Arras : Comment Sophie Djigo, enseignante à Valenciennes, s’est retrouvée ciblée par l’extrême droite

Façade de l’établissement scolaire Gambetta, à Arras, cible d’une attaque terroriste ce vendredi 13 octobre.
DENIS CHARLET / AFP Façade de l’établissement scolaire Gambetta, à Arras, cible d’une attaque terroriste ce vendredi 13 octobre.

POLITIQUE - Enseigne-t-elle à Arras ? Non. A-t-elle un lien avec Dominique Bernard ou le collège-lycée Gambetta ? Pas davantage. Une connexion établie avec Mohammed M. et son attaque mortelle ? Toujours pas. Pourtant, ce vendredi 13 octobre, Sophie Djigo, professeure de philosophie dans le Nord, s’est retrouvée dans le viseur de l’extrême droite quelques minutes à peine après l’attaque commise dans l’établissement scolaire.

Son tort ? Des propos accordés à La Voix du Nord dans laquelle cette enseignante, qui avait été menacée par l’extrême droite pour une sortie pédagogique à Calais en décembre 2022, s’alarme contre le collectif « Parents vigilants », une association zemmouriste dont l’objectif affiché consiste à faire de l’entrisme au sein de l’Éducation nationale, via les élections de parents d’élèves (lesquelles ont eu lieu vendredi).

Face à cette tentative d’infiltration assumée par les intéressés, Sophie Djigo prône dans cet article « l’autodéfense intellectuelle », à travers notamment un collectif baptisé « Coordination antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques » (CAALAP). Celui-ci entend proposer aux enseignants subissant les pressions de l’extrême droite des outils pour y répondre, comme des formations, un guide pratique ou une base d’informations. Voilà donc ce qui vaut à Sophie Djigo, dont les propos ont été publiés dans le journal local jeudi 12 octobre, l’ire de plusieurs figures de l’extrême droite en ligne.

Viralité et menaces

Ce vendredi 13 octobre, il est midi et seize minutes quand Damien Rieu, cadre chez Reconquête ! en charge de la propagande numérique, publie un tweet visant à la fois l’enseignante et la journaliste qui lui a donné la parole. « Il y a 24 heures, la Voix du Nord et [Laurie Moniez] offraient une pleine page à une prof militante LFI dirigeante d’une association pro migrants pour expliquer que le danger à l’école, c’était les Parents vigilants de Reconquête. Aujourd’hui, un fan du Hamas frappe un lycée à Arras », tweete ce proche de Marion Maréchal.

Soit moins d’une demi-heure après la première alerte AFP sur l’attaque commise par Mohammed M., diffusée à 11 h 49. Ce samedi 14 octobre dans la matinée, ce message avait été vu plus de 350 000 fois, selon le compteur de vues affichées sur la publication. Puis c’est le compte de Pierre Sautarel, aux commandes du navire amiral de la fachosphère, Fdesouche, qui publie un tweet similaire, avec la même capture de l’article : plus de 480 000 vues.

Une viralité qui a entraîné son lot de commentaires orduriers, voire de menaces à l’encontre de l’enseignante, comme l’a rapporté Libération. Ce samedi, il suffit de taper le nom de Sophie Djigo dans la barre de recherche de X (ex-Twitter) ou de consulter les citations de la publication de Damien Rieu pour constater que de nombreuses menaces sont toujours en ligne. « Sophie Djigo était encore sous le choc de ce qui venait de se dérouler au lycée Gambetta d’Arras lorsqu’elle a découvert ce torrent de haine. Elle nous indique avoir procédé à un signalement auprès des forces de l’ordre et dit accuser le coup », écrit Libération.

Règlement de comptes

Comme expliqué plus haut, l’entretien donné dans la semaine à La Voix du Nord n’a pourtant aucun lien avec l’acte terroriste qui sera commis plus tard, puisqu’à aucun moment le terrorisme n’est évoqué, ni même la sécurité dans les établissements scolaires ou le suivi des fichés S. L’enseignante y explique vouloir riposter intellectuellement contre l’association « Parents Vigilants », dont la principale mission est la lutte contre le « grand endoctrinement », comprenant « l’effondrement du niveau scolaire », la « propagande LGBT » et la « détestation de la France ». Ce qui semble assez éloigné de l’enchaînement des faits ayant conduit Mohammed M. à passer à l’acte.

C’est donc davantage la personnalité de Sophie Djigo, fondatrice de l’association Migractions 59 et autrice du livre Les migrants de Calais, qui est ciblée, dans le but d’en faire une « complice » du terroriste, dont la famille avait fait l’objet d’une mesure d’expulsion il y a neuf sans, avant un retournement de situation sur fond de mobilisation d’associations pro-migrants. Soit une instrumentalisation sur fond de règlement de comptes politiques, très loin de la réalité du dossier et de la décence habituellement requise lors de ces drames.

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