Wenworth Miller atteint d'autisme : le parcours du combattant pour un diagnostic à l'âge adulte

“Obtenir un diagnostic est salvateur. S’il ne change rien à la personne, il change tout pour elle, il lui permet de savoir qui elle est pour avancer” (Photo: Albert L. Ortega via Getty Images)
“Obtenir un diagnostic est salvateur. S’il ne change rien à la personne, il change tout pour elle, il lui permet de savoir qui elle est pour avancer” (Photo: Albert L. Ortega via Getty Images)

AUTISME - “Je suis un homme d’âge moyen. Je n’ai pas 5 ans. Et je reconnais aussi que l’accès à un diagnostic est un privilège que beaucoup n’ont pas”. Sur son compte Instagram, dimanche 25 juillet, l’acteur star de Prison Break, Wentworth Miller, a révélé avoir reçu un diagnostic d’autisme. “Disons juste que ça a été un choc. Mais pas une surprise”, poursuit-il.

Obtenir un tel diagnostic à l’âge adulte n’a rien d’aisé, et l’acteur de 49 ans reconnaît ici son privilège. Pourtant, pour les personnes concernées, pouvoir mettre des mots sur ce qu’elles vivent est d’une importance capitale.

“Obtenir un diagnostic est salvateur. S’il ne change rien à la personne, il change tout pour elle, il lui permet de savoir qui elle est pour avancer”. Alexandra Reynaud sait bien de quoi elle parle. En 2009, à l’âge de 32 ans, on lui annonçait qu’elle était autiste Asperger avec très haut QI.

Trois longues années auront été nécessaires à l’établissement de ce diagnostic. Une prise en charge déjà longue pour les enfants, mais qui est encore plus complexe à l’âge adulte. Et c’est en partie pour pallier ce problème que le gouvernement annonçait en 2018 le quatrième plan autisme.

“Dans la nouvelle stratégie, nous voulons pouvoir diagnostiquer les adultes qui ont des prises en charge qui ne sont pas adaptées, qui sont dans les hôpitaux psychiatriques où ils n’ont rien à faire ou alors dans des établissements médico-sociaux sans une bonne prise en charge parce non diagnostiqués”, soulignait alors Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, au micro d’Europe 1.

À l’Assemblée nationale, elle reconnaissait elle-même qu’il s’agissait d’un véritable “parcours du combattant indigne de notre République”. Une formulation qu’Alexandra Reynaud, autrice d’Asperger et fière de l’être, Voyage au cœur d’un autisme pas comme les autres, adoptait elle aussi dans ce livre et sur son blog en août 2017. “Autant pour passer un bilan psychologique en vue d’identifier une hypothétique douance intellectuelle, c’est finalement assez simple (si si, croyez-moi ça l’est, comparativement au parcours du combattant que représente un bilan lié au spectre autistique). [...] Autant pour les TSA en règle générale, et en particulier sur un adulte, c’est une autre histoire”, écrivait-elle.

Des signes mieux connus chez les enfants

Un parcours du combattant, mais pourquoi? “Les adultes sont les grands oubliés des plans autisme. C’est extrêmement compliqué de les diagnostiquer car il existe très peu de professionnels pour le faire”, avance Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, contactée par Le HuffPost. “Les enfants peuvent être prédiagnostiqués lors d’une consultation chez le pédiatre ou le généraliste parce que les signes sont mieux connus. Les psychiatres ne sont pas spécialisés pour reconnaître les adultes, qui s’en rendent souvent compte d’eux-mêmes de par leurs grandes difficultés affectives”, poursuit-elle.

C’est ce qui est arrivé à Alexandra Reynaud, 38 ans aujourd’hui. En 2009, peu après que son fils a lui-même été diagnostiqué autiste Asperger, elle s’interroge: “peut-être suis-je autiste à 29 ans. Mais comment est-ce possible que personne n’ait rien vu avant?” C’est en lisant le livre de Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu, le témoignage d’une personne autiste Asperger, qu’elle prend conscience des similitudes avec ses propres comportements. “J’étais presque comme éblouie, j’ai compris que j’étais concernée”, se souvient-elle auprès du HuffPost.

Très vite, elle prend contact avec un psychiatre, pensant que n’importe quel spécialiste de la santé mentale serait capable de poser un diagnostic. “À cette époque, personne ne parlait des troubles du spectre de l’autisme (TSA). On n’imaginait que des enfants coupés du monde, dans leur bulle. J’ai essayé de trouver des informations mais je ne savais pas où je mettais les pieds. Si j’avais su que cela prendrait trois ans, peut-être n’aurais-je pas entamé ces démarches”, avoue-t-elle. Le psychiatre en question, honnête quant à son incapacité à poser un tel diagnostic, l’oriente alors vers un Centre Ressources Autisme (CRA).

Peu de professionnels spécialisés et d’unités dédiées aux adultes

C’est là l’autre problème auquel sont confrontés les adultes. Au-delà des difficultés à les repérer, il n’existe que peu d’unités spécialisées et qui leur sont dédiées. “Tous les CRA ne disposent pas d’unité dédiée aux adultes”, affirme Danièle Langloys. “Et même s’il y en a une, il faut en moyenne deux ans pour obtenir un diagnostic.”

Aujourd’hui, il existe deux manières différentes de se faire diagnostiquer de TSA. Une personne peut consulter un psychiatre spécialisé. Ou elle peut envoyer un dossier à un CRA, qui centralise et dispatche les différentes demandes à des unités. Ce sont ces unités, composées de plusieurs professionnels -au moins deux, un psychiatre et un psychologue ou neuropsychologue- qui vont évaluer le patient. Selon les besoins, d’autres spécialistes comme des orthophonistes peuvent être présents.

Un historique de la personne est réalisé, ainsi que des tests de QI et autres tests spécifiques. Ces entretiens et évaluations s’étalent sur une journée et demie. À l’issue de ceux-ci, les professionnels discutent et établissent ensemble un diagnostic qui est restitué en détail à la personne concernée.

De plus en plus de psychologues se spécialisent sur l’autisme. Et ils sont capables de détecter des TSA. Mais ces diagnostics, sans être confirmés par un médecin, n’ont de valeur que pour la personne qui sait alors de quoi il en retourne. Car un diagnostic de psychologue n’est pas reconnu par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

“L’attente semble irréelle”

C’est donc le CRA qu’Alexandra Reynaud a choisi. “Je ne voulais pas de diagnostic de complaisance, j’avais besoin de savoir si j’étais sur la bonne voie, d’être confrontée à un regard objectif”, explique-t-elle. Elle envoie alors un courrier au CRA, expliquant les raisons de cette demande de diagnostic. À ce courrier, elle reçoit une réponse lui disant que sa requête est prise en charge. Puis c’est un long tunnel de deux ans. “J’appelais régulièrement et on me répondait: ‘quand il y aura des places, on reviendra vers vous’. Dans ces moments-là, on se pose plein de questions, on se dit qu’on n’y arrivera jamais, l’attente semble irréelle. Pour quelqu’un qui est dans l’attente d’une validation de diagnostic, c’est un véritable parcours du combattant”, regrette-t-elle.

Ce n’est qu’après deux ans qu’on lui annonce qu’elle peut être dirigée vers une unité dédiée aux adultes venant d’être créée. À partir de là, certes, tout est allé très vite, la prise de rendez-vous, l’établissement et la restitution du diagnostic.

Reste que ces délais qui sont déjà très longs pour un enfant, le sont peut-être encore plus pour un adulte qui, à 25, 30 ou 50 ans, peut ressentir l’urgence de savoir. Et ces démarches ne sont pas facilitées aujourd’hui, car “de plus en plus de CRA demandent un prédiagnostic dans le privé”, réalisé par un psychiatre donc. Une manière de faire le tri pour gagner du temps au sein des CRA mais qui complexifie encore un peu plus la tâche des premiers concernés.

Alors quelles sont les solutions? Plus d’unités et de personnel? “Un repérage massif dans tous les établissements sanitaires, des évaluations fonctionnelles pour ces personnes”, avance Danièle Langloys, qui insiste aussi sur la nécessité de “réparer les dégâts pour tous ces adultes non diagnostiqués, ceux qui se retrouvent avec trop peu d’outils de communication et d’autonomie”. Selon des estimations, 600.000 adultes à des degrés différents seraient touchés par les TSA, mais il reste impossible, faute de véritables données épidémiologiques, de savoir exactement combien ils sont.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.