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Le "wokisme", nouvelle cible des critiques de Jean-Michel Blanquer après l'"islamo-gauchisme"

Le ministre a lancé son "Laboratoire de la République", un think-tank ciblant explicitement "le wokisme". Mais de quoi s'agit-il?

POLITIQUE - “Ce qu’on appelle communément l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université”. Voici ce que déclarait Jean-Michel Blanquer il y a précisément un an. Mais en octobre 2021, la menace qui plane selon lui sur le monde académique porte désormais un nom d’inspiration américaine: le “wokisme”. Au point d’avoir lancé, ce mercredi 13 octobre, “Le Laboratoire de la République”, un groupe de réflexion visant, entre autres, à lutter contre l’influence de cette “idéologie” importée d’outre-Atlantique et qui menacerait, selon lui, la jeune.

Un mouvement décrit par le ministre de l’Éducation nationale comme une “pensée de la fragmentation” qui serait contraire à l’idéal républicain. Dans une interview au Monde, Jean-Michel Blanquer va même jusqu’à affirmer que cette menace peut provoquer des événements qui peuvent bouleverser la face du monde. “Aux États-Unis, cette idéologie a pu amener, par réaction, Donald Trump au pouvoir, et la France et sa jeunesse doivent échapper à ça”, affirme le ministre, pour qui le “wokisme” consiste à faire rentrer la société “dans une compétition de ressentiments” entre différentes minorités. Et qui, par ricochet, entraînerait un repli identitaire de personnes qui voudraient s’y opposer.

Quelques semaines plus tôt, Jean-Michel Blanquer considérait déjà “que ces mouvements sont une profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation. Ils remettent en cause l’humanisme, issu lui-même de longs siècles de maturation de notre société”. Et il n’est pas le seul au sein du gouvernement à avoir ce concept nébuleux dans le viseur. Début septembre, Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la jeunesse, dénonçait la “woke culture” à l’aune de la mise en examen d’Agnès Buzyn par la Cour de Justice de la République. Par ailleurs, plusieurs ministres étaient présents mercredi pour le lancement du think-tank de Jean-Michel Blanquer, comme Emmanuelle Wargon ou Bérangère Abba. Lors du lancement de son parti le week-end dernier, Édouard Philippe a lui aussi ciblé “le wokisme, la cancel culture, et tout le tintouin”.

 

D’où vient le “wokisme”?

Si vous n’avez jamais entendu parler de “wokisme” et que vous ne voyez pas du tout à quoi cela peut correspondre, pas de panique. Vous vous situez dans la très large majorité de Français qui sont étrangers à ce terme et à sa définition (si tant est qu’on puisse en faire une). Au mois de mars, un sondage Ifop montrait que 86% des Français n’avaient jamais entendu parler de “pensée woke”. Ainsi, une brève explication s’impose. L’expression est tirée du verbe anglais to wake, qui signifie “se réveiller”. Elle a conquis le champ lexical militant aux États-Unis dans le contexte de la lutte des Noirs américains pour les droits civiques.

“Cette expression argotique a cheminé dans le monde africain-américain à partir des années 1960”, expliquait au Monde l’historien Pap Ndiaye, spécialiste de l’histoire sociale des États-Unis. Avec les années, le terme a progressivement évolué et a embrassé d’autres causes, toujours chez l’oncle Sam. Et pourrait se résumer ainsi: être ”éveillé” aux oppressions vécues par les minorités. Aux États-Unis, et même en France, l’élue démocrate Alexandria Occasio-Cortez est souvent présentée comme l’une des figures de la pensée “woke”.

Pour ses détracteurs français, cette “idéologie” attribuée un peu vite à “l’extrême gauche américaine” serait à peu près responsable de toutes les revendications d’inclusivité exprimées par les minorités. Cela irait de l’écriture inclusive à la remise en cause des traditionnels modèles de représentation (le dernier James Bond est par exemple accusé de flatter la culture “woke”). Ses ennemis prêtent également au “wokisme” le déboulonnage des statues, l’introduction dans le débat du concept de “race” (en pointant notamment le “privilège blanc”) ou encore de diviser le monde entre oppressés et oppresseurs. Ce qui, in fine, menacerait l’universalisme dont se réclame la République.

En réalité, et comme souvent, les choses sont plus complexes, et la levée de boucliers que le “wokisme” produit est souvent le fait de milieux conservateurs qui auraient tendance à exagérer ses effets (comme l’observait récemment le sociologue Michel Wieviorka dans les colonnes de L’Express).

”Ça n’intéresse que des cercles parisiens”

Et pourquoi donc Jean-Michel Blanquer déploie-t-il autant d’énergie à se jeter dans ce débat qui, aussi obscur qu’il puisse paraître, pourrait donner à terme l’impression de ménager les systèmes d’oppression qui peuvent être à l’œuvre dans la société? C’est une question que certains se posent en macronie, même si plusieurs ministres et députés en pincent pour cette croisade.

“J’ai du mal à voir en quoi cette initiative sert le Président”, grince un marcheur historique, pour qui “ces histoires de ‘wokisme’ n’intéressent que des cercles parisiens”. Et d’ajouter: ”à six mois de la présidentielle, je pense que la meilleure façon de mobiliser nos efforts, c’est d’aller défendre le bilan, notamment en termes de pouvoir d’achat et de retour des services publics”.

“Je ne comprends pas cette obsession pour le ‘wokisme’. On vient de voter une loi sur les séparatismes qui se suffit à elle-même. Pas besoin d’être dans la surenchère permanente, l’extrême droite et l’extrême gauche suffisent malheureusement amplement à cela”, regrette de son côté un député LREM influent.

Qu’importe, pour le ministre de l’Éducation nationale, la lutte contre le “wokisme”, c’est bien le futur. “Nous devons regarder comment cela débouche sur des politiques publiques du XXIe siècle”, a-t-il lancé mercredi. Pour revenir à l’enquête Ifop mentionnée plus haut, sur les 14% de Français qui avaient entendu parler du terme, seulement 6% affirmaient savoir de quoi il s’agissait. Une infime marge que ne néglige pas Jean-Michel Blanquer. “Même si le mot ‘woke’ est encore méconnu en France, c’est considéré comme l’élément de clivage numéro un aux États-Unis et ça a conduit à des polarisations très fortes”, a-t-il assuré. Reste à savoir si mettre ainsi en lumière la lutte contre le “wokisme” ne revient pas à accentuer ce clivage.

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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