Viols de Mazan : Avant Gisèle Pelicot, Claudine Cordani première victime mineure à refuser le huis clos au procès
JUSTICE - Les faits remontent à 40 ans. Claudine Cordani a 17 ans lorsqu’elle est victime d’un viol collectif et de séquestration à Paris. Quelques mois plus tard, en octobre 1985, face à la Cour d’assises, elle est la première victime de viol mineure à refuser le huis clos du procès des trois hommes qui seront condamnés à de la prison ferme.
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Une décision qu’a choisi de prendre, elle aussi, Gisèle Pelicot, violée pendant dix ans par son mari qui la droguait et la livrait à des dizaines d’hommes. Depuis le 2 septembre, le procès de son mari et de 51 autres hommes s’est ouvert à la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon. Elle a souhaité « une publicité complète » de cette affaire, « totale, jusqu’au bout ».
Aujourd’hui, Claudine Cordani ne regrette pas le choix qu’elle a fait à 17 ans. Journaliste indépendante et militante contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), sortie de l’anonymat en 2019, elle espère que « la justice sera à la hauteur de l’ignominie de ce procès ».
Le HuffPost. Pourquoi avez-vous demandé la levée du huis clos à l’époque ?
Claudine Cordani. C’était une intime conviction que j’avais : que ce n’était pas à moi d’avoir honte et que ce qui m’arrivait était profondément injuste. Je me suis dit que dès l’instant où des personnes intervenaient de cette façon dans nos vies, en en changeant le cours de manière si violente et criminelle, nous pouvions les exposer à la société.
Je voulais que les victimes ou les futures victimes sachent que ce n’est pas à nous d’avoir honte. Je viens d’une famille d’origine italienne catholique. Donc il y avait plein de choses qui ne se disaient pas. Je n’en ai pas parlé à mes parents à l’époque, un peu à mes frères et sœurs. Je voulais en parler à la justice, plutôt qu’à ma famille. Je ne voulais pas faire de la peine à mes proches mais je voulais que la société sache.
Je n’ai jamais regretté, jamais. Je pense qu’au contraire, si je ne l’avais pas fait, je l’aurais regretté. Pour moi, à ce moment-là, c’était vital de demander justice. Comme un instinct de survivante.
Parfois, on me dit que j’ai eu du courage mais je ne suis pas d’accord avec ce terme. Car cela voudrait dire que les victimes qui ne portent pas plainte, par exemple, ne sont pas courageuses. C’est impossible de dire une chose pareille. J’ai rencontré des femmes qui étaient incapables de porter plainte parce que si elles le faisaient, elles avaient peur de se suicider.
Qu’est-ce que cela provoque en vous, de suivre ce procès de Mazan ?
Ce que j’ai vécu a changé ma vie, à plus d’un titre. Je pense à ce qui m’est arrivé tous les jours depuis 40 ans, donc je n’y pense pas plus que d’habitude depuis le début du procès. Je suis sortie de l’anonymat en 2019, j’ai écrit un livre, je suis devenue activiste contre les VSS et je suis à l’écoute de plusieurs victimes, donc je baigne un peu tout le temps là-dedans…
J’espère surtout que ce procès aura le retentissement que cette cause mérite, enfin. J’espère que la justice sera à la hauteur de l’ignominie de ce procès, vraiment. J’envoie toute ma force à Gisèle Pelicot.
Pourquoi était-ce important selon vous que Gisèle Pelicot lève le huis clos à son tour ?
Cette affaire a été traitée en cour criminelle départementale, dont le jury populaire a été supprimé. Et le fait de faire tomber le huis clos, à mon sens, a permis de réintroduire les citoyennes et les citoyens, même s’ils n’ont pas le même rôle, dans le procès.
Même si cette affaire est terrible, j’espère qu’elle permettra que l’on regarde les victimes autrement. Qu’on les écoute davantage et qu’on les respecte. J’ai été contente de savoir qu’elle avait refusé le huis clos et que la justice ait entendu. J’ai trouvé ça très important. C’était à elle de décider.
Car jamais on ne peut se permettre de dire à une victime ce qu’il faut qu’elle fasse ou non. Elles font ce qu’elles peuvent au moment où elles le peuvent. Et si elles veulent, 30 ans après, parler de ce qu’elles ont vécu, rien ne doit les arrêter. C’est pour cela que je prône l’imprescriptibilité des crimes sexuels. La loi doit laisser le temps aux victimes de réagir quand et comme elles le peuvent. Et de les entendre quand elles s’expriment.
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