Votre grand-mère va-t-elle devenir une hardcore gameuse ?
Souvent considérés comme réservés aux jeunes, les jeux vidéo sont pourtant en train de devenir l’un des hobbies favoris de nos grands-parents. Et s’ils n’ont pas la même façon de jouer que les plus jeunes, leurs pratiques commencent parfois à s’en rapprocher. Au point que votre mamie vous mette une raclée à League of Legends ? Pas sûr, mais peut-être.
Si vous pensez que les passe-temps préférés de votre grand-mère sont le tricot et la confection de confiture, c’est que vous êtes mentalement plus âgé qu’elle. D’après une étude réalisée en 2021 par Médiamétrie pour le Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisir (S.E.L.L.), 49% des plus de 60 ans jouent désormais aux jeux vidéo, soit une communauté totale de 6,94 millions de joueurs à travers tout le pays. Quant à la répartition femmes-hommes parmi les 73% de Français qui s’envoient parfois une petite session de gaming, elle est tout simplement de 50-50, contre 80% d’hommes pour 20% de femmes en 2000.
Pour Nicolas Vignolles, délégué général du S.E.L.L., trois raisons principales expliquent l’évolution de ce chiffre et l’adoption des pratiques vidéos ludiques par les plus de 60 ans : “La première est sociodémographique. Le jeu vidéo a 50 ans et certaines femmes ayant aujourd’hui entre 50 à 65 ans ont eu une première expérience du jeu vidéo dans leur jeunesse. Pour celles qui sont un peu plus âgées, cela s’explique surtout par la transformation du support numérique du jeu vidéo, avec l’éruption du jeu mobile sur les smartphones. Enfin, le jeu vidéo est entré dans l’ère de l’accessibilité. Les jeux sont achetables en ligne, sans se déplacer en magasin spécialisé, et il n’est plus nécessaire d’acheter une console pour jouer. Tout est devenu facile et accessible.”
Des joueuses focalisées
Si elles jouent de plus en plus, nos grand-mères ne le font cependant pas comme nous. Elles ne réservent pas leurs jeux en avance, ne montent pas des configs techniques ultra poussées ni ne switchent d’un jeu à l’autre. En fait, elles font même l’inverse. Si on en croit l’étude du S.E.L.L, 63% des seniors jouent principalement sur leur ordinateur et 42% sur leur smartphone. Mais surtout, Nicolas Vignolles affirme que contrairement à la plupart des autres joueurs, les plus de 60 ans se concentrent généralement sur un seul jeu jusqu’à l’avoir fini.
Ce genre d’obsessions vidéoludiques, Natalie, 60 ans, les connaît bien : “J'ai commencé à jouer aux jeux vidéo totalement par hasard dans les années 90 après avoir offert la Nintendo 64 à mon fils. J'étais mère au foyer à l'époque, je m'ennuyais, et j'ai eu envie d'essayer. Je suis devenue accro à Golden Eye de James Bond (sic), j'y passais mes journées, parfois mes nuits. Résultat : je me suis fait une tendinite qui me bloquait du poignet jusqu'au cou. Ça m'a vaccinée des jeux sur console.” Et d’ajouter : “Puis j'ai joué à plusieurs jeux sur ordinateur comme Lode Runner, Age of Empire et autres. Aujourd'hui, je suis totalement accro à Candy Crush depuis bien des années. Ça a beau être répétitif, je n'arrive pas à arrêter.” Même topo chez Nicole, 63 ans, qui joue au même jeu depuis 1998, pour des raisons bien précises : “Je joue à Pharaon, parce que j’aime bien tout ce qui concerne l’Egypte, et que c’est un jeu positif où le but est de développer des relations économiques diplomatiques avec d’autres villes (je ne fais jamais les missions de guerre).”
Une vraie connexion intergénérationnelle
Si elle reconnaît volontiers qu’elle ne comprenait pas l’attrait pour les jeux vidéo avant de s’y mettre, cette ancienne prof d’anglais a indéniablement créé sa propre pratique du jeu. Ce qui ne l’empêche pas de s’être rapprochée de certains joueurs plus jeunes : ses élèves. “Quand je leur disais que j’étais 'accro' à un jeu et que je comprenais qu’on pouvait y passer des heures, ça les surprenait et les amusait !”, raconte-t-elle.
Pour Gigi, 83 ans, c’est de ses petits-enfants qu’elle s’est indirectement rapprochée grâce à sa pratique des jeux vidéo, au sens large du concept. “J'ai découvert les jeux vidéo en allant chez ma fille, ce sont mes petits-enfants qui m'ont montré. Je n'aime pas trop les consoles, il y a trop de boutons sur les manettes et je n'y comprends rien, puis avec l'arthrite ce n'est pas pratique. Il y a quelques années, j'aimais bien les jeux où il ne fallait utiliser que les petites flèches et la barre d'espace pour déplacer un petit bonhomme. Aujourd'hui, je joue plutôt à des jeux comme la belote ou le Scrabble en ligne, vu qu'avec le Covid je ne peux plus voir mes amies et partenaires de jeu habituel.”, raconte l’octogénaire. Elle poursuit : “Mes petits-enfants m'aident à installer les jeux ou à régler mon ordinateur si besoin, ça leur plaît plus que de faire des "activités de vieux" ! Et parfois, mon petit-fils joue en ligne à la belote avec moi, ça me fait plaisir. Par contre, aucune de mes amis ne joue, elle n’utilisent leurs ordinateurs que pour Skype.”
Evasion, détente et remue-méninges
Malgré la connexion intergénérationnelle que ces femmes peuvent trouver dans les jeux vidéo, ce n’est pas nécessairement ce que cherchent les seniors quand ils jouent. “Leurs pratiques s’inscrivent à contre-courant de l’évolution mondiale du jeu vidéo qui va vers la connexion avec les autres et le jeu en ligne. Ils jouent le plus souvent seuls dans leur coin”, analyse Nicolas Vignolles. Ce que cherchent les mamans de nos mamans est un peu différent. “Je joue environ une heure par jour, ça m’apporte de la détente et de l’évasion. Et puis cela me fait travailler la tête”, raconte Jackie, une nounou à la retraite de 75 ans qui joue à Professeur Layton, Phoenix Wright, Candy Crush et des escape games en ligne. “Quand je joue ça me relaxe ! Je me concentre juste sur les buts à atteindre. Mais ça ne comble aucun manque et c’est un jeu qui se joue seule”, indique quant à elle Nicole, l’ancienne professeure d’anglais.
On est donc bien loin d’une pratique de gamers hardcore, qui passent des heures en ligne à optimiser leur style de jeu et à s’acheter de nouveaux skins. Encore aujourd’hui, les seniors jouent donc d’une manière bien particulière et sont bien loin d’être des joueurs et des joueuses comme les autres. C'est ce que montre la grande enquête collective appelée La fin du game publiée en 2021, analysée par Jessica Benonie-Soler, maîtresse de conférences et sociologue du Numérique et de ses usages : “Cette étude montre que les pratiques des seniors sont multiples. Il y pas de réponse tranchée, les pratiques dépendent des contextes sociaux individuel des joueur·euse·s. Elles s’adaptent avant tout aux contextes de vie et sont quotidiennes. Les pratiques des seniors se retrouvent dans les moments d'attente ou encore emménagent dans les 'petits temps morts' de la vie quotidienne. Elles et ils 's’accordent un petit temps sur leur téléphone'. Cette étude relate et analyse, entre autres, des portraits de joueur·euse·s qui montrent à quel point les pratiques de jeu sont inscrite dans des routines et s’insèrent, s’aménagent quotidiennement.” A n’en pas douter, cela peut donc encore évoluer et on a du mal à imaginer que cela aille en diminuant avec le temps.
Vers un futur compétitif ?
“Les joueurs d’aujourd’hui sont les parents et les grands-parents de demain, ils seront donc des joueurs seniors encore plus habitués aux jeux vidéo et probablement plus exigeants voire peut-être plus compétitifs”, conclut Nicolas Vignolles. Certains parmi nos anciens et nos anciennes le sont d’ailleurs déjà puisque l’association Silver Geek et le S.E.L.L. organisent des compétitions de esports dans des Ehpad, dont une manche lors de la Paris Games Week, le grand barouf français du monde des jeux vidéo. Bref, votre grand-mère ne deviendra pas une gameuse hardcore mais les grands-parents que vous serez le seront peut-être.
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