"Sans valeur et sans morale" : une partie de la macronie en colère après l'appel de Michel Barnier à Marine Le Pen

Le Premier ministre s'est fendu d'un coup de fil à la présidente des députés RN pour désavouer son ministre de l'Économie. Mais la méthode choque une partie du camp présidentiel qui accuse Michel Barnier de "compromission" vis-à-vis des élus de Marine Le Pen.

Une scène qui a catalysé à elle seule tous les doutes qui traversent la macronie sur la stratégie choisie par Michel Barnier. Le Premier ministre a recadré ce mardi 24 septembre son nouveau ministre de l'Économie, Antoine Armand, qui avait exclu le Rassemblement national de "l'arc républicain". Le locataire de Matignon s'est même fendu d'un coup de téléphone auprès de Marine Le Pen pour arrondir les angles. De quoi mettre en colère une partie du camp présidentiel.

"On est en train de devenir des politiques sans valeur et sans morale", s'agace auprès de BFMTV.com l'ancien député Renaissance Patrick Vignal, qui s'est retiré au second tour des législatives pour éviter une victoire du parti à la flamme.

Si Antoine Armand a depuis publiquement rétropédalé dans un communiqué de presse sur demande du chef du gouvernement, c'est surtout l'échange téléphonique entre Michel Barnier et la patronne des députés RN que n'avalent pas certains.

"Le RN, c'est l'extrême droite et on ne parle pas avec l'extrême droite", tranche le député Renaissance Ludovic Mendes. "Ce n'est pas le rôle du Premier ministre de parler à Marine Le Pen. Le dépassement, oui, le rappel de la ligne politique à un ministre, oui, la compromission, non".

"Je ne suis pas surpris par la claque qu'a mis publiquement le Premier ministre à Antoine Armand, mais appeler Marine Le Pen, on n'était peut-être pas obligé quand même. On commence à avoir une idée de ce qui nous attend", soupire quant à lui un député Renaissance, pourtant proche de la droite.

Alors que plus d'une centaine de députés macronistes ont sauvé leur siège en juillet dernier grâce au retrait de candidats de gauche au second tour et que les parlementaires vont reprendre la semaine prochaine le chemin de l'hémicycle, la manœuvre de Michel Barnier ne passe pas. D'autant qu'en 2022 et 2024, Élisabeth Borne, alors Première ministre, n'a eu de cesse d'exclure le RN de "l'arc républicain".

"Que nous fassions des compromis et que nous négocions avec le RN, il en est hors de question. Ça a toujours été notre ligne rouge et je ne soutiendrai pas des compromis avec le RN", défend ainsi le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli.

Mais Michel Barnier avait-il vraiment d'autre choix que de rassurer Marine Le Pen, lui qui doit sa nomination à la mansuétude du Rassemblement national? Depuis son arrivée à Matignon, le Premier ministre, bien conscient que les 126 députés RN détiennent son avenir politique entre leurs mains, n'a eu de cesse de s'atteler à entretenir de bonnes relations.

Avec une obsession: éviter une motion de censure soutenue par les troupes du parti à la flamme qui, avec les forces de gauche, pourraient faire tomber son gouvernement.

"Je rencontrerai Marine Le Pen, je la verrai, je la respecte", avait-il assuré à peine 24 heures après son arrivée au gouvernement, disant "respecter" tout autant "les 11 millions de Français qui ont voté pour le RN". Lors de sa passation de pouvoir avec Gabriel Attal, le chef du gouvernement avait également promis de ne pas faire preuve de "sectarisme" et de "prendre les bonnes idées partout".

"Le Premier ministre a demandé du respect à l'égard de toutes les formations politiques. Parler aux uns et aux autres, c'est une manière de respecter le verdict des urnes. On ne peut pas faire de distinction parmi les députés", le défend le député Karl Olive.

"Attention à la manière de faire quand même et au timing" s'émeut de son côté un député Renaissance. "Il faut qu'on arrive à parler à Marine Le Pen, mais on ne peut pas non plus se fâcher avec la moitié de Renaissance alors que la session parlementaire n'a même pas commencé."

Pour l'instant, Michel Barnier semble avoir choisi sa priorité, quitte à permettre à des membres de son gouvernement de reprendre à leur compte des propositions du RN. Lors d'un déplacement au commissariat de La Courneuve, le nouveau ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a appelé à supprimer l'aide médicale d'urgence (AME) pour les personnes sans-papiers et à la remplacer par une aide d'urgence pour les cas médicaux les plus graves.

La mesure est votée depuis des années par le Sénat et apparaissait dans le projet de loi immigration votée par la chambre haute en décembre 2023 avant d'en être retirée sous l'impulsion d'Élisabeth Borne.

Il faut dire que la proposition se retrouve dans le programme de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022 et avait déjà largement mis le feu aux poudres parmi les macronistes.

"On a quand même un ministre de l'Intérieur qui pose un sujet comme ça pour son premier déplacement de terrain... Il a choqué jusqu'à notre aile droite", reproche le député Ludovic Mendes. Le patron des députés Horizons Laurent Marcangelli, tout comme l'ex-ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo ont fait publiquement savoir leur désaccord.

"Et puis Marine Le Pen peut dire ce qu'elle veut, mais si elle décide de voter une motion de censure avec la gauche deux minutes avant une séance, on ne pourra rien y faire, que Michel Barnier l'appelle ou pas. Donc arrêtons un peu la danse du ventre", juge de son côté l'ancien député Patrick Vignal.

Le Premier ministre peut cependant se rassurer. À l'exception du départ de Sacha Houlié en juillet dernier et de Sophie Errante il y a quelques jours, un départ massif de députés macronistes qui créerait un nouveau groupe dissident à l'Assemblée semble peu probable.

"On n'a pas vocation à partir. On ne baisse pas les armes, on sera toujours là pour jouer le rôle de vigie", met cependant en garde Ludovic Mendes.

Article original publié sur BFMTV.com