Tour de France 2024: tout le peloton bluffé par Cavendish, "le meilleur sprinteur de l'histoire du cyclisme"

Il aurait pu plier bagage samedi soir. A sa place, beaucoup auraient pris un billet retour sans se retourner après avoir vécu un tel calvaire dans la fournaise italienne. Au fond, personne ne lui en aurait vraiment voulu. Mais Mark Cavendish n’est pas n’importe quel coureur. Et il n’a pas surmonté autant d’épreuves pour jeter l’éponge avant d’avoir atteint son rêve ultime. Alors il s’est accroché, cahin-caha, dès les premiers pourcentages de la première étape de ce Tour de France 2024, déversant toute l’eau de la mer Adriatique sur son crâne en surchauffe et bataillant pour survivre avec les autres rescapés du gruppetto. Bichonné par ses équipiers d’Astana, il lui a encore fallu tenir bon les trois jours suivants, et plus particulièrement mardi dans le décor féérique mais si éprouvant pour lui du Galibier.

Parmi les vainqueurs à l’applaudimètre chaque matin à la présentation des équipes, preuve que sa cote de popularité n’a rien perdu malgré le poids des années, "Cav" savait que son heure allait arriver. Il répétait à ses proches, à commencer par sa compagne Peta et ses enfants, présents à ses côtés sur ce Tour, qu’il était encore capable d’atteindre le Graal, du haut de ses 39 ans. Le grand jour a donc fini par arriver ce mercredi 3 juillet. Une date d’ores et déjà historique. Plus fort que Jasper Philipsen, plus fort qu’Alexander Kristoff, Arnaud De Lie et le reste de la meute, le Britannique est redevenu le temps d’un sprint le bourreau qui a martyrisé tant de coureurs dans les années 2010. Celui qui surgissait pour planter un coup d’accélérateur à 250 mètres de la ligne, puis un deuxième, histoire de laisser la concurrence dans le rétro. Tous les étés, le scénario se répétait en boucle sur les étapes de plaine du Tour.

L'émotion de Vinokourov

Il s’est reproduit au bout d’une longue journée d’ennui, marquée par une sieste collective et pas le moindre feu d’artifice. Après avoir eu droit pendant plus de cinq heures à un puissant somnifère et à d’interminables plans sur les églises de l’Ain, les téléspectateurs s’attendaient à voir une guerre entre affamés pour la victoire d’étape. Mais ils étaient sans doute peu nombreux à avoir posé une pièce sur Cavendish, qu’ils avaient quitté en pleurs l’an dernier, une épaule en vrac et contraint à l’abandon sur chute à Limoges lors de la huitième étape. Loin des doutes escortant son état de forme, l’homme de l'île de Man a mis tout le monde d’accord à Saint-Vulbas. Oui, il est bien le meilleur sprinteur de l’histoire. Oui, il est devenu le seul recordman de victoires d'étapes sur le Tour avec 35 bouquets, soit un de plus qu’Eddy Merckx. Et oui, il est toujours capable d’écœurer ses rivaux.

Il suffisait de voir l’émotion dans les yeux de son manager Alexander Vinokourov pour bien saisir la portée de cet exploit. "C’est énorme, je n’ai plus de voix. C’est un grand moment et une longue histoire. J'avais dit à Mark l’année dernière à Paris: ‘Si tu veux rester encore un an, je t’offre le contrat.’ Un champion comme lui devait essayer. Il voulait arrêter, puis il a parlé à sa famille, et maintenant on doit le féliciter. Il a su garder des forces, tenir après une première étape difficile, et aujourd’hui c’est une belle journée", souriait le Kazakh, avant de tomber dans les bras de son coureur Michael Morkov, l’ange-gardien de Cavendish chez Astana.

Lefevere bluffé par son ancien protégé

"Pour l’équipe, pour Mark, pour nous tous, ça n'est pas une simple victoire, c'était le principal objectif de toute l'équipe, de toute la saison. Vinokourov n'est pas un type qui pleure facilement et là il a les larmes aux yeux. Je n'arrive pas à croire qu'on y est arrivé dès la première tentative. Après avoir été pris dans la chute sur la troisième étape, c'était la première fois qu'on prenait part à un sprint sur ce Tour. On se disait que c'était faisable, mais là tout de suite, c'est difficile de réaliser que c'est vraiment arrivé", confiait l'infatigable soldat danois, fou de joie et dithyrambique à l’égard de son leader, félicité au même moment par le maillot jaune Tadej Pogacar.

"Beaucoup de choses ont joué cette année. L'équipe a tout mis en place pour essayer de bien l'entourer, et ça a marché. Ses victoires parlent pour lui, il a remporté plus de 160 victoires (165 très exactement, ndlr), et aujourd'hui, il a encore montré qu'il était un sprinteur incroyable. Il peut gagner après avoir été emmené, il peut gagner seul, il peut gagner dans toutes les circonstances, c'est peut-être le meilleur sprinteur de l'histoire du cyclisme", insistait Morkov, promettant "une énorme fête ce soir" à l'hôtel d'Astana. L’émotion était également présente quelques mètres plus loin, du côté de Patrick Lefevere, ancien patron du "Cav" chez Quick Step.

Madiot salue sa "détermination"

"Je lui dis chapeau! Quand je l’ai vu en difficulté lors de la première étape, je ne pensais pas que ce serait possible. Mais je le connais. J’ai vu dès le deuxième jour que son coup de pédale était meilleur. Et voilà qu’il écrit l’histoire. Il a toujours donné tort à ceux qui ne croyaient pas en lui. Il a toujours répondu à la pédale. C’est un sprinteur impulsif mais c’est un très bon gars. Même quand je ne l’avais plus dans mon équipe, il m’invitait toujours dans les meilleurs restaurants de Londres. Il a le cœur sur la main. Il n’oublie pas ce que les gens ont fait pour lui", confiait l’emblématique dirigeant belge. Pour mesurer ce que représente le personnage Cavendish, il faut aussi se tourner vers ceux qu’il aime tant malmener. Bluffés par ce modèle de résilience, tous ou presque semblaient encore plus contents que lui.

"Je n’avais aucun doute sur le fait qu’il puisse gagner sur ce Tour", disait ainsi Arnaud Démare (Arkéa-B&B Hotels), là où Anthony Turgis (TotalEnergies) saluait "un exemple à suivre". "Ça fait plaisir de le voir continuer à briller", ajoutait le coureur essonnien. "C’est historique. Plus que le résultat en lui-même, c’est sa force mentale, sa détermination et sa volonté pour aller chercher cette 35e victoire qui sont impressionnantes", soulignait Marc Madiot, manager de Groupama-FDJ. "Le voir gagner ici est vraiment génial. Il fait tout à la perfection, il a quasi 40 ans et il a même la petite étape (collée) sur le guidon comme si c'était son premier Tour de France", applaudissait le sprinteur belge Arnaud De Lie (Lotto-Dstny), quatrième à Saint-Vulbas.

Pour notre consultant Jérôme Coppel, Cavendish est tout simplement "tout en haut". "Il est légendaire. Il a toujours ce truc en plus et je suis très content pour lui. C’est complètement fou. Quand on voit comment il en chie sur la première étape, et comment il vient gagner aujourd’hui, c’est dingue. Sa science du placement reste incroyable. Et puis c’est un mec tourmenté, il a eu une grosse dépression, c’est le vélo et sa famille qui l’ont aidé. Il était habité par ce record. C’est ce qui lui a permis de garder la tête hors de l’eau quand il est passé par ces moments très difficiles." Des moments désormais bien loin pour celui qui se tient déjà prêt à remettre ça ce jeudi. Rendez-vous à Dijon pour écrire un peu plus l'histoire?

Article original publié sur RMC Sport