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Zone euro: Macron en quête de concessions d'une Merkel affaiblie

par Marine Pennetier et Andreas Rinke

MESEBERG, Allemagne (Reuters) - Emmanuel Macron est arrivé mardi au château de Meseberg, près de Berlin, pour un tête-à-tête avec Angela Merkel dont il va tenter d'obtenir un accord sur la réforme de la zone euro malgré l'affaiblissement la chancelière allemande, dont l'autorité est minée par les dissensions internes à sa coalition.

Le chef de l'Etat français a été accueilli par son homologue à son arrivée au château, où doit se tenir un séminaire gouvernemental qui devrait être également dominé par la question migratoire dans le sillage de la crise de l'Aquarius.

Les deux dirigeants, qui n'ont fait aucune déclaration, ont quatre heures pour se mettre d'accord sur une feuille de route commune sur la zone euro en vue du Conseil européen à Bruxelles de fin juin qui, faute de consensus en amont entre Paris et Berlin, est voué à l'échec.

"Nous sommes à l'heure de vérité de la relation franco-allemande et à l'heure de vérité de l'avenir de la zone euro", a estimé le ministre français de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire sur BFM TV et RMC, estimant qu'un accord serait un "pas considérable dans le renforcement de la zone euro".

A défaut, a ajouté le ministre, qui a préparé la rencontre ces derniers mois lors de négociations marathon avec son homologue allemand Olaf Scholz, "nous rentrerons, je n'hésite pas à le dire, dans une zone de turbulence pour la zone euro et pour l'Union européenne de manière générale".

Emmanuel Macron martèle depuis des mois que le moment est "historique" : l'Europe et la zone euro doivent se mettre en ordre de bataille face aux attaques portées par le président américain Donald Trump contre le multilatéralisme et le faire de manière ambitieuse pour leur permettre de surmonter les crises.

Le président français avait exhorté l'Allemagne à surmonter ses "tabous" le 10 mai en recevant le Prix Charlemagne à Aix-la-Chapelle, devant Angela Merkel, qui avait dans la foulée assuré que les deux pays allaient "avancer".

PERPLEXITÉ FRANÇAISE

La perspective d'une guerre commerciale avec les Etats-Unis, où l'Allemagne a le plus à perdre de tous les pays de l'Union, ainsi que la montée du populisme dans nombre d'Etats membres sont pour beaucoup dans cette volonté affichée d'un rapprochement avec Paris sur la zone euro, les deux dirigeants étant d'accord sur les autres dossiers comme l'immigration ou la défense européenne.

Mais à Paris, au-delà d'un optimisme affiché sur l'évolution des discussions, les responsables français sont perplexes devant les dégâts provoqués par les tensions sur l'immigration entre les deux pans de la droite au sein sa coalition.

Les Bavarois de l'Union Chrétienne-Sociale (CSU) et les chrétiens-démocrates de la CDU, le parti de la chancelière, se déchirent sur l'accueil des migrants et la CSU prône sur ce point une alliance avec l'Italie et l'Autriche, deux pays gouvernés par des populistes anti-immigration.

"Chacun joue sa propre partition au sein de la coalition", note un diplomate français. "L'autorité de la chancelière sur ses ministres n'est plus ce qu'elle était. On a le sentiment qu'Angela Merkel veut aller de l'avant mais qu'en sera-t-il exactement? On attend de voir."

En outre, la France n'entend pas accepter un accord a minima pour respecter les "tabous" allemands.

"Nous ne voulons pas d'un accord à tout prix, ce serait une erreur. Nous ne voulons pas d'un accord de façade. Si le message c'est : on a une petite réforme, ce serait contre-productif", explique un haut responsable français.

Pour Claire Demesmay, spécialiste des relations franco-allemandes, "Merkel a des problèmes en interne mais pour Macron c'est pire : il est totalement dépendant de l'Allemagne pour faire réussir sa réforme de l'Europe".

UN VRAI BUDGET DE LA ZONE EURO

Deux dossiers, l'achèvement de l'union bancaire et la création d'un budget de la zone euro, sont jugés cruciaux par la France pour donner à la monnaie unique des outils qui lui permettraient de traverser une crise autrement plus importante que celle dont sort à peine la Grèce - le spectre d'une faillite des banques italiennes est dans tous les esprits.

La France sait qu'il est trop tôt pour envisager un accord sur la mise en place d'un système européen définitif de garantie des dépôts bancaires (SEGD, EDIS) qui rassurerait les épargnants, après les piliers "supervision" et "résolution" (traitement des faillites) de l'union bancaire.

La France, disent ses diplomates, est consciente que le sujet n'est pas mûr, mais souhaite que le nécessaire soit fait pour parvenir à une garantie complète en 2024, date à laquelle 100% des besoins de remboursement d'un fonds national à bout de ressources seraient pris en charge par un instrument européen.

"A minima, le début des discussions nous paraît indispensable", souligne un diplomate français.

L'union bancaire ne sera efficace qu'en mettant en place un "backstop" (filet de sécurité en cas de "résolution bancaire", c'est-à-dire une faillite), estime la France, qui entend y arriver en 2024 et veut qu'il puisse être activé en quelques heures pour éviter la propagation d'une crise.

Enfin, si Angela Merkel s'est déclarée favorable à la proposition française de doter la zone euro d'une "capacité budgétaire", elle envisage un montant limité à deux chiffres en milliards d'euros (soit quelques dizaines de milliards d'euros) de dépenses d'investissement pour encourager les réformes chez les bons élèves de la zone euro.

La France souhaite pour sa part un budget équivalent à "plusieurs points du PIB de la zone euro", soit plusieurs centaines de milliards d'euros, chargé de faire de l'investissement mais aussi de la stabilisation en cas de crise.

"Le but, ce n'est pas de faire le meilleur affichage de chiffres, c'est d'être crédible", souligne-t-on à l'Elysée. "Il y aura une trajectoire de montée en puissance, au début on ne commencerait pas avec des centaines de milliards d'euros".

(avec Myriam Rivet à Paris, édité par Yves Clarisse)