit voir dans la liberté de circulation un "facteur déclencheur de vastes mouvements de population provoqués par les énormes disparités de revenu", ce qui a suscité une vive réaction de Viviane Reding. "La liberté de circulation n'est pas négociable", a dit la vice-présidente de la Commission européenne. "Si la Grande-Bretagne veut quitter le marché unique, c'est envisageable. Mais, si la Grande-Bretagne veut rester membre du marché unique, la liberté de circulation s'applique. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, M. Cameron." Si la Grande-Bretagne ou l'Allemagne veulent bien accepter des professionnels bulgares ou roumains pour combler les pénuries de personnels dans les hôpitaux ou les entreprises, elles ne veulent pas prendre en charge les pauvres de ces pays, en particulier les membres de la minorité rom. "TOURISME SOCIAL" "Nous voulons que les migrants remplissent les postes vacants, mais je ne vois pas pourquoi on devrait aussi ouvrir nos institutions de protection sociale à des gens qui n'ont pas travaillé un seul jour dans notre pays", dit Günter Krings, député de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel. Berlin ignore si l'Allemagne attirera un flot de nouveaux entrants après le 1er janvier, mais "il y a certainement cette crainte", assure cet expert en droit. En tant que première économie de la zone euro, avec un faible taux de natalité et un chômage à 6,9%, l'Allemagne attire mécaniquement les migrants. Au cours du seul premier semestre 2013, le pays a accueilli 67.000 Roumains et 29.000 Bulgares. En France, où la peur du "plombier polonais" envahissant l'Europe en 2004 avait contribué au rejet de la Constitution européenne un an plus tard, les socialistes au pouvoir mènent campagne contre les travailleurs "détachés" qui tirent à la baisse le coût du travail par crainte qu'ils ne favorisent le discours du Front national. En Autriche, la banque centrale estime que 5.500 travailleurs roumains et bulgares arriveront à partir de 2014, ce qui fait dire au chef du FPÖ d'extrême droite, Heinz-Christian Strache : "L'Autriche n'est pas un service de protection sociale ou une agence de l'emploi pour les pays de l'Est." "C'est un débat populiste qui n'honore pas les gouvernements occidentaux, même si leurs inquiétudes sont compréhensibles", note Anneli Ute Gabanyi, une universitaire installée à Berlin issue de la communauté germanophone de Transylvanie en Roumanie. Les règles européennes fixent pour principe que l'arrivée de nouveaux travailleurs dans un pays membre ne doit pas devenir un "fardeau déraisonnable pour le système de protection sociale". Mais Bruxelles s'appuie sur des statistiques selon lesquelles les ressortissants "mobiles" de l'UE ne sont pas plus un fardeau que les "autochtones" et indiquant qu'étant plus jeunes, ils sont plus susceptibles de travailler. Le commissaire européen à l'Emploi, Laszlo Andor, estime que le "tourisme du bien-être social" stigmatisé par certains médias "n'est ni répandu ni systématique" et ne représente que 0,7 à 1% de la population totale de l'UE. CHAUVINISME A Sofia ou Bucarest, les autorités s'efforcent aussi de minimiser ces craintes. Le Premier ministre roumain, Victor Ponta, promet de mettre fin aux abus de gens "qui conduisent leur Mercedes pour récolter leurs allocations". Son homologue bulgare, Plamen Orecharski, déplore "l'hystérie" britannique. Anneli Ute Gabanyi voit dans ce débat "des accents de chauvinisme" visant les Européens de l'Est et surtout les Roms, dont le nombre est estimé à 10 millions à travers l'Europe. Et Integro, un groupe bulgare de défense des Roms, assure que les Roms de Bulgarie ne prévoient pas massivement de quitter leur pays malgré une situation économique difficile. En Bulgarie, le salaire horaire minimum est de 1,85 lev (0,94 euro), en Roumanie de 4,74 lei (1,06 euro) alors qu'il atteint 6,31 livres (7,47 euros) en Grande-Bretagne et atteindra 8,50 euros après son introduction en Allemagne. "La situation ici s'est beaucoup aggravée ces quatre dernières années", explique Rossen Iordanov, un graphiste de Sofia fort d'une vingtaine d'années d'expérience. Lui envisage d'émigrer dès que les restrictions seront levées. "Je pense que le marché britannique est bien structuré et qu'il me donnera des possibilités de travail", dit-il, sans s'étonner outre mesure du discours hostile véhiculé par certains médias vis-à-vis de l'Europe de l'Est. Avec Angel Krasimirov à Sofia et Andres Rinke à Berlin; Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser