"Il y a viol et viol": la défense contestée d'un avocat au procès de Mazan
La phrase a choqué la salle d'audience. Lors du procès des viols de Mazan ce mardi 10 septembre, un avocat de la défense a déclaré qu'"il y a viol et viol", indignant les parties civiles, dont Gisèle Pelicot, violée pendant des années par des inconnus après avoir été droguée par son mari.
À ce moment-là, l'enquêteur venait une nouvelle fois parler des "viols" subis par la victime, un terme auquel des avocats de la défense s'opposent dans le cadre du procès, jugeant qu'il compromet la présomption d'innocence dont ils doivent bénéficier.
"Est-ce que vous reconnaissez le fait de juger seul, souverainement la question de savoir si les faits sont des viols?", l'interroge alors Me Guillaume de Palma, qui représente six accusés. L'enquêteur lui rétorque que dans les affaires de règlements de compte, on parle de "meurtre" avant même que l'affaire ne soit jugée. "Ça n'a rien de choquant", se défend-il.
"Il y a viol et viol et sans l’intention de le commettre, il n’y a pas viol", répond Me Guillaume de Palma.
L'intention doit être établie
Une déclaration assumée à la sortie de l'audience. "Si l'auteur est trompé, s'est mépris, (...) il n'y a pas viol", a expliqué Me Guillaume de Palma. Il s'agit de la défense de plusieurs accusés dans cette affaire. Sur les 50 hommes accusés de s'être rendus à Mazan pour violer Gisèle Pelicot, beaucoup réfutent toute intention de violer. Ils affirment notamment qu'ils ne savaient pas que Gisèle Pelicot était droguée, qu'ils pensaient qu'il s'agissait d'un scénario sexuel consenti.
Le viol est défini dans le Code pénal comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise".
Et en effet, l'intention de violer doit être établie pour condamner quelqu'un. Comme l'explique Jenny Frinchaboy, maître de conférence en droit privé à l'université Panthéon Sorbonne, à BFMTV.com, dans le cadre d'un crime, il faut, pour condamner un accusé, un élément matériel et un élément moral.
"L'élément matériel, c'est par exemple la pénétration sexuelle sans le consentement", développe-t-elle. Dans l'affaire Mazan, ces faits sont notamment établis par les nombreuses vidéos prises par Dominique Pelicot lors des viols.
"Pour l'élément moral, il faut vérifier que l'accusé avait conscience de lui imposer son rapport", ajoute Jenny Frinchaboy. "Sans intention, il n'y a pas viol. Sans intention, on ne peut pas condamner quelqu'un". Et c'est à l'accusation de prouver cette intention.
"Un viol, c'est un viol"
"Après, dire qu'il y a viol et viol, c'est faux. Soit les éléments sont réunis, soit non. Soit il y a viol, soit il n'y a pas viol", souligne aussi Jenny Frinchaboy.
Des déclarations similaires à celles de l'avocate de Dominique Pelicot ce mercredi. "Le code pénal dit bien qu'un viol, c'est un viol, et la loi ne distingue pas un viol et un viol", a déclaré Me Béatrice Zavarro sur BFMTV. "Il ne s'agit pas aujourd'hui, dans un procès tel que nous le connaissons, de définir une nouvelle facette du viol que la loi n'a pas prévue", a-t-elle ajouté.
L'un des avocats de Gisèle Pelicot, Me Antoine Camus, a dénoncé à l'issue de l'audience "la cruauté de la manière dont on défend un viol". Affirmant qu'il n'y "a pas à transiger" avec les droits de la défense qui, avec la présomption d'innocence, "doivent être exercés jusqu'au bout", il a toutefois déploré "une forme de gratuité dans la violence infligée".
"On voit tout de suite qu'elle dort"
Les accusés qui affirment ne pas avoir su que Gisèle Pelicot était inconsciente au moment des faits ne convainquent pas le chef d'enquête, le commissaire divisionnaire Jérémie Bosse Platière, qui était entendu la semaine dernière au procès. L'enquêteur a notamment rappelé le procédé, selon lui systématique, employé par Dominique P. pour faire venir ces inconnus.
Puis les instructions étaient à chaque fois identiques: se garer à l'écart du domicile du couple, pour ne pas éveiller les soupçons des voisins; attendre à l'extérieur, "parfois jusqu'à une heure", pour que les somnifères fassent effet; entrer par la cuisine, sans bruit; et finalement commettre des violences sexuelles.
Sur les quelques 4.000 fichiers, photos et vidéos, méticuleusement répertoriés dans un disque dur par le mari et exploités par les quatre enquêteurs dédiés à cette affaire, jamais la victime principale n'apparaît "consciente" et ne manifeste le moindre "geste", a souligné le policier. "Sur l’intégralité des vidéos, les auteurs ne pouvaient ignorer que Gisèle Pelicot était inconsciente! On voit tout de suite qu’elle dort", a déclaré un autre enquêteur ce mardi.