“Le Monde” censure-t-il “The Guardian” ?

Vous avez lu "Le Monde" aujourd'hui ? Ils publient un article du « Guardian » qui encense notre Président. En Grande-Bretagne, le Guardian est le journal de référence à gauche. N'empêche, il estime que Nicolas Sarkozy vaut peut-être mieux que le jugement que les Français portent sur lui.

Le journaliste du "Guardian" a rencontré des diplomates, des politiciens et des analystes britanniques qui ont vu Sarkozy au travail. Ils ne lui trouvent que des qualités : méthodique, stratégique, sérieux, déterminé, efficace. Bref, il a bluffé tout le monde. Bien sûr, les personnes interrogées lui trouvent aussi quelques défauts, mais rien de grave. « Il est également émotionnel, impétueux, "difficile à faire changer d'avis" et "très français".

En lisant que Nicolas Sarkozy était « émotionnel », j'ai tiqué. Il me semblait que le mot émotif aurait mieux convenu. Par curiosité, j'ai donc jeté un œil sur l'article dans sa version originale. Et là, surprise !

L'article écrit par John Enley dans "The Guardian" n'a pas été retranscrit en entier. Certains paragraphes qui figurent dans la version originale ont disparu de la traduction française. Ce qui est un peu gênant, c'est que (dans l'édition online en tout cas) ces coupes ne sont signalées ni dans l'introduction, ni par l'usage du signe typographique (…) pour signaler une coupe. Ce qui est encore plus gênant, c'est que les paragraphes supprimés sont ceux qui contrebalancent la tonalité générale de l'article très favorable à Nicolas Sarkozy.

En effet, John Enley n'a pas seulement interviewé des gens qui soulignent les qualités d'homme d'État de notre Président. Par contraste, il a aussi expliqué à quel point Sarkozy est détesté en France. Et c'est justement ces passages qu'on ne retrouve pas dans la traduction du "Monde".

Pour décrire les sentiments des Français à l'égard de leur Président, il fait le parallèle avec Margaret Thatcher lorsqu'elle était au sommet de son impopularité en Grande-Bretagne. La différence, dit-il, c'est que chez nous, ce qu'on détestait chez Thatcher, c'était sa politique et ses conséquences. « En France, c'est personnel. Ils haïssent Sarkozy. »

Dans l'article du "Monde", la haine des Français pour Sarkozy a disparu. La phrase "avec Sarkozy, c'est l'homme qui a du mal à passer" est restée. Mais il manque la partie du texte où John Enley explique pourquoi Nicolas Sarkozy ne ressemble pas aux autres présidents français.

"Généralement, ils ne sont pas petits, insistants, vulgaires, incultes, impulsifs, admirant sans vergogne l'argent et ceux qui en ont. Ils ne se marient pas non plus (trois mois après avoir divorcé de leur ancienne femme, et deux mois après rencontré la nouvelle) avec des ex-supermodels qui compteraient Eric Clapton et Mick Jagger parmi leurs conquêtes."

Et brutal avec ça ; regardez ce qu'il a dit sur les Roms. Et insultant aussi, content de traiter la jeunesse désoeuvrée de « racaille » qu'il faudrait chasser des rues à coup de Kärcher, et de dire « Casse-toi pauv' con ! » à ceux qui ne lui serreront pas la main.

Avec Sarkozy bien sûr, il ne s'agit pas à proprement parler de gaffes. Il est comme ça : une caricature. Le traiter de grossier bouffon bling-bling serait exagéré, mais ça traduit l'idée. (Sans oublier, bien sûr, qu'il n'est pas vraiment Français : son père est un aristocrate hongrois, apatride et sans titre de noblesse. Il n'a pas non plus été reçu à l'ENA, l'école des élites françaises, ni même une grande école.)

Bref, pour Nicolas Sarkozy, le but de la campagne est de nous convaincre que ses qualités d'homme d'État éclipsent tous les défauts qu'on lui connaît par ailleurs. Après avoir lu l'article dans sa version française, on se dit que c'est possible. Dans la version originale, c'est moins évident.

P.S. : sinon je n'ai rien contre "Le Monde", dont je lis les excellents articles tous les jours. Le mot "censure", c'est surtout pour faire un titre qui claque, mais quand même, c'est un peu bizarre...