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"Sa vie est un roman d'aventures": l'hommage national d'Emmanuel Macron à Daniel Cordier

Emmanuel Macron aux Invalides.  - BFMTV
Emmanuel Macron aux Invalides. - BFMTV

Rendre hommage à un homme qui, en 100 ans d'existence, a connu mille vies et a contribué à en sauver tant. C'était là la fonction de la cérémonie qui s'est tenue ce jeudi après-midi dans la cour des Invalides en l'honneur de Daniel Cordier, figure de la Résistance, compagnon de l'Ordre de la Libération, mort vendredi dernier à Cannes.

L'armée, les premiers personnages de l'État, et les proches du défunt ont assisté à cet hommage national. Après une Marseillaise, qui s'est élevée a capella dans le ciel de Paris, la Garde républicaine a introduit sur ses épaules le cerceuil de Daniel Cordier dans l'enceinte, passant devant Hubert Germain, dernier représentant des compagnons de l'Ordre de la Libération, qui a salué d'un geste militaire la dépouille de son frère d'armes. Les soldats ont ensuite déposé la bière nimbée des trois couleurs du drapeau sur le pavé.

"Roman national", "roman d'aventures"

Depuis une estrade, le président de la République a alors entrepris un éloge funèbre auquel la vie de Daniel Cordier donnait des airs d'odyssée. "A nous voir réunis ici, Daniel Cordier aurait sans doute souri", a posé en exorde le chef de l'État, qui a évoqué le "sourire éternel d'enfant" du disparu, une "lumineuse légèreté, une élégante pudeur quand les honneurs lui étaient rendus".

"Il a connu De Gaulle dans l’exil de Londres et Moulin dans l’armée de l’ombre. Agent de la République, des catacombes et de la grande cohorte, Daniel Cordier était devenu l’historien magistral de ces heures décisives, leur mémoire vivante. Sa vie est un roman d’aventures. Il avait en lui une partie du roman national et de tant d’autres plus intimes", a-t-il poursuivi.

Après avoir loué la "bravoure impétueuse de Daniel Cordier", sa "soif d'absolu", Emmanuel Macron a souligné son "amour de la patrie". Un amour qui, dans sa jeunesse, avait les accents de Charles Maurras et de l'extrême droite monarchiste. "Adolescent, cet amour prit d’abord la forme d’un nationalisme ombrageux. On peut porter haut les valeurs de l’humanisme et avoir été un jour nationaliste et anti-républicain. Encore faut-il croire en l’Homme", a soldé le président de la République.

Le legs de Jean Moulin

A l'été 1940, comme l'a rappelé le chef de l'État, Daniel Cordier a été assommé à deux reprises: par la défaite française face à l'Allemagne, puis par le renoncement incarné par le maréchal Pétain.

"A Pau, ils sont un petit groupe de patriotes qui préfèrent mourir pour la France que de risquer une vie sans elle", a retracé Emmanuel Macron, qui a ensuite abordé le départ de Daniel Cordier et ses amis pour le Royaume-Uni de Churchill et surtout du général De Gaulle: "Dans les pas de de Gaulle, ils iront jusqu’au bout du monde, de leurs forces, parfois jusqu’au bout de leur vie. Ils sont cette confrérie de rebelles qui a choisi de relever l’honneur et de reforger la nation."

Au contact des premiers hommes de la France libre, ses "convictions changent". Bientôt, Daniel Cordier décroche d'autres responsabilités. "Parachuté en 1942, Daniel Cordier devient à Lyon le bras droit de Rex, que l’Histoire révélera sous son vrai nom: Jean Moulin. Il crée un état-major autour de Moulin, distribue l’argent aux mouvements de résistance, vit de conciliabules à voix basse", a continué Emmanuel Macron.

Cette tâche, clandestine et si périlleuse, ce travail d'orfèvre et exténuant aux côtés de Jean Moulin sera la grande affaire de la vie de Daniel Cordier.

"En 1943, Rex mène la mission que lui a confiée De Gaulle: unifier la Résistance. Jean Moulin est arrêté, torturé. Il meurt en supplicié silencieux, en martyr, en héros. Moulin disparu, Cordier est orphelin. L’héritage du patron est indicible. Jusqu’au soir de sa vie, à l’évocation de Rex, Caracalla (l'alias de Daniel Cordier dans la Résistance, NDLR) ne pouvait retenir ses larmes", a brossé le président de la République.

Un homme de l'art

D'abord détenu en Espagne, Daniel Cordier parvient à s'évader et à rejoindre le Royaume-Uni. Il retourne cependant à Madrid après la guerre, guidé par les échos d'une parole que Jean Moulin lui avait donnée et n'avait pu tenir. "Moulin avait fait à Cordier une promesse: il l’emmènerait au musée du Prado. C’est seul qu’il s’y rend."

C'est l'heure alors pour ce jeune homme de seulement 25 ans de "changer sa vie", selon les termes employés par Emmanuel Macron. Daniel Cordier apprend à peindre et se fait marchand d'art. "Peintre et marchand d’art, c’était la couverture de Jean Moulin, c’était aussi son rêve", a relevé le patron de l'exécutif.

Via cette nouvelle activité, Daniel Cordier participe à l'entrée dans la gloire critique et publique d'artistes comme Nicolas de Staël ou Jean Dubuffet. "Il voyage, explore le monde, organise des expositions, participe à la fondation du Centre Pompidou dont il étoffe les collections par ses conseils et ses dons", a complété le chef de l'État.

Historien malgré lui

Au tournant des années 1970-1980, Daniel Cordier, qui avait décidé de passer sous silence son expérience de la Seconde Guerre mondiale, s'y replonge avec ardeur. Choqué par les accusations portées par Henri Frenay, grand résistant lui-même qui avait dit voir en Jean Moulin un agent communiste, il se lance dans l'écriture. Ses livres reviennent sur la vie de son mentor, sur la sienne et sur le quotidien de la France libre.

"Daniel Cordier a toujours agi par amour, celui de la Patrie, de la liberté, du beau qui le conduisit à aider tant d’artistes, celui de la vérité. Au fond, il fut le héros du grand roman d’apprentissage que fut son existence", a salué Emmanuel Macron qui s'est ensuite tourné vers Hubert Germain: "Daniel Cordier est devenu finalement chancelier d’honneur de l’Ordre des Compagnons de la Libération. Et aujourd’hui en cette cour d’honneur des Invalides, il n’en reste qu’un à qui les braises ardentes sont rendues. C’est vous, Hubert Germain. Mon lieutenant, je compte sur vous et vous le savez, vous ne serez jamais seul."

La révérence d'un Français libre

"Daniel Cordier fut un Français libre. Libre de ses amitiés, libre de ses amours. Libre car il avait décidé d’épouser son destin. Cette flamme que vous avez allumée avec vos compagnons ne s’éteindra pas, j’y veillerai, et elle continuera à en guider bien d’autres", a-t-il achevé.

Le Chant des partisans a alors enveloppé le cercueil de Daniel Cordier, comme une dernière oraison.

Article original publié sur BFMTV.com