Vingt-et-unième round : faut-il craidre la taxe Hollande ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely de Causeur.fr etSylvain Gouz, de Rue89, s'interogent sur la proposition de François Hollande de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 000 000 d'euros.

Surtaxe des super-riches : pas de quoi faire pleurer Margot

Par Sylvain Gouz

"Pauvre petite fille riche"… A l'heure où l'on célèbre Claude François sur toutes les ondes, ce tube des années 60 va se retrouver sur toutes les lèvres. Enfin particulièrement sur celles de ceux qui se sentent visés par l'annonce télévisuelle « fracassante » de François Hollande. Voici que le possible futur Président envisage de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 000 000 d'euros — vous avez bien lu, un million d'euros — par an.

Notons au passage que, tous comptes faits, le candidat socialiste reste bien en-deçà de son concurrent du Front de Gauche, qui déclare :

« Au-delà de vingt fois le revenu moyen [360 000 euros selon lui, ndlr], je prends tout. »

Comme l'ont noté la plupart des commentaires après l'annonce de François Hollande, pour comprendre ce dont il est question, il faut avoir en tête que l'imposition sur le revenu s'effectue par tranche : aujourd'hui, cinq tranches de cinq à 41%.

Il convient donc de distinguer, de ce fait, entre le « taux marginal d'imposition » (c'est-à-dire ce que le contribuable va céder au fisc sur ses derniers euros encaissés) et son « taux moyen d'imposition », à savoir la part de la totalité de ses revenus qui va lui être demandée par ce même fisc.

Célibataire plus que millionnaire taxé à 48%

Il a ainsi été calculé (je fais grâce des détails du calcul) qu'un célibataire qui gagne 1 200 000 euros annuels subit aujourd'hui un taux moyen d'imposition de l'ordre de 39% — toutes niches fiscales mises à part ; François Hollande avait déjà annoncé la création d'une tranche supplémentaire d'impôt à 45% au-delà de 150 000 euros annuels. Il vient de rajouter une couche, une deuxième nouvelle tranche de 75% au-delà du million annuel.

Et ainsi, dans une France présidée par François Hollande, notre célibataire, toujours aussi bien rémunéré, verrait son taux moyen d'imposition passer à 48%. De 39 à 48% donc.

Autrement dit, aujourd'hui avec la fiscalité telle qu'elle est, il resterait à notre célibataire un revenu annuel de 732 000 euros, soit plus de 60 000 euros par mois. Sous la présidence socialiste, son revenu net ne serait plus que de 660 000 euros annuels (55 000 euros par mois). Une misère…

Niches fiscales, évasion légale, stock-options...

Mais foin de ces calculs d'apothicaire, on sait depuis les démonstrations éclairantes de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez ( "Pour une révolution fiscale") et de Thierry Pech ( "Le Temps des riches") que niches fiscales et évasion fiscale (légale) en tous genres sont passées par là et qu'aujourd'hui, notre célibataire millionnaire, même s'il doit grassement rémunérer son conseiller fiscal, parvient à garder par devers lui quelque 80% de ses revenus, soit à peine 1 million d'euros par an ou, plus prosaïquement, plus de 80 000 euros par mois.

Et encore, cela ne prend pas en compte ces fameux stock-options (qui permettent d'acquérir des actions de sa société à bas prix le jour venu) ou les attributions d'actions gratuites de ladite société.

Et encore une bonne part des revenus de notre célibataire venant de placements financiers divers, ceux-ci font l'objet d'un prélèvement forfaitaire bien inférieur à son taux moyen d'imposition « théorique » de l'ensemble de ses revenus. Ce qui ne serait plus le cas si les revenus du capital étaient taxés comme ceux du travail — encore un projet socialiste.

Le club des super-revenus : 10 000 foyers

Bref, on aura du mal à faire pleurer Margot sur ces millionnaires éventuellement bientôt surtaxés. Mais au fait, qui sont-ils ? Pas très facile de le savoir. On se reportera avec intérêt à l'ouvrage de Thierry Pech déjà cité. Se référant lui-même à une très intéressante étude de l'Insee [PDF] qui porte sur l'année 2007, l'auteur évalue à 0,01% des Français (5 800 personnes) ceux dont, à l'époque, les revenus dépassaient le million de revenu annuel - -et encore s'agissait-il du revenu dit « imposable », donc après diverses déductions.

Qu'en est-il aujourd'hui ? On ne sait trop, mais sur la tendance suivie ces dernières années, il est vraisemblable que le club de nos « super-riches » — ceux que l'Insee baptise pudiquement « les plus aisés » — regroupe entre 6 000 et 10 000 foyers soit, faut-il le souligner à nouveau, de 0,01 à 0,015% de la population.

Et n'ont été évoqués ici que les très hauts revenus. Il faudrait bien sûr y ajouter les très grosses fortunes (autrement dit les patrimoines) qui, selon les études disponibles sont, grosso modo dans les mêmes mains.

La richesse incarnée par le million d'euros

Pauvre petite fille riche… Beaucoup de bruit pour rien ? Peut-être pas. D'abord parce que cette barre du million d'euros annuel donne une sorte d'incarnation à ce qu'est un très haut revenu. On est toujours le riche de quelqu'un. C'est ce que montrait un sondage [PDF] publié par Le Journal du Dimanche en octobre dernier, sondage déjà commenté ici. Il apparaissait que :

_ Pour seulement à peine un Français sur trois (31%), toutes catégories sociales confondues, être riche signifie disposer d'un revenu mensuel de plus de 5 000 euros ;

_ Parmi les ouvriers et les employés, quatre sur dix situent la barre de la richesse à 3 000 euros par mois ;

_
Seuls 8% des personnes interrogées placent cette barre au-delà de 10 000 euros mensuels.

Si la proposition de François Hollande pouvait ouvrir les yeux au plus grand nombre, la lutte contre les inégalités aurait déjà fait un grand pas en avant.

Reste une question de fond posée par sa proposition : comment réduire les inégalités, à commencer par celles de revenus ? Par l'impôt et la redistribution ou en luttant contre celles-ci en amont, dans la distribution primaire des revenus ?

Peut-on admettre que, dans un pays riche — plus riche aujourd'hui qu'il n'a jamais été —, certains, quels que soient leur grande intelligence et leurs immenses talents, gagnent plus de 80 000 euros mensuels alors que le Smic n'atteint pas 1 400 euros par mois ? De 1 à plus de 50, une telle échelle des rémunérations a-t-elle un sens quelconque à l'aune de la fameuse « valeur travail » ?

Recentrage du débat présidentiel

Et pendant ce temps on querelle, paraît-il, ces assistés paresseux qui se contenteraient d'un maigre RSA ou ces chômeurs fainéants qui refuseraient d'accepter le premier emploi précaire venu !

On peut regretter que la proposition de François Hollande de surtaxer les super-revenus apparaisse un peu improvisée. Mais elle a un effet politique bénéfique immédiat, à savoir le recentrage du débat présidentiel, qui tournait de plus en plus à la bagarre de cour de récréation, vers un débat central en ces temps de crise : les inégalités et les moyens d'en venir à bout.

Sylvain Gouz

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Qui veut taxer les millions ?

Par Gil Mihaely

Moins de deux mois avant le premier tour, du haut de ses 16 points d'écart avec le « sortant », François Hollande a jugé indispensable de donner corps à son grand projet de réforme fiscal avec une mesure-phare : une tranche d'imposition supplémentaire pour les plus hauts revenus. Très peu des Français sont directement concernés, peu d'argent sera récolté et la vision d'ensemble, la logique interne à cette mesure échappe à un de ses plus proches conseillers économiques. En revanche le candidat rassembleur désigne clairement l'ennemi : les riches. Le socialisme retrouve ses origines primitives : pour aider les petits y a qu'à aller chercher l'argent dans les poches des gros.

Que Jérôme Cahuzac, chargé du projet de budget de Hollande, soit tombe des nues quand Yves Calvi lui annonce la dernière mesure de son candidat - 75% d'impôts pour la tranche située au-delà d'un million par an — prête à sourire mais n'est pas le plus grave. Ce genre de cafouillages arrive toujours dans une campagne, et tombe souvent à point nommé pour réveiller l'électeur un rien assoupi. Non, le vrai problème, c'est que Cahuzac n'a pu cacher son désaccord… On ne saurait le lui reprocher : son candidat qui n'a que le mot cohérence à la bouche a sérieusement manqué de cohérence économique. C'est le fond de l'affaire.

Que les lecteurs de gauche se rassurent, si la cohérence économique et sociale n'est pas vraiment au rendez-vous, sa logique politique est implacable. Le pays est en colère et la meilleure façon de s'adresser aux millions de déçus du sarkozysme est de leur désigner un bouc émissaire. Tant pis si les chiffres n'ont pas de sens précis. Hollande a choisi 75% mais cela aurait pu être 60%, 70% ou, pourquoi pas pendant qu'on y est, 80%. Il faut croire que les multiples impairs de 25 sonnent plus sérieux que les autres chiffres, puisque 24 heures plus tard, le président choisira lui de fixer à 25 % l'espérance de gain salarial des profs amateurs d'heures sup…

Quant au seuil de la nouvelle tranche, le chiffre rond et symbolique du million a une seule fonction : pointer du doigt les méchants millionnaires (sauf Yannick Noah qui aime les gens, et puis aussi Zidane et Jean Dujardin qui ont bien du talent).

C'est bien de parler d'Economie aux Français. Encore faut-il essayer de ne pas avoir comme seul référent théorique le Père Noël. Et comme seule méthodologie les yaka et les fokon. Ainsi, concernant les déclarations péremptoires des uns ou des autres les niches fiscales, nous avons déjà démontré ici que l'annulation d'un dispositif, au lieu de rapporter immédiatement 100% du prétendu manque à gagner à l'Etat, modifie le comportement des acteurs économiques et pourrait même entraîner des coûts supplémentaires. C'est le genre de chose qu'on apprend partout, y compris à l'ENA.

Cela n'empêche pas François Hollande de nous resservir sur l'impôt le même raisonnement pour élève de petite section de maternelle. Il aurait dû mieux écouter la représentante des buralistes du Gard qui, lundi soir dans Paroles de candidats sur TF1, décrivait les effets pervers de l'augmentation du prix du tabac. Parfois, lorsque les intentions sont bonnes et rejoignent le simple bon sens (le prix élevé des cigarettes découragerait les fumeurs, améliorerait à la santé publique tout en renflouant les caisses de la sécu), la réalité se plait à les démentir. Ainsi, au-delà d'un certain seuil — impossible à prévoir — toute augmentation supplémentaire nuit. La contrebande devient rentable, les buralistes sont de plus en plus visés par les braqueurs et le nombre de fumeurs cesse de baisser. Eh bien, avec les impôts c'est pareil ! Personne ne peut supporter une taxation à 75 % voire plus et encore moins d'être systématiquement montré du doigt comme ennemi de la nation.

Pour toutes ces bonnes raisons, les Cahuzac du parti socialiste vont probablement ramener leur candidat à la raison et, comme avec son ancien meilleur ennemi, la finance, François Hollande trouvera l'occasion de rassurer les riches. Mais après le scrutin, cette fois…

Bref, ç'aurait pu être un grand chantier et c'est un grand foutoir. Au lieu d'une réflexion novatrice sur la fiscalité, source de recettes pour l'Etat mais aussi outil important de lutte contre les inégalités excessives et levier stratégique pour encourager l'activité économique, nous nous retrouvons avec une phraséologie de lutte des classes digne de Georges Marchais (qui lui aux moins n'essayait pas d'envoyer en douce des messages rassurants aux traders de la City). La stratégie est donc claire: désigner face caméras à la vindicte populaire des salauds de série Z pour caresser les passions les plus tristes de l'électorat. Dix minutes plus tard, dans une autre émission, on ira dénoncer le populisme éhonté de Marine Le Pen l'inconsistance programmatique de François Bayrou, le manichéisme diviseur de Nicolas Sarkozy ou le dogmatisme économique de Jean-Luc Mélenchon, quatre défauts politiques bien réels et bien français que le million de Hollande résume parfaitement à lui seul…

Gil Mihaely

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