Deuxième round : l’adhésion d’un État palestinien à l’ONU

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Pierre Haski, cofondateur de Rue89 et Luc Rosenzweig, journaliste à Causeur.fr, débattent sur la demande historique d'adhésion d'un État de Palestine à l'ONU.

Nicolas Sarkozy a manqué de courage

Par Pierre Haski

Nicolas Sarkozy a raté une occasion de montrer qu'il a réellement de l'audace en politique étrangère, et, disons-le, du courage. Il a cané sur la question de la reconnaissance de l'État palestinien aux Nations Unies, de peur de rompre un consensus occidental une fois de plus favorable à Israël, même quand, sur le fond, il a eu une bonne intuition initiale.

Flashback : en mai dernier, Nicolas Sarkozy déclare à L'Express :

« Si le processus de paix reprend durant l'été, la France dira qu'il faut laisser les protagonistes discuter sans bousculer le calendrier. Si, à l'inverse, le processus de paix est toujours au point mort en septembre, la France prendra ses responsabilités sur la question centrale de la reconnaissance de l'État palestinien. »

On connait la suite : les négociations restent au point mort pendant l'été, les Palestiniens confirment qu'ils déposeront leur demande de reconnaissance aux Nations Unies. Et puis... plus rien. Le vide diplomatique, provoqué de manière délibérée par un Barack Obama aux abois, par un gouvernement israélien sûr de sa capacité à neutraliser une initiative jugée dangereuse, et permis par une Europe divisée et (une fois de plus) aux abonnés absents.

Il fallait être ignorant des dynamiques locales pour penser que Mahmoud Abbas reculerait. Ou alors le pâle successeur de Yasser Arafat, dont le bilan est proche de zéro, aurait disparu dans le néant de l'histoire palestinienne. Cet homme a trop de fois renoncé, reculé, flanché, pour ne pas rater ce rendez-vous qu'il avait lui-même fixé avec l'histoire.

Ou plutôt, c'est l'ironie amère de cet épisode, que Barack Obama avait lui-même fixé en proclamant l'an dernier, à la tribune de l'ONU, qu'un an plus tard, un État palestinien devrait lui aussi appartenir à l'organisation mondiale.

Nicolas Sarkozy avait fait une bonne analyse dans son interview à L'Express en mai. Et prendre l'initiative aurait été cohérent avec le lustre retrouvé par la diplomatie française en Méditerranée, après le naufrage tunisien de MAM, grâce à la « campagne de Libye ». Cohérent, aussi, avec son discours enflammé en faveur des « peuples » lors de la réunion internationale de soutien à la Libye à Paris début septembre.

Il avait tout à gagner, mais il a préféré s'aligner. Là où le général de Gaulle avait su assumer une vraie rupture en 1967, là où François Mitterrand avait été le premier à concilier l'amitié pour Israël avec le soutien à un Etat palestinien à la tribune de la Knesset en 1982, Nicolas Sarkozy n'aura pas réussi à imprimer sa marque. Lui qui a si vigoureusement cherché à se démarquer de ses prédecesseurs.

Sa tentative de compromis, exprimée à la tribune de l'ONU, avec l'offre aux Palestiniens d'un statut comparable à celui du Vatican accompagné d'un calendrier de négociation, lui a valu trois lignes dans le New York Times, la considération de ses pairs, et un rejet sans appel du gouvernement israélien.

Le président de la République, qui a proclamé son affection pour Israël comme aucun chef d'Etat français avant lui, n'a pas voulu embarrasser Obama, neutralisé, ni Israël, campé dans une intransigeance coupable, renforcée par l'assurance du véto américain.

Il n'a pas voulu non plus faire apparaître au grand jour une division européenne, due à la retenue allemande compréhensible vis-à-vis de l'Etat hébreu. Et, enfin, il n'a pas voulu prendre de risque vis-à-vis d'un hypothétique « vote juif » à huit mois de l'élection présidentielle.

La France a raté une occasion de montrer la voie en forçant, par son soutien diplomatique à l'initiative palestinienne, la reprise d'un véritable processus de paix depuis trop longtemps enlisé.

Car l'enjeu dépasse évidemment l'action diplomatique de Nicolas Sarkozy : c'est de la paix entre Israël et ses voisins palestiniens qu'il s'agit, dans un Proche-Orient rendu imprévisible par les révolutions arabes. Et cette paix passera par une internationalisation des négociations, le tête-à-tête israélo-palestinien depuis Oslo, il y a déjà dix-huit ans, ayant abouti dans un cul-de-sac.

Qui peut croire que dans cette région en ébullition, les Palestiniens accepteront éternellement un statu quo qui les marginalise ? C'est pour répondre à cette impatience que Mahmoud Abbas a fait le pari de la diplomatie plutôt que celle d'une nouvelle période de violence. Il n'y a pas eu une seule puissance à la hauteur de l'enjeu, et, hélas, pas même la France qui a manqué d'audace.

Pierre Haski

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Mahmoud Abbas, modérément extrémiste

Par Luc Rosenzweig

Que n'avions nous pas entendu dans les semaines précédant la demande officielle, par Mahmoud Abbas, de la reconnaissance de l'Etat palestinien par l'ONU ! Cette session de l'Assemblée générale des Nations Unies allait montrer combien Israël et son horrible premier ministre Benyamin Netanyahou étaient isolés, mis au ban des nations pour le traitement indigne qu'ils feraient subir au peuple palestinien.

Les commentateurs les plus réputés, y compris ceux de la gauche israélienne, parlaient d'un « tsunami diplomatique » qui allait ébranler durablement le statut international de l'État juif. Et causer quelques dommages collatéraux, comme la baisse vertigineuse du crédit de Barack Obama dans le monde arabo-musulman, en raison du veto annoncé des États-Unis à l'admission de la Palestine comme 194ème État membre de l'ONU.

C'était oublier la capacité des dirigeants palestiniens de ne « jamais manquer l'occasion de manquer une occasion », selon la fameuse formule d'Abba Eban, le premier chef de la diplomatie israélienne, pourtant réputé pour son opposition de « colombe » au « faucon » David Ben Gourion. De tsunami, l'offensive new-yorkaise de Mahmoud Abbas s'est transformée en vaguelette.

En choisissant une position maximaliste, consistant à solliciter auprès du Conseil de Sécurité l'admission de la Palestine comme État de plein droit au sein de l'organisation mondiale, le chef de l'Autorité palestinienne a mis dans l'embarras ceux-là mêmes qui auraient pu l'aider à atteindre cet objectif. Barack Obama, d'abord : la proximité de l'élection présidentielle américaine et sa situation délicate vis-à-vis d'un Congrès massivement pro-israélien, lui interdisaient de « renverser la table » en ne mettant pas son veto à cette démarche unilatérale. Les Européens, ensuite, que l'initiative palestinienne forçait à dévoiler, au moment du vote, leur profonde division sur la question, ce qui n'est jamais agréable.

Mahmoud Abbas a refusé toutes les perches tendues pour lui permettre de sortir la tête haute et renforcé d'une épreuve de force dont, une fois de plus, la population palestinienne fera les frais.
La suggestion française de renoncer à la demande d'adhésion plénière au Conseil de sécurité pour solliciter de l'Assemblée générale de l'ONU le statut « d'Etat non membre » était astucieuse : Mahmoud Abbas rentrait à Ramallah avec un vote massif en sa faveur, et une position renforcée dans de futures négociations bilatérales avec Israël.

En n'écoutant personne, même pas quelques « frères » arabes qui lui conseillaient d'accepter la suggestion française, Mahmoud Abbas a foncé droit dans le mur. Les Etats, contrairement aux opinions publiques, ne se laissent pas entraîner par les émotions. Le discours doloriste tenu à la tribune de l'Assemblée générale - assorti de quelques perles révisionnistes déniant aux Juifs toute relation avec la Terre Sainte (1) - a peut-être fait pleurer dans les chaumières pro-palestiniennes de nos contrées. Mais il n'a pas pu masquer le fait qu'il est pour le moins prématuré de donner un statut étatique à des territoires où ne règne pas, c'est le moins qu'on puisse dire, une unité de vue sur la stratégie vis-à-vis d'Israël : les maîtres de Gaza ne se sentent nullement liés par ce qui est décidé à Ramallah.

Même l'Espagne, pourtant réputée tête de file des soutiens des Palestiniens au sein de l'UE, a jugé utile de souligner, par la voix de sa ministre des Affaires étrangères, qu'il était temps, désormais, pour les chefs palestiniens de reconnaître Israël comme Etat juif, comme le stipule la toute première résolution de 1947 procédant au partage de la Palestine mandataire. Le retour triomphal de Mahmoud Abbas à Ramallah ne doit pas faire illusion : c'est son intransigeance sur la question des frontières, celle du droit au retour des réfugiés et son refus implicite de la légitimité de l'Etat juif qui étaient acclamés. Cela ne nous rapproche pas de la paix, mais nous en éloigne.

Luc Rosenzweig

(1) « Je viens d'une terre qui a vu la naissance de Jésus et l'ascension de Mahomet » Mahmoud Abbas, discours à l'ONU 23/09/2011

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