Neuvième round : y a t-il besoin d’une nouvelle loi sur la récidive ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Blandine Grosjean, rédactrice en chef adjointe de Rue89 et Marc Cohen de Causeur.fr s'interrogent sur les différentes lois sur la récidive après le meurtre de la petite Agnès.

Contre la récidive : « Assez d'actes, passons aux paroles »

Par Blandine Grosjean

Le 13 septembre 1993 près de Perpignan, une fillette de 8 ans, Karine, est assassinée après avoir été violée par un « ami de la famille » criminel sexuel multirécidiviste. Lors d'un colloque « Soigner et/ou punir » qui se tenait l'année suivante, Catherine Erhel, journaliste judiciaire, racontait la suite :

« Quarante-huit heures après le drame, Pierre Méhaignerie, garde des Sceaux, annonce un projet de loi destiné "à éviter que ces faits se reproduisent". La manière dont il l'annonce est très inattendue. C'est un journaliste de La Croix qui lui demande : "Où en est le groupe de travail chargé d'évaluer le traitement des délinquants sexuels ? " et Pierre Méhaignerie répond : "Tout cela est terminé et va prendre la forme d'un projet de loi déposé très prochainement sur le bureau de l'Assemblée nationale." »

« En l'état actuel des connaissances médiatiques »

Au milieu de dispositions diverses, deux articles. L'un qui autorise les cours d'assises à rendre incompressible la peine à perpétuité pour les criminels sexuels ayant assassiné ou torturé des mineurs de moins de 15 ans ; l'autre qui exige une expertise psychiatrique avant la libération de tout délinquant sexuel.

La loi dite de « perpétuité réelle » va être adoptée en 1994, avec un magnifique lapsus de Méhaignerie devant le Sénat :

« En l'état actuel des connaissances médiatiques... euh médicales, euh, je voulais dire psychiatriques. »

Après la mort d'Agnès au Chambon-sur-Lignon, il n'aura pas fallu 48 heures pour que le Premier ministre François Fillon annonce des mesures. « Un fait-divers, réponse : une réunion et un "20 Heures", comme d'habitude », résume Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste. Un projet de loi portant sur « l'évaluation de la dangerosité » devrait être présenté en urgence ce 23 novembre.

Bricolage démago-émotionnel du code pénal

Il faut donc rendre justice à Nicolas Sarkozy. Le bricolage démago-émotionnel du code pénal et de l'application des peines ne date pas de lui, même si son activité en ce domaine est respectable. Pour mémoire :

- juin 2005, quelques jours après l'enlèvement et le meurtre en région parisienne d'une jeune femme, Nelly Crémel, Nicolas Sarkozy annonce qu'une loi sur la récidive sera votée. Elle prévoit la surveillance des détenus en fin de peine, notamment par le bracelet électronique ;

- mai 2006, après deux meurtres d'enfants, Madison et Mathias, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur demande que soit conservée la trace des condamnations sexuelles sans qu'aucune prescription automatique ne s'applique à ces faits. Il évoque l'idée de maintenir dans le casier judiciaire les actes commis avant la majorité quand il s'agit de faits de violence grave, et notamment des actes à caractère sexuel ;

- août 2007, Francis Evrard, qui vient de sortir de prison est arrêté pour le viol à Roubaix d'Enis, un enfant de 5 ans. Nicolas Sarkozy annonce un durcissement des conditions de remises de peine pour les pédophiles. Il demande à l'ex-garde des Sceaux Rachida Dati alors à la Chancellerie, de présenter une loi pour le mois de novembre, alors qu'entre juste en vigueur celle renforçant la lutte contre la récidive, dont certaines dispositions concernent spécifiquement les agressions sexuelles et le dispositif dit d'injonction de soins ;

- en 2009, le meurtre de la joggeuse Marie-Christine Hodeau, donne à Nicolas Sarkozy la possibilité de durcir les deux lois sur la récidive et la période de sûreté qu'il a fait adopter en 2007 et 2008 — tout délinquant qui interrompt son traitement psy serait à nouveau être emprisonné.

- en 2011, après le meurtre de Laetitia à Pornic, Nicolas Sarkozy annonce des sanctions contre les magistrats et les policiers qui auraient fauté dans le contrôle judiciaire du criminel multirécidiviste. Une réunion ministérielle est convoquée d'urgence. « Il faudra des décisions et pas des commissions de réflexion. Il y a eu trop de cas comme celui-ci », déclare-t-il. Il y a eu des sanctions, mais pas de loi « Laetititia ». L'arsenal est plein.

« Une valeur symbolique »

« Assez d'actes, des paroles », disait Alphonse Allais à une jeune maîtresse trop exigeante.

En 1994, Pierre Méhaignerie avait voulu conjuguer les deux, re-instaurant une peine de mort, sociale, mais bien réelle. Il confiait « off » qu'il savait bien que la perpétuité réelle pour les récidivistes ne protégerait personne « puisque ça frappe des gens dont on ne savait pas qu'ils allaient récidiver. Ça a juste une valeur symbolique. » Comme la peine de mort, exactement.

Puisque les multiples lois, décrets, circulaires, instructions pris depuis des décennies pour lutter contre la récidive, surtout des criminels sexuels, n'ont pu empêcher le viol et le meurtre de la collégienne du Cévénol, restons-en aux paroles, c'est moins dangereux. Par exemple, « évaluer la dangerosité ».

Blandine Grosjean

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Plutôt l'instrumentalisation que l'inaction !

Par Marc Cohen

Chacun le sait, car c'est une règle d'or de l'idéologie dominante : il ne faut jamais légiférer sous le coup de l'émotion, fût-ce l'émotion légitime suscitée par un crime abominable. Je veux bien l'admettre. Mais si on ne réagit ni avant, ni après, on fait quoi ? On laisse faire. C'est ça la vraie bonne idée ? Dans les mêmes bonnes maisons bienpensantes, on nous serine aussi qu'il ne faut surtout pas que ce genre de drame abominable donne lieu à «récupération», à «instrumentalisation». J'ai entendu Thomas Legrand le répéter pendant deux longues minutes dans son édito de France Inter du 22 novembre, délicatement intitulé «Récupération politique : le gouvernement récidive». Là encore, j'entends bien. Mais si la politique ne s'intéresse pas à ce qui révulse l'ensemble des citoyens de ce pays, alors, à quoi sert-elle?

On nous dit même que toute cette agitation autour de l'assassinat sauvage d'Agnès, c'est beaucoup de bruit pour rien. Je caricature ? Hélas non ! À titre d'exemple, toujours sur Inter, voilà ce que disait ce même matin à 9h10 Ali Rebeihi, qui remplace cette semaine Pascale Clark: « En 2010, selon les statistiques, deux mineurs on tué un autre mineur. C'est trop bien sûr pour les familles des victimes, mais c'est peu en regard du nombre de mineurs qui se suicident ou meurent chaque année sur les routes. Mais pourquoi une telle surexposition de ce fait divers ? » Une rengaine qu'on peut retrouver en version Bac+ 5 sur le blog du sociologue Laurent Mucchielli, référence obligée de toute la gauche sociétale « Si l'on comprend bien l'émotion déclenchée par cette affaire, l'on voit mal quel problème de société il faudrait en déduire, ni quelle réforme pénale ou psychiatrique il serait urgent d'adopter s'agissant, redisons-le une dernière fois, d'une fréquence annuelle de cas comprise entre 0 et 1 par an à l'échelle de la France entière ». En clair : Agnès ? RAS !

N'en déplaise aux bonnes âmes de la presse ou de la sociologie, bien sûr qu'il fallait que les politiques se fassent entendre après cet assassinat, et bien sûr qu'à partir du moment où des ministres expriment autre chose que leur compassion obligatoire, qu'ils proposent des pistes de solutions pour éviter que se renouvelle une telle catastrophe judiciaire, ils prêtent le flanc à l'accusation d'instrumentalisation et même d'instrumentalisation « nauséabonde », comme l'a dit Benoît Hamon lors du point de presse du PS, fort mal à propos, à mon avis. Car accréditer l'idée qu'il ne faut rien dire ou rien faire, c'est aussi instrumentaliser : l'immobilisme est une opinion, et une ligne politique. C'est même la seule politique possible aux yeux d'une certaine gauche, celle de la Ligue des Droits de l'Homme, du Syndicat de la magistrature et autres Appels des Appels, pour qui toute préoccupation sécuritaire fait de facto le lit du totalitarisme.

Nombre d'électeurs de gauche auront, comme moi-même, observé avec soulagement que l'entourage proche de François Hollande a rompu avec de telles palinodies pseudo-humanitaires. Moscovici, Valls, Vallini, Filipetti ont tous refusé de polémiquer avec le gouvernement et se sont explicitement ralliés, au contraire, aux centres éducatifs fermés dont la direction actuelle du PS disait jusque-là pis que pendre. On pourra utilement, à cet effet, se reporter au calamiteux Livre Noir publié il y deux ans par Solferino intitulé « La France en libertés surveillées ». On y lira, par exemple, page 19 : « Nicolas Sarkozy a ainsi achevé la mutation d'une politique de sécurité publique vers une politique de surveillance des publics. Parallèlement, la construction d'une dichotomie stricte entre « victimes » et « criminels » ainsi que l'utilisation extrapolée et répétée de ces deux termes laissent à penser que, sous prétexte d'empathie légitime pour le malheur d'autrui, tous les moyens seraient utilisables pour exclure les criminels et prédire la réalisation de leur action délictueuse». Apparemment ce genre de délire est désormais caduc, François Hollande ayant par bonheur renoué avec la bonne vieille tradition qui veut que la gauche ait vocation à défendre le faible contre le fort, donc aussi la victime contre le criminel, et sans guillemets puants, s'il vous plait.

Autant le drame du Chambon-sur-Lignon est terrifiant, autant ce début de consensus politique entre les deux candidats majeurs à la présidentielle signe un commencement de lueur d'espoir. Peut-être va-t-on enfin attaquer de concert et de front le problème de la récidive, et celle des violeurs en particulier. Et l'attaquer dans toute sa complexité. Que les meurtres ou les viols commis par des récidivistes ne constituent qu'une proportion très faible de l'ensemble des crimes n'est pas le problème. L'opinion a tendance à penser que ces crimes de récidive, contrairement aux autres, auraient pu être évités, au moins pour certains d'entre eux, par une autre politique judiciaire. Il faut lui répondre, et autrement que par un juge, un prof ou un psy qui hausse les épaules. Faut-il par exemple que, comme aux USA, les habitants d'un quartier soient informés de la présence dans leur quartier d'une personne condamnée dans le passé pour ce type d'agression? J'y suis a priori favorable, mais je ne demande qu'à entendre des arguments contraires. J'ai bien dit des arguments. Pas des fatwas droitdelhommistes hurlant à l'exclusion ou à la stigmatisation…

Marc Cohen

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