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« Violences économiques conjugales : mêlons-nous de ce qui ne nous regarde pas » - Tribune

41% des femmes ayant vécu en couple ont déjà été exposées, au moins une fois, à une forme de violences économiques.
Kinga Krzeminska / Getty Images 41% des femmes ayant vécu en couple ont déjà été exposées, au moins une fois, à une forme de violences économiques.

TRIBUNE - Elle est privée de carte bancaire, et elle a 25 euros de liquide pour faire vivre toute la famille chaque semaine. Elle travaille, mais tout son salaire, versé sur un compte joint, disparaît systématiquement sur les comptes épargne de son compagnon. Elle finance la moitié des dépenses de la famille alors que son ou sa partenaire gagne trois fois son salaire. Elle vit dans une maison qui appartient à son mari, et doit payer l’équivalent d’un loyer tous les mois. Elle « donne un coup de main » pour l’activité libérale de sa compagne depuis dix ans, sans salaire, et sans déclaration.

Posons les véritables mots sur ces organisations financières de couples qui dérangent : vol, utilisation frauduleuse, enrichissement sans cause, racket, exploitation, travail illégal. Toutes ces femmes sont victimes de violences économiques. Longtemps, ce type de violences conjugales a été occulté, et ça ne peut pas durer.

Des comptes vidés en quelques minutes

Les chiffres sont accablants. 25 % des appels au 3919, géré par la Fédération Nationale Solidarité Femmes, concernent des violences économiques. Et selon une étude menée par l’IFOP pour la newsletter Les Glorieuses, 41% des femmes ayant vécu en couple ont déjà été exposées, au moins une fois, à une forme de violences économiques.

Les violences économiques conjugales se traduisent par un contrôle, un appauvrissement ou un manque à gagner financier qui peuvent aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie des femmes. Ce contrôle peut conduire, notamment, à l’interdiction faite à cette dernière de travailler et au surendettement.

Le préjudice est lourd pour les femmes. Quelques exemples fréquents : les comptes au nom des enfants, alimentés au prix de patients efforts financiers, vidés en quelques minutes par un compagnon qui prend le large. Une épargne de long terme qui sert à payer les procès-verbaux pour excès de vitesse du ou de la partenaire, ou des dettes, contractées sans qu’elles aient été consultées.

Baromètre des violences économiques, par la newsletter Les Glorieuses et Oseille et Compagnie
Baromètre des violences économiques, par la newsletter Les Glorieuses et Oseille et Compagnie

Le manque à gagner est aussi un préjudice

Parfois, les dommages sont moins faciles à chiffrer. Une femme qui s’acquitte de la moitié des dépenses alors qu’elle gagne trois fois moins que son mari ne peut pas mettre d’argent de côté. Une autre qui verse un loyer à son épouse propriétaire ne peut pas investir. En se pliant, sous la contrainte, à une organisation qui les dessert, ces femmes ne peuvent ni épargner, ni investir, tandis que leur partenaire s’enrichit régulièrement.

Le préjudice, dans ce cas, n’est pas la captation de leur richesse, mais un manque à gagner, une perte de chance économique. Il est plus difficile à évaluer, mais il est tout aussi lourd, car il aboutit au même résultat : elles n’ont aucune indépendance financière.

Ces situations ne relèvent pas de la sphère privée

Ces situations, nous les observons parfois autour de nous. Nous pensons souvent qu’elles relèvent de la sphère privée, et nous n’osons pas toujours les commenter. Pourtant, nous ne devons pas les accepter silencieusement, et nous avons le pouvoir, collectivement, de faire reculer ces violences économiques.

Les femmes, d’abord. Nous sommes les premières victimes. Alors revendiquons, dès le début d’une relation, l’usage de nos droits économiques. Nous avons le pouvoir de travailler, de gagner notre vie, de disposer de nos économies comme nous l’entendons, et de ne pas financer seules l’intégralité des charges de la famille. Ne cédons pas de terrain sur ce pouvoir : il nous est vital.

Épargnons sur des comptes à nos noms

Ne facilitons pas non plus la mise en œuvre de ces violences économiques : n’épargnons pas sur des comptes aux noms de nos enfants, et ne faisons pas verser nos salaires sur des comptes joints. Ainsi, nous gardons la main sur nos finances. Enfin, assurons-nous que les capacités d’épargne de l’un et de l’autre ne sont pas trop déséquilibrées (lorsqu’elles existent).

Les couples aussi peuvent, et doivent agir. Certains ont déjà jeté, sans le savoir, les bases d’un climat de violence. Questionnons nos organisations financières. Revoyons la répartition de nos dépenses lorsqu’elle est inéquitable, et que l’enrichissement de l’un·e se fait au détriment de la sécurité financière de l’autre.

Il arrive aussi, malheureusement que les arrangements financiers du couple ne soient pas passés avec un consentement totalement éclairé. Une femme sous emprise psychologique, notamment quand son ou sa partenaire a continuellement dénigré sa gestion financière, est plus prompte à laisser la main, et à être dépossédée progressivement de ses biens, sans avoir conscience de son statut de victime.

Plus nous dénonçons ces situations, plus nous nous faisons entendre des victimes

L’entourage joue un rôle déterminant pour alerter sur le caractère anormal et dangereux de la situation. Il peut apprendre à détecter des signaux faibles. Peu de femmes s’ouvrent spontanément des violences économiques dont elles sont victimes, mais si nous voyons nos amies, nos sœurs, nos filles rechigner à la moindre dépense, payer en liquide, privées de carte bleue…

Nous avons le droit, et même le devoir, de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. En prononçant le terme de violences économiques. Et en répétant que ces pratiques, qui les appauvrissent, ne sont pas acceptables. Plus nous dénonçons ces situations, plus nous avons de chances de nous faire entendre des victimes, et des auteur·ices de violences économiques. Mais arrêtons de dire que ce ne sont pas nos affaires. Les violences économiques sont notre affaire à toutes et à tous. Comme toutes les violences conjugales, elles sont un sujet politique.

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