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Vote de la réforme de la justice en Pologne, l'UE s'offusque

La Diète (chambre basse du parlement polonais) a adopté jeudi le projet de loi de réforme de la Cour suprême, qui, selon l'opposition, va nuire à l'indépendance du pouvoir judiciaire et saper la démocratie. /Photo prise le 20 juillet 2017/Slawomir Kaminski

par Pawel Sobczak et Pawel Florkiewicz VARSOVIE (Reuters) - La chambre basse du parlement polonais, la Diète, a adopté jeudi le projet de loi de réforme de la Cour suprême, qui, selon l'opposition, est de nature à remettre en cause l'indépendance du pouvoir judiciaire et à saper la démocratie. Dans la soirée, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés devant le palais présidentiel à Varsovie en signe de protestation, brandissant le drapeau polonais et le drapeau de l'Union européenne. "Nous ne les laisserons pas piétiner les valeurs européennes", a déclaré Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, chef de file du Parti paysan polonais (PSL). "Nous ne les laisserons pas nous faire expulser de l'Union européenne." Selon des sources proches de la présidence, le chef de l'Etat, Andrzej Duda, était en congé sur la mer Baltique. La municipalité de Varsovie a estimé le nombre de manifestants à 50.000 environ, la police à 14.000. "Je voulais être ici pour ce jour historique, où on nous retire les libertés pour lesquelles nous nous sommes battus pendant plus de 25 ans", a déclaré Piotr, 48 ans, venu avec son fils de 5 ans. Le projet de loi, présenté par le parti conservateur Droit et justice (PiS, au pouvoir), a été approuvé après trois jours de débats houleux et d'autres manifestations dans la capitale et dans d'autres villes du pays. Il prévoit la mise à la retraite et le remplacement des juges de la Cour suprême, à l'exception de ceux choisis par une commission judiciaire désignée par le parlement. La Cour suprême se prononce notamment sur la validité des élections. Le texte, vivement critiqué par les autorités européennes, inquiètes de la politique menée par le gouvernement ultraconservateur, doit désormais être adopté par le Sénat (chambre haute). Le PiS a la majorité dans les deux chambres. "NOUS DYNAMITONS NOTRE SYSTÈME JUDICIAIRE" Le médiateur polonais pour les droits de l'homme, Adam Bodnar, a déclaré devant les députés que cette loi, ainsi que deux autres textes législatifs déjà adoptés, allaient modifier la désignation des juges et "priver les citoyens du droit à une justice indépendante". "Nous dynamitons notre système judiciaire", a-t-il déclaré en réponse aux arguments du PiS qui soutient que les magistrats doivent être tenus responsables de leurs décisions et que l'administration doit servir tous les Polonais et non les seules "élites". Mercredi, la Commission européenne a averti la Pologne qu'elle risquait des sanctions si son gouvernement ne renonçait pas à ses projets de réforme de l'appareil judiciaire. () Jeudi, le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, a estimé que Varsovie risquait ainsi de se marginaliser au sein de l'UE, son gouvernement allant à l'encontre des valeurs de l'Europe. Placer les tribunaux sous le contrôle du parti au pouvoir porterait un nouveau coup à l'image de la Pologne, a-t-il estimé. Donald Tusk a demandé à pouvoir rencontrer Andrzej Duda, afin d'évoquer avec lui la "crise politique" en Pologne. "L'Union européenne ne se résume pas à de l'argent et des procédures. C'est d'abord et avant tout des valeurs et des critères élevés de la vie publique", a poursuivi l'ancien Premier ministre polonais. "C'est la raison pour laquelle une vague de critiques du gouvernement se lève en Europe et dans tout l'Occident", a-t-il poursuivi, appelant le président polonais Andrzej Duda à ne pas ratifier le texte et à trouver une solution de rechange. Le PiS n'a fait aucune concession et est apparu fermé à toute discussion sur ce sujet, se contentant d'affirmer que les critiques européennes constituaient une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la Pologne. "Nous ne céderons pas à la pression", a prévenu jeudi soir la Première ministre Beata Szydlo lors d'une allocution à la télévision publique pour défendre la loi. "Nous ne serons pas intimidés par les défenseurs polonais et étrangers des intérêts de l'élite." BUDAPEST SOUTIENT VARSOVIE Dans ce bras de fer entre Bruxelles et Varsovie, le gouvernement polonais a reçu le soutien de la Hongrie dont le ministre des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, a estimé que l'Union européenne ne devait pas "outrepasser son autorité". Le soutien de Budapest est d'autant plus précieux qu'il empêche a priori l'UE d'enclencher la procédure de sanction prévue par l'article 7 du traité de Lisbonne, et qui n'a encore jamais été mis en oeuvre. L'article 7 permet de constater la violation par un pays membre des valeurs fondamentales de l'UE et de prendre des mesures de rétorsion. Mais il requiert un vote à l'unanimité - moins l'Etat visé - et la Hongrie a déjà prévenu qu'elle bloquerait son adoption. "Pour que ces sanctions prennent effet, il faut (...) une majorité de 100% moins l'Etat qui fait l'objet d'une telle procédure. Je suis convaincu que cela ne marchera pas", a dit mercredi soir le chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, à la télévision. Bruxelles a déjà lancé plusieurs procédures contre Varsovie qui pourraient déboucher sur d'importantes amendes à l'encontre de la Pologne. Mais le PiS n'a cédé sur rien pour l'instant, affirmant avoir un large soutien de la population. "La situation en Pologne se détériore rapidement, il y a donc le sentiment qu'il faut agir. Mais au bout du compte, pouvons-nous les forcer? Bien sûr que non", constate un député européen. "Nos moyens sont limités. Si le sentiment de la population ne change pas, on ne peut pas faire grand-chose. Mais nous devons réagir, il s'agit aussi d'une question de principe." (avec Krisztina Than à Budapest, Gabriela Baczynska à Bruxelles; Eric Faye et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)