Walter Hill : "De mon temps, on disait : les gags sont marrants mais les balles sont réelles. Aujourd’hui tout tourne trop à la rigolade..."

Dites-nous ce qui vous a attiré vers Revenger et de quoi aviez-vous envie de parler avec ce film d’action atypique ?

Walter Hill : Ce qui m’a attiré c’est en effet une histoire atypique avec un personnage qui va traverser une grosse crise existentielle et dans un style filmé proche de la bande-dessinée. D’ailleurs à l’origine c’était un script que nous avions adapté en BD avec l’écrivain Denis Hamill. Puis nous avons rencontré le producteur français Said Ben Said (“Elle”), qui acceptait de financer le film à condition que nous ayons quelques noms au générique et que le budget soit très modeste. Et comme j’avais passé 10 ans sur ce projet et que cela me tenait à coeur, nous avons foncé et lancé le tournage à la Nouvelle-Orléans où j’avais d’ailleurs tourné mon film précédent, Du plomb dans la tête, aussi tiré d’une BD et avec Sylvester Stallone. Les gens reprochent toujours à mes films d'être très macho, très masculins... Cette fois-ci, avec Revenger, je voulais prouver que je pouvais faire une histoire plus féminine avec des actrices de talent comme Michelle Rodriguez et Sigourney Weaver. En fin de compte, ce qui est important c’est de créer la meilleure histoire possible et de fédérer ainsi le public.

Pourquoi ce choix de Michelle Rodriguez, la badass girl de "Fast and Furious" et "Avatar" ?

Michelle voulait vraiment faire ce film. Nous avons donc décidé de nous rencontrer et de discuter du film autour d'un déjeuner. Pas mal de personnes m’avait prévenu qu’elle était forte tête et pas facile à gérer. Mais, au contraire, nous nous sommes bien entendus et sommes tombés d’accord sur tous les points principaux du film. A la fin du déjeuner, elle m’a lancé : "Je ne sais pas qui vous prendrez au final comme actrice mais je vous garantis qu’il n’y a personne comme moi, homme ou femme, qui sache magner aussi bien les flingues !". Ca m'a cloué sur place et j’ai réalisé qu’elle avait la trempe pour jouer le rôle déjanté de Frank Kitchen. De plus, ce n’est pas un rôle facile pour une actrice car il lui faut penser comme un homme tout du long du film. Même si Frank devient femme physiquement, il n’en reste pas moins le macho qu’il était. Donc c’est un vrai défi pour une actrice et je crois que personne n'aurait pu s’en sortir aussi bien que Michelle. Et évidemment je ne voulais pas faire l’inverse car de prendre un homme pour jouer le rôle d’une femme aurait demandé un maquillage bien trop important. Tandis qu’avec Michelle, mis à part la scène frontale lorsqu’elle sort de la douche et où on voit clairement son pénis, c’était beaucoup plus simple.

Justement, parler nous de cette scène avec Michelle Rodriguez nue et en “homme"...

J’avais promis à Michelle qu’elle allait rendre jaloux tous les mecs sur le tournage avec cette scène car on lui a “greffer” un pénis de large envergure. Et vous auriez dû voir la tête de certains hommes ce jour-là. Michelle était très fière de son pénis ! (rires). Je pense qu’après cette scène, plus personne ne pense à Michelle Rodriguez mais voit juste Frank Kitchen.


Michelle Rodriguez le flingueur devenu fingueuse de Revenger

Outre ce changement d'identité sexuelle, avez-vous dû faire face à d’autres défis pour réaliser ce film ?

Le plus gros défi fut de faire un film d'action avec un budget limité et un planning serré. Mais avant cela, il a fallu trouver le financement de Revenger. Pour les distributeurs américains habituels, le film n’était ni un gros film d’action avec de grandes stars ni une adaptation bande-dessinée très connue. Il était donc difficile de trouver le soutien financier nécessaire. Et le fait que le personnage principal soit une femme a fait fuir les producteurs américains. Malgré le succès de films comme la franchise Alien ou Resident Evil, il toujours encore dur de faire un film d’action à budget modéré qui ne soit pas basé sur une franchise connue et avec une star.

Vous venez de mentionner la franchise Alien. Etes-vous encore impliqué comme producteur sur la saga ?

En fait, j’ai surtout travaillé comme producteur et auteur sur les trois premiers Aliens mais depuis je me focalise sur mes propres projets originaux.

Vous êtes à Hollywood depuis quelques décennies, comment jugez-vous l'évolution du business ? Est-ce de plus en plus difficile de faire des films, surtout avec la concurrence des plateformes comme Netflix, Hulu et Amazon et le succès des séries TV ?

Oui, nous vivons des temps difficiles. Tous les studios sont en difficulté et font de moins en moins de films, à part quelques gros films d’action et de super-héros. Et même ces gros films sont des montages de co-financement avec plusieurs entités externes aux studios. Et parfois pour des budgets plus humbles, ils se focalisent sur des comédies avec des stars connues ou des films d’horreur à gros concept, ce qui n’est pas ma spécialité. Et donc comme mes films sont plus des drames d’action, je suis forcé de trouver des soutiens financiers en dehors d’Hollywood et à des hauteurs de budget beaucoup moins importantes que mes films d’il y a 10 ou 15 ans.

N’avez-vous jamais eu la tentation de sauter sur l’occasion de réaliser un gros films de super-héros, d’autant qu’ils sont basés sur des BD, un univers qui vous est familier ?

Non, vraiment pas, car ces gros films de super-héros sont des grosses machines de studio avec des règles du jeu que je n’aime pas. Ce genre de grosses machines est vraiment la création du studio et non du réalisateur. Et de mon temps, les films de ce type - les films d’action à gros budget - semblaient être plus réalistes que tous ces films de super-héros où personne ne meure vraiment et où tout est over the top. De mon temps, on disait: “les gags sont marrants mais les balles sont réelles”. Aujourd’hui tout tourne trop à la rigolade et rien n’a plus de sens, rien n’est plus vraisemblable et ancré dans la réalité. Donc c’est bien dur pour moi d’avoir cet état d’esprit. De nos jours, les super-héros ne peuvent pas mourir car ils doivent vivre et continuer la franchise à l’infini. Pour moi, les films d’action sont un hommage au courage humain qui se bat envers et contre tout. Lorsque vous montrez que la violence a des conséquences, cela rend beaucoup plus hommage au sens héroïque de l’humain. Et pour moi, un film comme Les 7 Samourais a beaucoup plus de force et d’impact que tous les films de super-héros qui sortent en ce moment. Mais bon, je suis peut-être juste un vieux grincheux qui a la nostalgie d’une autre époque. (rires) Les films de super-héros ont beau avoir de gros effets et de gros budgets, ils n’ont pas de coeur et pas d'âme.

Et pour vous les chaînes TV, les plateformes Netflix et autres ne seraient-elles pas des sources financières à courtiser ?

Oui, c’est vrai que tout le monde à Hollywood, y compris toutes les grandes stars, font les yeux doux à la télé, Netflix, Amazon et autres. C’est assez ironique car il y a tout juste 2 ou 3 ans, personne ne voulait s'abaisser à faire de la TV ou des séries pour les plateformes digitales. Mais le problème c’est que nombre de réalisateurs et d'écrivains comme moi ont été formés avec l’idée qu'une histoire a un début et une fin. Même quand j’ai réalisé le pilote de Deadwood, ce fut un sentiment bizarre de ne pas vraiment finir mon histoire puisque toute une série d’épisodes allaient suivre. Mais c’est la tendance du moment. Mon univers c’est une histoire unique, contenue en un épisode. Il ne m'est donc pas facile de m’adapter à la situation actuelle... d’autant que ce système de saison après saison avec progression de l’histoire est une chose récente. Avant vous aviez aussi des séries, mais chaque épisode avait une histoire unique qui finissait avant de passer à la suivante. L’évolution des séries TV est intéressante.

Si je vous dis maintenant des titres de vos anciens films, que vous vient-il à l’esprit : Les Guerriers de la nuit ?

Des nuits de travail sans fin ! Epuisant !

Les Rues de feu ?

Du bruit et encore du bruit ! Des grosses cylindrées. Et comme je suis un fan de musique, j’étais très heureux de travailler sur ce que je considère un drame/comédie musicale. La musique est un grand stimulant créatif pour moi et c’est l’exemple parfait avec ce film.

48 Heures ?

Le plaisir de travailler avec Nick Nolte et Eddie Murphy ! J’ain également aprécié les performances de James Remar et Sonny Landham. C’était un été caniculaire et nous avions tous chaud à tourner dans les rues de Los Angeles. Mais quelle folle énergie et quel enthousiasme !

Sans retour ?

Des marécages sans fin ! L’enfer total ! (rires) Mais quels talentueux acteurs capables de survivre à l’épreuve que je leur infligeais !

Et votre avant dernier film : Du plomb dans la tête ?

Encore un film tourné à la Nouvelle-Orléans, où je n’arrête pas de prendre du poids à cause du nombre de bons restaurants. On avait envie de travailler ensemble avec Sly depuis des années et on a trouvé que ce projet était parfait pour une collaboration. Je me souviens qu’il m’avait appelé en me disant : "Walter, il ne nous reste plus trop d’années devant nous alors on fonce et on fait ce film !". Quel sens de l’humour, Sly ! Quelle générosité ! C’est Sly d’ailleurs qui avait ce projet sous le coude depuis un bout de temps. On l’a tourné rapidement et j’ai trouvé Sly extraordinaire. Que du plaisir ce film !

Quel est votre futur, vos prochains projets ?

Dans l’immédiat, j’ai la sortie de Revenger, dont je suis très fier et que j’adore. Ensuite je viens d’optionner une pièe de théâtre qui était jouée à Broadway il y a quelques années. Cela va être un travail intéressant et différent mais je ne peux pas encore annoncer le titre. C’est un thriller avec une personnage féminin central. Je suis fier et heureux d’être encore actif dans ce milieu tellement difficile. Alors je vais continuer à travailler dur et espérer continuer d’écrire les histoires que j’aime et réaliser les films que je veux voir à l’écran.

La bande-annonce de Revenger :