Vuelta: Roglic et Vingegaard se font allumer face au traitement réservé à Sepp Kuss
Jonas Vingegaard lui doit une grande partie de ses deux sacres sur le Tour de France (2021, 2022). Idem pour Primoz Roglic sur ses quatre victoires en Grandes Tours (Vuelta 2019, 2020 et 2021, Giro 2023). Mercredi pourtant, les deux leaders de la Jumbo-Visma n’ont fait aucun sentiment à l’égard de Sepp Kuss dans la terrible montée de l’Angliru, épilogue brutal de la 17e étape du Tour d’Espagne. Les trois coureurs étaient seuls en tête dans la dernière ascension après avoir écœuré les échappés et la formation Barhain-Victorious quand Roglic et Vingegaard ont lâché sans se retourner Kuss, pourtant leader du classement général.
"Dans la situation de Kuss, je demande à mon représentant de chercher une autre équipe"
Quelques instants plus tard, Roglic a remporté l’étape devant Vingegaard. Troisième à 19 secondes, Kuss a finalement sauvé son maillot rouge in extremis en devançant Mikel Landa au sprint pour arracher les quatre secondes de bonification. Ce jeudi matin, l’Américain ne compte plus que neuf secondes d’avance sur Vingegaard (et 1'08'' sur Roglic, troisième) avant le dernier gros morceau de la course avec cinq cols au programme, dont trois en première catégorie.
Au-delà de la domination écœurante de l’équipe néerlandaise, l’ingratitude des deux leaders envers l’un de leur plus fidèles serviteurs fait beaucoup réagir. David Millar, ancien coureur écossais, a pesté contre le manque de classe de l’équipe.
"Je ne comprends tout simplement pas pourquoi ils n’ont pas attendu Sepp Kuss, a-t-il lancé sur X. J'ai vu Sepp rouler pour eux d'innombrables fois ces dernières années, je suis un grand fan de lui. Il est classe."
"Je n'ai pas aimé regarder ça aujourd'hui, et j'adore les courses de vélo, ça m'a fait sentir en colère."
Certains lui ont alors rétorqué que sa logique ne répondait pas à celle du sport d’élite où seuls les meilleurs triomphent. "Dans les grands tours, les leaders comptent sur leurs coéquipiers pour traverser les jours où ils sont faibles, a-t-il rappelé. C'est le travail de Sepp. Les classements se sont inversés ici. J’aime l’idée que le sport n’est pas uniquement une question de calcul rationnel, que parfois les décisions émotionnelles l’emportent. Ce sont les plus belles histoires, et c’est la raison pour laquelle le sport peut tant affirmer la vie. Aujourd’hui, ce n’était pas une affirmation de vie, c’était plutôt misérable en fait, alors qu’il aurait si facilement pu être merveilleux."
Joaquin Rodriguez, ancien coureur professionnel espagnol, s’est aussi montré assez cash. "Je suis dans la situation de Kuss, je demande à mon représentant de chercher une autre équipe, c'est sûr, a-t-il lancé. C'est le coureur qui est actuellement le leader, qui mérite de remporter la Vuelta et ses coéquipiers lui donnent tout."
La Jumbo-Visma a vite tenté de désamorcer la polémique pour ce sale coup joué à Kuss… le jour de son 29e anniversaire. Le coureur américain, espagnol de coeur, aurait donné le feu vert à ses équipiers pour partir sans lui. Si Roglic, toujours très placide, ne s’est pas trop embarrassé de sentiment ("C’est une sensation bizarre mais dans une telle montée, chacun va aussi vite qu’il peut, je suis ici pour courir"), Jonas Vingegaard a, lui, eu des mots plus sympathiques ("j’espère qu’il gardera le maillot rouge") tout en rappelant la stratégie du jour de l’équipe: "la victoire aujourd’hui était notre objectif principal pour rester premier, deuxième et troisième du général".
La Jumbo ne donne pas de hiérarchie
"Nous avons convenu en début de semaine que tous les trois étaient en course (pour la victoire finale), a rappelé le directeur sportif Grischa Niermann. Je pense que tout le monde aimerait avoir Sepp en tête – il est toujours en tête - mais ils veulent aussi gagner l'étape et nous avons convenu que tout le monde était autorisé à y aller. C'est ce qui s'est passé avec un très, très bon travail et une belle victoire pour Primoz."
Des directives très bien intégrées par Sepp Kuss, beau joueur et très fair play avec Roglic et Vingegaard après l'étape. "Ce n'est pas une compétition entre nous, a assuré l’Américain. Pour moi, ce sont des amis. C'est peut-être ma seule chance de gagner un grand tour, mais je veux savoir que j'ai vraiment gagné la course." Sous-entendu pas comme une offrande de ses habituels leaders. Cela tombe bien, le duo ne semble pas décidé à lui faire des cadeaux.