Vite, une agence alimentaire européenne !
Folle comme elle l’est, la vache se plaît à se jouer des frontières. Il y a à peine six mois, la France refusait d’ouvrir ses portes au boeuf britannique, jugé pourtant sûr par l’Union européenne, pour protéger la santé de son cheptel bovin. Il en naquit une petite guerre ponctuée de citations réciproques d’Austerlitz et de Waterloo. Aujourd’hui, la France protectionniste se retrouve avec la “vache folle” dans son pré. Le roi des chefs, Alain Ducasse, a carrément menacé de substituer au traditionnel boeuf charolais le boeuf américain, impérialiste et yankee.
Nous autres Italiens, qui n’avons pas connu jusqu’à présent - selon les statistiques officielles - un seul cas bovin ou humain de la terrible maladie, sommes en proie à une psychose collective, ce qui n’est pas pour déplaire aux politiciens, aux experts et aux magistrats en quête de célébrité. Tous s’en donnent à coeur joie et chacun a sa recette : stopper le boeuf aux frontières, le bannir des cantines scolaires, renoncer à la cervelle frite, réhabiliter le pot-au-feu, faire une exception pour le risotto à la moelle [qui n’a rien à voir avec la moelle épinière], gracier l’osso buco.
Pourtant, il serait facile de calmer un peu le jeu : en France, épicentre du nouveau foyer de contaminations, seuls 151 cas de bovins affectés par l’encéphalite spongiforme ont été identifiés, et cela grâce à des contrôles très sévères. Pour donner une idée de l’ampleur du problème, le Royaume-Uni, où tout a commencé, n’a enregistré depuis 1990 que 179 000 nouveaux cas de vaches malades alors qu’en 1986 il avait abattu 4,5 millions de têtes. En la matière cependant, les gens n’écoutent pas les statistiques. Ils se contentent d’avoir peur. Pourquoi ?
- Premièrement, parce qu’ils ont compris que les scientifiques ne savent toujours rien. Le prion qui transmet cette maladie à l’homme demeure mystérieux. Au Royaume-Uni, où l’on dénombre 85 morts, on ne sait pas si, dans les dix ou vingt prochaines années, une véritable épidémie se déclarera, épidémie qui serait due à une très longue période d’incubation. On ne sait pas pourquoi les gens les plus touchés sont les jeunes. On ne sait pas pourquoi l’une des victimes est une jeune végétarienne. La seule chose dont on soit sûr, c’est qu’il s’agit d’un mal et d’une mort horribles.
- Deuxièmement, les gens ont compris que les autorités tendent à cacher le peu qu’elles savent. L’exemple britannique en donne la preuve : pendant des années, le gouvernement de Londres a sous-évalué délibérément l’épizootie, à tel point que le Premier ministre de l’époque, John Major, a dû faire des excuses publiques. En France, on n’est guère plus rassuré, le scandale du sang contaminé revenant peu à peu dans les mémoires. Le niveau de confiance accordé aux gouvernements en matière de santé publique alimentaire est proche de zéro.
- Troisièmement, nous savons que de nombreux intérêts économiques, corporations et autres lobbies sont prêts à passer outre à la santé des gens pour continuer à faire du profit. Le peu de choses que l’on sache de la “vache folle”, c’est qu’il existe à travers la chaîne alimentaire un risque de transmission de la maladie : les aliments enrichis en protéines animales, à savoir les carcasses broyées, devraient être interdits. Or en Italie, on les donne encore aux porcs, aux volailles et même aux poissons d’élevage. La France, seulement maintenant et après une âpre querelle entre Chirac et Jospin, a finalement mis au ban ces farines animales [pour ces animaux alors que l’interdiction pour les ruminants était déjà en vigueur].
La vache a été contaminée par le mouton [voir p. 57] quand, de végétarienne, on la fit devenir carnivore en lui donnant à manger des restes d’ovins. Souhaitons-nous risquer aujourd’hui de transmettre la maladie aux porcs, aux poulets, aux poissons ?