Vie chère en Martinique : 15 ans après, ce qu’enseigne le précédent de 2009
OUTRE-MER - Quinze ans plus tard, rien n’a changé. Depuis le 1er septembre 2024, la Martinique est secouée par une mobilisation contre la « vie chère » selon l’expression consacrée, c’est-à-dire contre l’écart entre les prix de produits vendus dans l’Hexagone et le prix des mêmes produits vendus sur l’île. Une revendication qui était déjà à l’origine en 2009 de l’un des plus importants mouvements sociaux de l’histoire des Antilles.
10 octobre 2024 : une cinquantaine de manifestants envahissent l’aéroport Aimé Césaire de Martinique. La scène en rappelle une autre, en janvier 2009 en Guadeloupe où l’aéroport avait aussi été occupé. À l’époque, la Guadeloupe s’embrasait contre la vie chère, et une grève générale emmenée par Éli Domota et le LKP « Liyannaj Kont Pwofitasyon » (Collectif contre l’exploitation) paralysait l’île pendant 44 jours. Le mouvement s’était ensuite étendu à la Martinique, avant que des accords soient signés en mars par les deux îles et l’État.
Depuis, quinze ans se sont écoulés… et le problème est toujours d’actualité. Selon une étude de l’Insee établie en juillet 2022, l’écart moyen des prix entre l’Hexagone et la Martinique est d’environ 40 %. Une estimation contestée à l’échelle locale alors que, selon un comparateur de prix mis en place pendant la mobilisation les écarts peuvent dépasser les 100 % sur certains produits.
Une même revendication, plusieurs modes d’action
2009 et 2024, le mot d’ordre n’a donc pas changé : les habitants réclament la baisse des prix des produits de la grande distribution. Mais ils ne se mobilisent plus de la même manière. « En 2009, on assistait avant tout à des manifestations massives » plusieurs jours d’affilée, explique au HuffPost Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l’université des Antilles. « 2009 se passait dans la rue. Aujourd’hui, il y a un soutien très fort de la revendication mais il n’y a personne dans les rues. Ce sont surtout des opérations ponctuelles, le blocage d’hypermarchés et de ronds-points. On est beaucoup plus proche d’une stratégie qui rappelle celle des gilets jaunes que celle de 2009. »
On est beaucoup plus proche d’une stratégie qui rappelle celle des gilets jaunes que de celle de 2009. - Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l’université des Antilles
Autre différence majeure : l’absence de propagation de la mobilisation dans les territoires ultramarins voisins. En 2009, l’étincelle partie de Guyane avait touché la Guadeloupe en janvier puis la Martinique en février. Mais en 2024, après un mois et demi de mobilisation, la Martinique est toujours seule à se faire entendre.
En cause, selon Justin Daniel, la nature même de la mobilisation et surtout de ses initiateurs. « En 2009, le mouvement était lancé par un “Liyannaj”, c’est-à-dire un assemblage de plusieurs organisations syndicales, culturelles, associatives… On était dans quelque chose de structuré et d’organisé ». Rien à voir avec 2024 où le mouvement repose sur une seule association, le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro Caribéens) lancée quelques mois plus tôt par Rodrigue Petitot, dit « Le R ». Inconnu du grand public et passé par la case prison à quatre reprises pour trafic ou recel, l’homme s’est fait un nom grâce à des prises de paroles sur les réseaux sociaux et privilégie les actions coups de poing. « Il est extrêmement difficile d’exporter ce type de mouvement dans d’autres territoires », explique Justin Daniel.
Penser sur le long terme pour faire mieux qu’en 2009
Après un mois et demi d’actions et plusieurs tables rondes organisées avec le préfet de Martinique Jean-Pierre Bouvier, le président de la Collectivité territoriale Serge Letchimy, des parlementaires et des représentants de la grande distribution (Groupe Bernard Hayot et groupe Parfait, qui détiennent à eux deux plus de la moitié du marché), un accord en 28 points a été trouvé le 16 octobre. Parmi les mesures principales : la baisse de 20 % sur les prix de 7000 produits parmi les plus consommés, l’objectif de 5 à 25 % maximum d’écart entre les prix de l’hexagone et ceux de l’île, la suppression de l’octroi de mer sur certains produits et le contrôle mensuel des marges et des écarts de prix.
Le ministre des Outre-mer François-Noël Buffet et la CTM se sont réjouis d’un accord « historique ». Mais le précédent de 2009 refroidit quelque peu l’enthousiasme de la population locale. En effet, en 2009 aussi une baisse des prix de 20 % sur 400 articles de la grande distribution avait été actée lors des accords. Tout comme le contrôle des prix. Sans que le problème de la vie chère soit durablement réglé.
Auprès du HuffPost, Justin Daniel insiste tout d’abord sur la valeur juridique « assez limitée » de l’accord et sur sa mise en œuvre qui « dépendra avant tout du degré d’engagement effectif des différents acteurs ». Par exemple, si les différents acteurs de la grande distribution se sont « engagés à n’appliquer aucune marge excessive sur l’ensemble des produits de l’alimentation courante », rien en droit ne permet de savoir dans quelle mesure une marge serait « excessive » ou non.
En parallèle, il alerte sur le délai d’entrée en vigueur de cet accord - pas avant le 1er janvier 2025 - et surtout sur son effet dans la durée pour ne pas rejouer la même scène d’ici quelques années : « La réussite de cette mobilisation va dépendre de la capacité à répondre à l’urgence mais aussi, sur le long terme, de la capacité des uns et des autres à mettre en œuvre des réformes structurelles. Si on ne le fait pas aujourd’hui, dans cinq ou dix ans on va se retrouver confronté exactement au même problème. » Le RPPRAC a d’ailleurs refusé de signer l’accord, jugé insatisfaisant en partie à cause du manque de garanties sur son efficacité réelle. Et appelle à poursuivre la mobilisation.
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