Sixième round : la crise a-t-elle tué le programme du PS ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely de Causeur.fr et Pierre Haski, cofondateur de Rue89, s'interrogent sur les effets de la crise sur la campagne électorale.

La crise détruit les programmes, pas les valeurs

Par Pierre Haski

Le choix de 2012 se limitera-t-il, au second tour (sauf accident...), à une rigueur de droite contre une rigueur de gauche ?

L'aggravation de la crise a fait voler en éclat toutes les prévisions chiffrées.
- Celles du gouvernement, contraint de revoir son budget 2012 pour la deuxième fois en deux mois à mesure que les perspectives de croissance diminuent
- Celles du candidat du Parti socialiste dont le programme, élaboré il y a six mois, c'est-à-dire un siècle dans le climat actuel, était basé sur des hypothèses de croissance elles-aussi caduques.

Et ce n'est pas plus mal. Car qui voudrait voter en avril-mai 2012, dans le contexte le plus incroyablement imprévisible que nous traversons (cf : les rebondissements grecs depuis une semaine), pour un programme qui aurait été coulé dans le bronze un an plus tôt. Ce ne serait pas crédible.

De surcroit, un programme comme celui qu'a élaboré le PS au printemps 2012 avait sans doute plus de portée interne, afin de définir le socle programmatique commun de tous les courants à la veille du démarrage de la campagne de la primaire, que de message envoyé aux électeurs d'un an plus tard.

Un programme s'adapte nécessairement au candidat, sinon ça donne Ségolène Royal en 2007 qui avouera quelques semaines après sa défaite qu'elle ne croyait pas à certaines mesures qu'elle avait défendues avec ardeur...

A six mois des élections, que reste-t-il donc de ce programme socialiste ? Le choix des électeurs, à supposer que le deuxième tour soit effectivement Sarkozy-Hollande, se limitera-t-il à un « blanc bonnet, bonnet blanc » de la rigueur budgétaire, des fourches caudines des agences de notation et des sacro-saints marchés financiers ?

François Hollande est face à un beau défi : il a six mois pour convaincre les électeurs -ces 62% de Français qui dans le sondage du Ifop-Le Monde de cette semaine le placeraient volontiers à l'Elysée pour cinq ans- qu'il est effectivement porteur d'une vision, d'une méthode, de valeurs, et, oui, d'un programme pour faire face à la crise mieux que ne l'a fait ou ne le ferait encore Nicolas Sarkozy.

Rigueur de gauche ? Si l'horizon indépassable de François Hollande, comme il a parfois semblé le dire pendant les débats de la primaire, est l'équilibre budgétaire en fin d'exercice, parfois perçu comme une fin et non comme un moyen, alors oui, il se met en danger. Vouloir à tout prix avoir l'air propre sur soi vis-à-vis des agences de notation, des marchés, des Allemands, etc., c'est comme quand l'UMP se met à faire du FN : on préfère l'original!

En revanche, il lui faut avoir une approche de gauche de la crise, qui ne soit pas nécessairement faite de slogans vengeurs contre la finance et les nantis, mais qui soit empreinte des valeurs de justice sociale, de répartition équitable des inévitables sacrifices qui seront demandés aux Français et aux Européens dans les prochaines années, et, surtout, qui soit porteuse d'un nouvel horizon, tout simplement d'un avenir. Et qui prenne en compte l'ensemble des forces qui l'auront conduit au pouvoir, au-delà, assurément, du seul PS.

François Hollande a la chance d'avoir en face de lui un Président sortant qui a deux handicaps majeurs, et un atout. Les handicaps : son bilan, et lui-même. Son atout : lui-même.

Nicolas Sarkozy ne parvient pas à convaincre -l'émission de télé pédago de la semaine dernière montre qu'il peut se montrer convaincant sans nécessairement amener les électeurs à changer d'opinion sur lui, ou marginalement-, malgré son déploiement extraordinaire d'énergie sur tous les fronts : la crise, la Libye, le bébé... Face à un candidat de gauche crédible, l'énergie de Nicolas Sarkozy ne parviendra pas à effacer cinq ans d'érosion de sa propre crédibilité; En revanche, face à un candidat de gauche faible ou peu « lisible », il a toutes ses chances.

François Hollande n'a plus de programme, mais il est, à ce stade, encore porteur des vertus de l'alternance souhaitée coûte que coûte par une bonne majorité de Français. Celles-ci ne dureront pas jusqu'au jour du vote.

Il lui reste donc à oublier les propositions chiffrées -à commencer par son boulet des 60.000 emplois d'enseignants, sa seule concession à la surenchère de campagne- pour travailler sur son scénario des cent premiers jours, et celui, à plus long terme, de la transformation de notre modèle en faillite.

Dans l'excellent film « L'Exercice de l'Etat » de Pierre Schoeller, un des personnages, directeur de cabinet de Bercy, dit un de ses collègues : « l'Etat est devenu une vieille godasse qui prend l'eau de toutes parts ». Nicolas Sarkozy était porteur d'un modèle libéral alternatif qui a explosé en vol avec la crise : il se rattrape par la gestion de crise, en Superman qui sauve la planète.

A la gauche de montrer qu'elle saura à la fois gérer la crise, mais aussi proposer un autre modèle pour en sortir : François Hollande a six mois pour y arriver.

Pierre Haski

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Par Gil Mihaely

Six mois avant l'élection présidentielle, une chose est déjà certaine : pour le PS, c'est raté. Si Nicolas Sarkozy n'est pas assuré d'être réélu − tant s'en faut −, le Parti socialiste a en tout cas raté l'occasion de proposer un véritable choix aux électeurs. Certes, François Hollande pourrait être le prochain président de la République, mais s'il est élu, ce ne sera pas pour son « programme ».

Sur les questions de fond, c'est-à-dire l'Europe et la dette, les propositions de François Hollande ne diffèrent guère de celles de Sarkozy. Tous deux entendent accélérer l'intégration européenne d'un côté, réduire la dette sans casser la croissance de l'autre. En clair, ils proposent d'avancer vers un ministère européen des Finances qui disposerait d'un droit de regard sur les budgets des États-membres, afin de pouvoir réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts. Tout cela, bien sûr, sans casser une croissance déjà moribonde.

Au lieu d'une véritable alternative politique, le PS a concocté un paquet de « mesures concrètes ». Tellement concrètes qu'à l'instar des 60 000 postes dans l'enseignement et des 300 000 emplois jeunes/seniors, elles ont été sérieusement déplumées par le feu croisé des candidats aux primaires. Mais les socialistes ne se sont pas contentés d'être concrets ; ils ont aussi voulu paraître sérieux. Ils ont donc chiffré leurs projets, offrant ainsi une cible facile à leurs adversaires. Un projet doit certes être crédible, mais avant tout défendre une vision du monde au lieu de présenter des tableaux Excel en guise de manifeste politique.

Le lâchage pur et simple du projet par Jérôme Cahuzac, président PS de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, révèle les limites de ce « programme ». Adopté en mai sur la base d'une prévision de croissance fantaisiste, le projet PS ne pouvait qu'être caduc quelques mois plus tard. Du coup, les dirigeants du parti doivent admettre que leur programme est irréaliste et qu'ils n'en appliqueront qu'une partie, sans préciser quelles mesures seront privilégiées. Mais ce n'est pas tout. Au lieu de s'assumer et de proposer une réforme fiscale digne de ce nom qui augmenterait les impôts dans le but de réduire massivement les écarts de richesse, le PS cherche à financer son budget fantôme et tombe dans un deuxième piège : les niches fiscales et sociales. Voilà où se cacheraient les milliards ! Raté : les niches sont un mirage financier !

Commençons par les niches sociales. Ces allègements du coût du travail − comme la réduction des charges sociales sur les bas salaires, qui représente à elle seule un manque à gagner annuel de 21 milliards − sont jugées (très) efficaces par la Cour des comptes. Leur suppression coûtera donc plus cher que leur maintien… Quant aux niches fiscales, elles agissent comme des opérations de discount. Vous vendez un produit 20 euros avec 50% de remise, vous en écoulez 10 exemplaires et votre chiffre d'affaires atteint 100 euros. Comme vous subissez un manque à gagner théorique de 100 euros, vous décidez de mettre fin au scandale en rétablissant le prix d'origine. Sauf qu'à 20 euros le produit, vous en vendez moins et votre chiffre d'affaires s'effondre. Or, dans son projet, le PS a compté les 100 euros de manque à gagner comme de l'argent frais qui entrera en caisse dès que la remise sera annulée. Ainsi, la suppression de la niche la plus décriée, dite « Copé », qui aurait coûté 22 milliards d'euros à l'État en trois ans, ne rapportera pas 22 milliards, ni même 9 ou 10 (le coût de cette niche selon la Cour des comptes). Et voilà que s'évanouissent les moyens qui devaient fiancer les « mesures concrètes »…

Mais le pire est le fiasco de la « règle d'or ». Dans leur obsession de garder leur « triple A », les socialistes se sont joints à une initiative absurde de l'UMP : interdire la dette par la Constitution ou, a minima, par la Loi. Quelle absurdité ! S'il en a la volonté politique, rien n'empêche en effet un gouvernement démocratiquement élu d'abaisser le niveau de la dette. Dans le cas contraire, rien ne l'empêchera de s'endetter jusqu'au cou. Ne serait-ce que pour cette faute politique, les socialistes méritent de perdre l'AOC « Gauche ».

Niveau calendrier, le PS a mis la charrue avant les bœufs, l'élaboration du programme ayant précédé le choix du candidat. Pas fou, le vainqueur des primaires s'est débarrassé de la camisole du projet socialiste sans même laisser aux militants le temps de faire leur deuil. Enfin, il faut se rendre à l'évidence : durant les primaires, les électeurs de gauche ont massivement voté pour le candidat qui, après Valls, était perçu comme le moins à gauche (on exclura du champ le fantôme Baylet) et le plus pragmatique, bref, le plus capable, comme son modèle François Mitterrand, à faire une chose et son contraire. Autrement dit, ils ont privilégié la personnalité du candidat au détriment des idées. Puisqu'on reproche à Sarkozy son comportement pendant la première moitié de son mandat, les électeurs socialistes ont choisi un autre homme − à défaut d'une autre voie. De ce point de vue, François Hollande représente bel et bien une alternative au Président de la République : difficile de trouver une personnalité plus différente de celle de l'homme du Fouquet's et du bouclier fiscal que celle du député de Corrèze. C'est un choix légitime qu'il faut tout simplement avouer et assumer au lieu de faire semblant d'avoir un « programme ».

En face, Nicolas Sarkozy a intériorisé ces critiques et joue désormais l'homme d'État pragmatique, discret et pédagogue. L'ennui, c'est que, grâce aux socialistes, les deux candidats majeurs à l'élection présidentielle de 2012 se font réellement concurrence non pas sur des idées et des projets mais sur une seule et unique question : qui ressemble le moins au Nicolas Sarkozy de 2007 ?

Gil Mihaely

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