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"Vanessa remplace Léa" : les médias français sont-ils sexistes ?

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(France 24/Le Parisien/Twitter)

Ce matin, en titrant sa une sur le changement de chroniqueurs d’"On N’est Pas Couché", le journal Le Parisien soulignait une fâcheuse tendance sexiste et infantilisante parmi les médias français : appeler les femmes par leur prénom, et les hommes par leur nom de famille.

La manœuvre est courante parmi les médias français, à tel point qu’elle ne choque quasiment plus. Est-ce pour autant une raison de la banaliser ? Ce lundi 30 mai, Le Parisien tirait plus de 200 000 exemplaires de sa nouvelle une : “Ça va mieux vraiment ?”. En pied de page, un autre titre annonçait : “Vanessa remplace Léa chez Ruquier”, évoquant ainsi le remplacement de la chroniqueuse Léa Salamé par Vanessa Burggraf au sein de l’émission “On n’est pas couché”. De quoi prouver que “Non, ça ne va pas vraiment mieux", du moins du côté des lignes éditoriales des journaux hexagonaux.

Maïtena, Enora… Les journalistes qui pâtissent de leur statut de femme

Pourquoi ne pas avoir titré, par souci paritaire, “Léa remplace Vanessa chez Laurent ?” Parce qu’en France, les célébrités du PAF et les hauts fonctionnaires politiques ont pour habitude d’être nommés par le grand public et les médias en fonction de leur prénom, s’il s’agit de femmes, et de leur nom de famille, concernant les hommes. Le Parisien a vite provoqué un tollé au sein des réseaux sociaux.

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Cette énième ire féministe – qui en agace certains – aurait l’avantage de ne pas exister si les journaux français ne produisaient pas régulièrement les mêmes erreurs, et n’incitaient pas ensuite le grand public à les reproduire.

A l’exception de quelques célébrités du PAF telles que Maïtena Biraben ou Enora Malagré raccourcies en “Maïtena” et “Enora”, cette bataille des patronymes ne fait pas encore (trop) rage dans le monde des journalistes et animateurs ; et pourtant, il existe déjà une différence de taille. Les hommes sont usuellement nommés par leurs noms de famille (Ruquier, Pujadas, Delahousse, Bourdin, Hanouna…) quand leurs collègues féminines sont appelées par leur prénom ET nom de famille (Elice Lucet, Ophélie Meunier, Laurence Ferrari, Claire Chazal, Daphné Burki). Est-il besoin de créer une telle différence ? Ces femmes ne seraient-elles pas tout aussi aisément identifiables par leur simple patronyme ?

Une différence de traitement… et de salaire

Pour ces mêmes femmes, le fossé imposé avec les hommes s’illustre aussi ailleurs, comme le prouve leur salaire. D’après un manifeste de Libération publié en 2014, les salaires des femmes journalistes restent inférieurs de 12 % en moyenne à ceux de leurs confrères.

Les exemples des stars des JT sont tout aussi équivoques : quand Patrick Poivre d’Arvor touchait 100 000 euros mensuels pour le 20h de TF1, Claire Chazal recevait 70 000 euros par mois pour un travail identique, d’après le livre “TF1 : coulisses, secrets, guerres internes”. Du côté de France Télévisions, David Pujadas avoisinait les 12 000 euros par mois pour le JT de 20h et “Des Paroles et des actes” alors que celui d’Elise Lucet se situait à 10 000 euros mensuels pour la présentation du 13h et de “Cash Investigation”, selon des révélations de VSD l’an dernier. Ce reportage d’Acrimed résume bien les chiffres du CSA :

Une mode qui s’étend au monde politique : Najat, Ségolène et consorts

Cette tendance des médias s’exprime plus particulièrement au cœur du monde politique, où les exemples sont légion. “Najat" (Vallaud-Belkacem), “Ségolène” (Royal), “Rachida” (Dati), “Roselyne” (Bachelot), “Marine” (Le Pen) ne font pas le poids face à “Valls”, “Hollande”, "Macron”, “Copé” ou “Juppé”. L’exemple se reproduit parfois outre-Atlantique, comme le démontre la bataille présidentielle entre “Hillary” et “Trump”. Est-ce dû à leur caractère plus facilement identifiable qu’un Manuel, un Nicolas, ou un Emmanuel ? Peut-être, car il ne s’agit en tout cas pas d’une question de longueur : Najat Vallaud-Belkacem n’a pas le droit à son acronyme, alors que Dominique Strauss-Kahn (DSK), et même plusieurs femmes (Nathalie Kosciusco-Morizet alias NKM, Michèle Alliot-Marie aka MAM) en bénéficient. A la tête du client, alors ?

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Ce sont des familiarités qui me choquent” avait regretté Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports au micro de LCI l’an dernier, juste après la publication d’un article du Parisien (encore) titrant ”L’épreuve du feu pour Najat“. “Ça me donne envie de cogner ! (…) Une fois de plus, on minimise les femmes" avait lancé Roselyne Bachelot quelques jours plus tard, après la parution d’un article du Figaro, intitulé ”Geneviève et Germaine, au nom des oubliées de la Résistance“, traitant de l’entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle Anthonioz et Germaine Tillion en mai 2015. L’an dernier, Slate s’amusait à échanger les rôles, en titrant des unes de journaux avec les prénoms d’hommes politiques.

Toujours est-il que, selon le CSA, les femmes auraient 30,4 % de temps de parole dans les magazines de plateau ; de même, seuls 18 % d’entre elles représentent les experts invités dans la presse écrite, la radio et la télévision. A défaut de voir les patrons de groupes médiatiques accorder aux deux sexes les mêmes droits, il est peut-être plus simple que ceux-ci commencent par gommer un simple tic.