Vieux caoutchouc cherche nouvel emploi

En France, les pneus usagés représentant plus centaines de milliers de tonnes de déchets par an — alors qu’ils ne sont qu’une partie des déchets en caoutchouc que nous produisons. <a href="https://unsplash.com/photos/vVLrfAzmWYw" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Imthaz Ahamed, Unsplash;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas" class="link ">Imthaz Ahamed, Unsplash</a>, <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:CC BY;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas" class="link ">CC BY</a>

Sans même parfois le savoir, nous sommes entourés de caoutchouc ! Naturel et synthétique, nous le trouvons dans nos maisons, nos voitures, dans les bâtiments, les avions, les hôpitaux et sur bien d’autres lieux, en raison de ses propriétés très particulières.

De nos jours, pneumatique et caoutchouc industriel sont les deux principaux secteurs consommateurs et transformateurs de matières premières en caoutchouc. Une pièce industrielle en caoutchouc est d’ordinaire à usage unique. Défectueuse ou usée, elle devient un déchet. En France, en 2020, environ 508 kilotonnes de pneus sont collectées puis traitées. De plus, la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont provoqué des problèmes d’approvisionnement et de matières premières, avec pour conséquence, une augmentation des prix et des délais. Ces évènements intensifient la nécessité du recyclage des caoutchoucs.

Avec une telle omniprésence, la question sur l’économie circulaire se pose rapidement. Quels sont nos moyens d’action pour faciliter la valorisation de tous nos déchets contenant du caoutchouc ?

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Actuellement, la gestion des déchets doit respecter des réglementations contraignantes. Valorisation « matière » et valorisation « énergétique » sont deux modes de traitement appliqués aux déchets caoutchoutiques. Il est alors possible d’utiliser par exemple le déchet après traitement comme une matière première destinée à une nouvelle fabrication ou l’énergie générée à la suite de sa dégradation.

Pourquoi le caoutchouc est-il si indispensable ?

Imperméable, élastique, fortement déformable (parfois jusqu’à 600 %), amortissant aux chocs ou rebondissant, les propriétés de chaque caoutchouc sont tributaires de sa nature chimique et des différents ingrédients qui le composent.

Ils rivalisent pour s’adapter au mieux au cahier des charges du produit à fabriquer. Pour une même application, plusieurs caoutchoucs peuvent être choisis et donc les performances seront sensiblement différentes. Par exemple, une tétine en silicone, comparée à une tétine en caoutchouc naturel est dépourvue de goût, possède une durée de vie supérieure mais est plus fragile aux coups de dents de bébé.

Le caoutchouc naturel est connu depuis des siècles : le peuple Maya l’employait déjà. Sa matière première est d’origine végétale : le latex, produit laiteux extrait de l’arbre hévéa. Il est récolté en effectuant des saignées directement sur l’écorce de cet arbre. La première forme de caoutchouc synthétique apparaît dès la fin du XIXe siècle. Il est principalement obtenu à partir de dérivés d’hydrocarbures ou appartient à la famille des silicones.

La consommation de caoutchouc en 2020 se répartit entre 47 % pour le caoutchouc naturel contre 53 % pour le caoutchouc synthétique dans le monde.

Très complexe, le caoutchouc est un mélange de gommes (le ou les caoutchoucs purs), d’agents vulcanisant, de « charges » telles que le noir de carbone et d’autres ingrédients en fonction des propriétés recherchées.

Difficile de valoriser un caoutchouc usé… mais pas impossible !

Valorisation de caoutchouc usé. Marie-Pierre Deffarges, Fourni par l'auteur
Valorisation de caoutchouc usé. Marie-Pierre Deffarges, Fourni par l'auteur

L’obstacle majeur à son recyclage réside dans le caractère irréversible de sa fabrication. Il est prêt à l’emploi après avoir subi un processus chimique, qui le fait passer d’un état « non vulcanisé » ou « cru », c’est-à-dire mou, déformable et sans tenue mécanique, à un état « vulcanisé » ou « cuit », c’est-à-dire dur et impossible à fondre.

La vulcanisation est décrite par une ou plusieurs réactions de réticulation. Le caoutchouc est un polymère décrit schématiquement par de longues chaînes macromoléculaires maintenues entre elles grâce à l’existence de liaisons secondaires.

La réaction de vulcanisation se déclenche en présence d’agent(s) vulcanisant(s) (ou réticulant(s)). Ces agents sont constitués de molécules qui réagissent sur certains sites de la chaîne polymère pour créer des ponts chimiques qui sont des liaisons fortes covalentes. L’agent permet donc de relier les chaînes macromoléculaires entre elles, ce qui rend le matériau dur et résistant. Historiquement, le premier agent vulcanisant est le soufre et le terme, en anglais (vulcanization) provient du mot Vulcain, dieu cracheur de soufre. Depuis, le terme « vulcanisation » s’est généralisé à la réticulation de tous les caoutchoucs.

La quantité de ponts chimiques (ou nœuds de réticulation) créés est plus élevée pour les « thermodurcissables » que pour les élastomères. Un caoutchouc s’étire jusqu’à une certaine limite donnée par ces nœuds et possède la capacité de reprendre sa forme initiale par reprise élastique. Ces réseaux tridimensionnels sont les structures chimiques caractéristiques des caoutchoucs et procurent au matériau une cohésion à l’échelle macroscopique.

La régénération des caoutchoucs se développe

Une solution pour permettre le recyclage des caoutchoucs consiste à incorporer les matières valorisées dans de nouvelles formules : le produit recyclé est réduit à l’état de poudrettes et est utilisable directement comme matière première.

La « régénération » est un procédé s’intégrant dans la « valorisation matière ». En présence de soufre, l’objectif est de rompre les liaisons chimiques carbone-soufre, soufre-soufre et/ou carbone-carbone par voies chimique, thermique et/ou mécanique. Le caoutchouc se retrouve dans un état régénéré (cassures des liaisons carbone-carbone) et/ou dévulcanisé (cassures des liaisons soufre-carbone et soufre-soufre). Lorsque les liaisons carbone-carbone sont rompues, la chaîne macromoléculaire est coupée, ce qui provoque des pertes de propriétés mécaniques à l’échelle macroscopique. Si les liaisons ciblées sont les liaisons carbone-soufre et soufre-soufre, le caoutchouc regagne partiellement sa capacité à « vulcaniser ».

Nos équipes de recherche en partenariat avec un industriel se sont penchées sur le comportement des caoutchoucs régénérés et sur les modifications qu’ils peuvent provoquer lorsqu’ils sont incorporés dans un mélange caoutchouc neuf. Nos premiers résultats récemment obtenus et non publiés à ce jour sont prometteurs et confirment que les matériaux recyclés possèdent des propriétés qui les rendent utilisables en choisissant le taux adéquat de matériau régénéré à incorporer en fonction de l’application industrielle.

Re-traités, nos vieux caoutchoucs ont un bel avenir !


Nous remercions Wafaa Rmili, ingénieure recherche contractuelle au LaMé, et Mathieu Venin, co-responsable du Centre d’Étude et de Recherche des Matériaux Élastomères et travaillant au LaMé, pour leur participation et leur implication dans ce projet.

La version originale de cet article a &#233;t&#233; publi&#233;e sur La Conversation, un site d&#39;actualit&#233;s &#224; but non lucratif d&#233;di&#233; au partage d&#39;id&#233;es entre experts universitaires et grand public.

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Nicolas Berton et Stéphane Méo ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d&#39;une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n&#39;ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.