Vie chère en Martinique : qu’est-ce que "l’octroi de mer", cette taxe qui vient d'être suspendue pour 5 900 produits ?

Primordiale pour les collectivités mais pénalisante pour les habitants, l’"octroi de mer" suscitait la colère des habitants en Martinique face à la vie chère. Explications.

Les couches feront partie des 5 900 produits de première nécessité à bénéficier d'une suppression de l'octroi de mer, comme les conserves ou encore les pâtes.
(Photo PATRICE COPPEE / AFP)
Les couches feront partie des 5 900 produits de première nécessité à bénéficier d'une suppression de l'octroi de mer, comme les conserves ou encore les pâtes. (Photo PATRICE COPPEE / AFP)

Si la colère semble être redescendue en Martinique après la mise en place d'un couvre-feu et l'envoi de CRS après plusieurs jours de manifestations et de blocages parfois violents contre la vie chère, les prix, eux, n'ont pas baissé et sont en moyenne 40% plus chers qu'en métropole, selon une étude de l’Insee en 2022. Une taxe cristallise toutes les critiques des habitants et alimente la grogne sociale : l’"octroi de mer".

Pour calmer la grogne et améliorer le pouvoir d'achat des Martiniquais, la collectivité territoriale de Martinique (CTM) va suspendre pour trois ans l'octroi de mer qui s'applique aux biens importés. Une suspension qui ne concernera qu'une liste de milliers de produits de première nécessité, a-t-elle annoncé ce jeudi 26 septembre.

Au total, "54 familles de produits essentiels, représentant plus de 5 900 articles de première nécessité (pâtes, conserves, couches, etc.)" sont concernés. "La suppression de l'octroi de mer pour ces produits sera proposé à l’Assemblée de Martinique lors de sa session des 3 et 4 octobre 2024", a annoncé la CTM dans un communiqué, cité par l'AFP.

Une suppression d'une durée de 36 mois qui représente "un effort fiscal annuel de 5,98 millions d’euros pour les collectivités", et qui sera compensée par "une taxation accrue de produits dits 'premium'", tels que les voitures diesel de forte cylindrée ou les appareils électroniques.

Justification apportée : "notre priorité est d’aider les Martiniquais à faire face à la vie chère tout en maintenant les recettes indispensables au fonctionnement de nos communes", a déclaré le président de la CTM, Serge Letchimy, cité dans le communiqué de la CTM. Car l'octroi de mer, finance les collectivités locales depuis... 354 ans ! Dans certaines municipalités, les recettes fiscales issues de cet impôt représentent parfois plus de 50% du budget d’une commune.

Instaurée en Martinique dès 1670 par Jean-Baptiste Colbert, alors contrôleur général des finances de Louis XIV, cette taxe spécifique aux Dom vise les produits importés. Le but étant en théorie de financer les collectivités martiniquaises qui perçoivent cette taxe et de protéger le tissu économique local fragilisé par l’insularité. "Par exemple, la plupart des biscuits sont taxés à 15% s'ils sont importés, mais seulement à 2,5% s'ils sont fabriqués en Martinique", illustre France Info.

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Cette imposition qui s’applique aussi en Guyane, en Guadeloupe, à La Réunion et à Mayotte tire les prix vers le haut. Et dans un département où plus d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, faire ses courses n’a jamais été aussi compliqué en raison du coût de la vie bien plus élevé qu’en Métropole. Les témoignages des Martiniquais obligés d’acheter un pack d’eau à 11 euros, du beurre à 8 euros ou une bouteille d’huile d’olive à plus de 4 euros se multiplient sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, le site "Kiprix" compare les prix sur l'île et en métropole et les écarts entre certains produits sont abyssaux.

"Lorsque les taux d'octroi de mer s'appliquent à des produits d'importation qui n'ont pas leur équivalent localement, on aboutit à des situations absurdes. Les gens ont besoin d'acheter des produits importés qui sont ceux qui coûtent le plus cher", explique auprès de l'AFP Ivan Odonnat, président de l'Iedom, l'organe de la Banque de France dans les territoires d'Outre-mer.

Pour les régions d’outre-mer, cette taxe représente "entre 34 et 45% de leurs recettes fiscales" et entre "18 et 33% de leurs recettes réelles de fonctionnement". Dans certaines municipalités, les recettes fiscales issues de cet impôt représentent parfois plus de 50% du budget d’une commune.

"L’octroi des mers est un facteur explicatif de la cherté de la vie dans les Outre-mer, parmi de nombreux autres", a reconnu La Cour des comptes dans un rapport publié en mars 2024. L’institution juge que cette taxe, essentielle aux communes ultramarines, est "à bout de souffle" et n’exclut pas la suppression de ce dispositif d’ici à 2027. Suffisant pour faire baisser les prix ? Pas sûr puisque cette taxe "ne constitue qu’un facteur explicatif de la cherté de la vie dans les outre-mer, parmi de nombreux autres" d'après les sages de la rue Cambon. Le test mené par la Martinique durant 36 mois pourrait servir d'inspiration pour les autres territoires concernés par l'octroi de mer.