Zoé Adjani : "Le théâtre, cette incroyable alchimie"
Pourquoi avez-vous choisi Les Caprices de Marianne pour faire vos premiers pas au théâtre ?
Ce sont mes premiers pas à Paris et ma première pièce classique. En réalité, j’ai commencé cet été lors du festival Off d’Avignon. Au théâtre La Luna, j’ai joué Moi j’ai choisi d’aimer de Cliff Paillé. Pendant un an, j’ai participé à la création de ce spectacle choral traitant de la vision de la jeunesse sur la fin du monde. C’est là que j’ai fait mes armes, appris à poser ma voix, à me déplacer sur scène. Sans cet apprentissage, je n’aurais pas eu la même assurance pour me lancer dans Les Caprices de Marianne.
Vous sentiez-vous plus légitime dans l’univers du cinéma ?
J’ai grandi sur les plateaux. Depuis l’âge de 5 ans, j’assiste à des tournages. Ma mère est productrice de documentaires et mon beau-père, cameraman. Le cinéma, c’est ma maison. J’adore m’imprégner de tous ses corps de métier. J’ai été assistante de production sur un petit projet, et j’ai aussi fait de la régie.
Votre mère vous a inscrite à des cours de théâtre à 5 ans. Vous avez fait un bac littéraire option théâtre. Mais nulle trace d’école ni de conservatoire dans votre parcours. Pourquoi ?
Par peur. Le groupe et moi, cela a été compliqué pendant longtemps. Surtout à l’adolescence quand je fréquentais des jeunes gens qui voulaient faire le même métier que moi. J’étais comme un mauvais miroir. J’étais la nièce de...
Votre nom a-t-il été un handicap ?
Il ne me desservait pas mais me mettait souvent en porte à faux. Il pouvait m’exclure. Je n’ai pas voulu me confronter à cette possibilité de rejet. Mais soyons francs, j’avais aussi peur de ne pas réussir les concours d’entrée.
Quand avez-vous su que c’est ce métier de comédienne que vous vouliez faire ?
Lors de mon premier film, Cerise de Jérôme Enrico. J’avais 15 ans et enfin l’impression d’être à ma place. Avant, je n’étais qu’une petite souris hantant les plateaux. À 12 ans, j’ai découvert le pouvoir du cinéma au cours du tournage au Maroc de La Source des femmes de Radu Mihaileanu. J’avais été fascinée par Leïla Bekhti que je voyais complètement investie par son personnage, apprenant l’arabe, lisant Les Mille et Une Nuits. Cette expérience a contribué à me rapprocher de mes racines kabyles, une histoire que j’ai pu poursuivre avec mon rôle de jeune femme franco-algérienne dans Cigare au miel de Kamir Aïnouz. C’était la première fois que je me rendais en Algérie.
Ce personnage de Selma n’est pas si éloigné de celui de la Marianne de Musset, non ?
Je m’aperçois en vous parlant que tous mes rôles parlent de la place de la femme dans la société, de l’éveil au désir, de la question du corps. C’est assez féministe, finalement. La soumission de la femme est aussi présente dans la série de France 2, Filles du feu, qui raconte une chasse aux sorcières au Pays basque en 1609. J’y incarne Morguy, fille d’une avorteuse-guérisseuse, à la sensibilité à fleur de peau.
Pourquoi le metteur en scène Philippe Calvario a-t-il pensé à vous pour jouer Marianne ?
Sans doute pour mon côté sanguin et direct. D’ailleurs quand on s’est vus la première fois, je lui ai dit que je voulais jouer le rôle masculin d’Octave (rires). En fait, il ne voulait pas d’une Marianne fade mais d’une héroïne allant crescendo pour se libérer verbalement et physiquement de l’emprise masculine. En sortant du jeu des apparences et de la place qu’on lui impose de par sa beauté, Marianne est tellement moderne !
Y a-t-il d’autres rôles que vous aimeriez interpréter au théâtre ?
J’aimerais beaucoup explorer le tréfonds de l’âme humaine à travers l’univers âpre de la tragédie, incarner Hermione ou Médée par exemple. Je souhaiterais éprouver la force et la rage des émotions de ces deux personnages.
Avez-vous le tract ?
La première fois que j’ai joué Les Caprices à la Comédie de Picardie, à Amiens, j’étais morte de peur. C’était l’enfer. Plus de souffle, plus de voix, je ne tenais plus sur mes jambes et je vous épargne certains détails (rires). Mais dès que je suis entrée sur scène, ces sensations m’ont quittée. C’était magique ! Le théâtre, c’est une incroyable alchimie.
Dans quel état d’esprit envisagez-vous ce métier ?
J’ai 24 ans et j’arrive jusqu’à présent à en vivre. Sans faire de concessions. Je me suis donné le luxe du choix, celui de n’accepter que des rôles que je voulais réellement défendre, quitte à faire des petits jobs pour tenir, comme de l’aide aux devoirs, du baby-sitting.
Votre tante a commencé aussi en interprétant un personnage classique...
En effet, avec Agnès de L’École des femmes. Elle avait 16 ans. Ce fut la plus jeune à entrer à la Comédie-Française. De toute façon, elle a un palmarès imbattable (rires).
L’avez-vous vue au théâtre ?
Sur la scène du Marigny dans La Dernière nuit pour Marie Stuart, puis aux Bouffes du Nord dans Opening Night, d’après John Cassavetes. On a même travaillé ensemble sur ce spectacle de Cyril Teste. J’apparaissais dans une vidéo projetée dans la salle. Je jouais une jeune fille morte hantant l’esprit de l’héroïne.
Va-t-elle assister à l’une de vos représentations ?
Je lui ai demandé de nous laisser deux semaines de rodage. Elle a hâte de venir, m’a-t-elle confié. Si j’ai des interrogations, des doutes, je sais qu’elle sera là pour me prodiguer de précieux conseils. C’est la première à vouloir m’aider. Sa porte m’a toujours été ouverte. C’est une femme brillante et cultivée. Une vraie gentille. Elle me dit souvent : "Heureusement que je n’ai jamais été professeure de théâtre, j’aurais été tellement exigeante." Et pourtant, elle aurait tant à donner...
* Les Caprices de Marianne, mise en scène de Philippe Calvario, jusqu’au 30 mars, au Théâtre des Gémeaux Parisiens, Paris XXe. www.theatredesgemeauxparisiens.com
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