Valéry Giscard d'Estaing est mort à l'âge de 94 ans

L'ancien président Valéry Giscard d'Estaing le 14 octobre 2014 au Bourget, près de Paris - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP
L'ancien président Valéry Giscard d'Estaing le 14 octobre 2014 au Bourget, près de Paris - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP

"Au début, le traumatisme était fort. Ce traumatisme a duré longtemps. Il a été atténué par mes fonctions au Conseil régional d’Auvergne, et il a complètement disparu quand j’ai présidé la Convention européenne", confiait l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Ce traumatisme est celui d’un homme, éconduit par le peuple français après un unique mandat.

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Le destin politique de "VGE", mort ce mercredi selon son entourage et selon l'Élysée, a été marqué le 10 mai 1981, jour de sa défaite au second tour de l’élection présidentielle face à François Mitterrand, du sceau de la tragédie. Ce jour-là, l’homme pressé devint l’homme blessé, atteint, comme il le disait lui-même, d’une "inguérissable nostalgie".

"Je pars à un moment où l’œuvre n’est pas achevée", commentera plus tard celui qui voulait "regarder la France au fond des yeux" et faire basculer le pays dans la modernité. "L’après" du fondateur de l’UDF ne pouvait être, Ve République oblige, qu’un déclin. Longtemps, il crut à un retour au sommet, qui n'advint jamais.

Jeunesse résistante

L’Auvergnat, né en 1926 à Coblence, dans la Rhénanie d’entre-deux-guerres occupée par les forces françaises, appartenait à la génération d’hommes politiques forgés par la Seconde Guerre mondiale. Bachelier à seize ans, le jeune Valéry Giscard d’Estaing participe, à peine majeur, à la Libération de Paris, alors qu’il est élève en classe préparatoire au prestigieux lycée Louis-Le-Grand. Il s’engage ensuite dans la 1ère armée française du général de Lattre de Tassigny.

"J’avais peur d’avoir peur. À ma surprise, sans savoir pourquoi, j’ai découvert que je n’avais pas peur", confiait le tankiste dans le documentaire Giscard de vous à moi: les confidences d’un Président. Comme Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing s’épanouit sous les drapeaux: "J’ai passé un an et demi de bonheur. J’ai beaucoup aimé l’armée. C’est la fraternité absolue."

À la fin de la guerre, le brigadier Giscard d'Estaing, décoré de la Croix de guerre pour ses faits d’arme, retourne au lycée Louis-Le-Grand et reprend son parcours. Il intègre Polytechnique en 1946, et choisit d’intégrer la jeune École nationale d’administration (ENA) en janvier 1949. Clin d’œil du destin, sa promotion est baptisée "Europe". Il choisit le corps de l’Inspection des finances, traditionnellement dévolue aux élèves les mieux classés (VGE sort 6ème) à l’ENA. C'est alors que débute l’ascension politique de ce pur produit de l’élite républicaine.

Le "grand argentier"

En 1956, il est élu pour la première fois député du Puy-de-Dôme, dans la même circonscription que son grand-père et son arrière-grand-père. Un mandat de député qu’il cumule bientôt avec celui de conseiller général, obtenu deux ans plus tard. À 32 ans, Valéry Giscard d’Estaing intègre le gouvernement – dont il est le benjamin - en tant que secrétaire d'État aux Finances. De lui, le général de Gaulle dira qu’il fut son "meilleur argentier". Il est d’ailleurs promu, en 1962, ministre des Finances et des Affaires économiques. Trop indépendant au goût des gaullistes, il n’est cependant pas retenu après l’élection présidentielle de 1965.

Au côté du "Grand Charles", Valéry Giscard d’Estaing aiguise sa vision du pays: "Quand il parlait de la France, il ne parlait pas de la France actuelle, ou de la Ve République. J’ai retenu cette approche, et quand je parle de la France, je vois la France sur la longueur de son Histoire", expliquera-t-il ensuite. Rien d’étonnant à cela, pour un homme dont l’obsession nobiliaire fut souvent raillée.

Sans portefeuille, le député Giscard prend de plus en plus de poids au Palais-Bourbon. Peu à peu, il prend ses distances avec le pouvoir gaulliste. Il crée ainsi son mouvement, la Fédération nationale des républicains indépendants, en 1966, avec un positionnement politique de centre-droit.

"Dire que je suis de droite, c’est une bêtise, se désolait Valéry Giscard d’Estaing. Ce qu’on appelle la droite, ce sont ou bien des gens qui sont craintifs, je crois que c’est une définition d’Alain: on est à droite quand on a peur pour ce qui existe. Ou bien ce sont des gens qui sont liés à des intérêts. Or je n’ai pas peur pour ce qui existe, et ne suis lié à aucun groupe de pression ou d’influence. Je suis un traditionaliste et un réformiste." Un "et en même temps" avant l’heure, en quelque sorte.

En 1967, Valéry Giscard d'Estaing est élu maire de Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, pour un mandat jusqu'en 1974. Au décès de son successeur Claude Wolff en 2005, c'est un des fils de l'ancien président, Louis Giscard d'Estaing, qui est élu à la tête de la ville cossue de l'agglomération clermontoise. Ce dernier a été réélu aux dernières élections municipales en 2020, pour le troisième scrutin consécutif.

La conquête

Avec l’ambition de rassembler "deux Français sur trois" autour de ses idées, Valéry Giscard d’Estaing sent, en 1968, un appel d’air progressiste souffler sur le pays:

"Dans cet événement, j’ai vu deux choses: d’une part qu’il y avait une évolution profonde pour qu’on dispose d’une liberté plus grande, et d’autre part qu’il y avait le début de l’effondrement des structures françaises."

Un an plus tard, le député auvergnat contribuera à clore l’ère de Gaulle, en annonçant "ne pas approuver" le référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation. De retour au ministère des Finances en 1969, sous la présidence de Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, fin technicien, se plaît à son poste de ministre de l'Économie et des Finances, sans pour autant que son ambition n'y soit bornée. Il part à la conquête de l’Élysée après le décès de Pompidou, en 1974.

Il livre une campagne innovante. Pour la première fois, le candidat à la présidence de la République met en scène sa vie privée, ses loisirs, son corps – il skie et joue au football sous l’objectif des caméras. Valéry Giscard d’Estaing est jeune et dynamique, et compte le faire savoir. Estimant que "la télévision est le premier pouvoir en France", le candidat importe des États-Unis une communication politique aujourd’hui devenue un passage obligé.

Soucieux de son image, celui que Raymond Barre surnommait "Narcisse homme d’État" s’est fait filmer tout au long de sa campagne victorieuse par le jeune Raymond Depardon, avant d’interdire la diffusion de ce documentaire, "archive personnelle", jusqu’en 2002. Dans Une partie de campagne, on voit notamment, à l’arrière d’une DS, le candidat recoiffer ses (rares) cheveux avec un soin méticuleux, au côté de son épouse Anne-Aymone.

Sans parti majeur derrière lui, mais avantagé par la division des gaullistes, VGE prend peu à peu l’avantage sur son rival, Jacques Chaban-Delmas. Le maire de Bordeaux sera éliminé au premier tour.

"Le public ressentait ce que je ressentais, et donc il y avait une espèce de communication affective, qui n’était pas seulement dans les mots, dans les déclarations, qui était dans la rencontre et dans le regard", se souvenait l’ancien président, qui avait conservé une photo de JFK sur son bureau élyséen pendant tout son quinquennat.

Coup de jeune

Opposé au socialiste François Mitterrand, le candidat de 48 ans, très en avance sur son concurrent à la télévision, marque les esprits en lâchant la fameuse formule: "Vous n’avez pas le monopole du cœur." "Mitterrand m’a dit: ‘C’est à ce moment-là que j’ai perdu l’élection.’" Le résultat est toutefois le plus serré de l'histoire de la Vème République: 50,81% pour Giscard contre 49,19% pour Mitterrand.

Le nouveau chef de l’État arrive à pied à l’Élysée, sans prédécesseur pour l’accueillir et sans parti à récompenser: il ne doit rien à personne. En simple costume de ville, VGE souhaite donner à son accession au trône républicain une dimension historique:

"Voici que s’ouvre le livre du temps, avec le vertige de ses pages blanches, déclare-t-il en conclusion de son discours d'investiture. Ensemble, comme un grand peuple uni et fraternel, abordons l’ère nouvelle de la politique française".

En en respectant l'esprit, Valéry Giscard d'Estaing souhaite donner aux institutions un lustre moderne. Pour la première fois, le chef de l'État n'arbore pas le Grand collier de la Légion d'honneur sur sa photo officielle.

Surtout, il amorce dès la première année de son septennat une série de réformes sociétales progressistes: dès juin 1974, l'âge de la majorité passe de 21 à 18 ans; en novembre, Simone Veil obtient la dépénalisation de l'avortement; le congé maternité est allongé; le minimum vieillesse augmente; la législation sur la contraception s'assouplit; la réforme du divorce par consentement mutuel est engagée et le collège unique se profile déjà.

"L'homme du passif"

Libéral, Valéry Giscard d'Estaing l'est aussi sur l'économie. Dans ce domaine, le bilan de son septennat est moins heureux: subissant de plein fouet les conséquences des deux chocs pétroliers, VGE fait appliquer par Raymond Barre une politique de rigueur qui n'empêche pas le chômage de tripler le temps de son mandat.

"Ce qui a été fait à l’époque, ça représente ce qui a été fait à l’époque par madame Tchatcher, moins la brutalité", défendait l'ancien président.

Deux ans après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, la magie n'opère plus. Malgré les efforts du chef de l'État pour "décrisper la vie politique française" - il est le premier à recevoir au palais de l'Élysée les leaders de l'opposition -, la mésentente avec son Premier ministre Jacques Chirac, qui perçoit la hauteur élyséenne comme une humiliante condescendance, tourne à la franche détestation.

Après six mois d'idylle, les deux hommes se lancent dans l'un des plus longs duels de la Ve République, animé par une rancune tenace et des personnalités diamétralement opposées. En 1976, le gaulliste finit par démissionner, estimant ne pas "disposer des moyens qu’il estime nécessaire pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre". Jacques Chirac et les gaullistes n'auront alors de cesse de mettre des bâtons dans les roues du président de la République.

La fin du septennat de VGE sera houleuse. En octobre 1979, le ministre du Travail Robert Boulin est retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet. À ce jour, la famille de ce dernier conteste toujours la thèse officielle du suicide.

C'est au cours de ce même mois que Le Canard Enchaîné révéla l'affaire dite des diamants de Bokassa. L'hebdomadaire rend public le fait que le président de la République centrafricaine, Jean-Bedel Bokassa, avait remis de manière confidentielle des diamants à Giscard en 1973, alors ministre des Finances. Une affaire qui collera longtemps à la peau de l'ancien chef de l'État.

1979 constitue également l'année du deuxième choc pétrolier, avec la chute du Shah et la révolution islamique en Iran.

Candidat à sa réélection en 1981, VGE est cette fois doublé par son rival de 1974, François Mitterrand. Une défaite à laquelle l'Auvergnat ne s'attendait pas. Au cours du débat de l'entre-deux-tours, Mitterrand reprend à sa façon une pique que lui avait décochée VGE, qui l'avait qualifié "d'homme du passé".

"Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans: 'L’homme du passé'. C’est quand même ennuyeux que dans l’intervalle, vous soyez devenu, vous, l’homme du passif", avait taclé le socialiste au cours de ce face-à-face.

La formule "Au revoir", prononcée lors du dernier discours télévisé de VGE en tant que président de la République, restera également célèbre. Le président avait prononcé ces mots avant de quitter la pièce, laissant une chaise vide avec la Marseillaise en fond sonore.

Seconde vie politique

Pour le président sortant, c'est le début d'une seconde vie politique. Après son septennat à l'Élysée, qu'il quitte à l'âge de 55 ans, Valéry Giscard d'Estaing se fait réélire aux élections cantonales de 1982, dans son fief du Puy-de-Dôme.

En 1984, il est réélu député du même département à la faveur d'une élection partielle, jusqu'à 1989, puis de 1993 jusqu'à 2002.

En 2001, il est nommé président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, par le Conseil européen. C'est en cette qualité qu'il présente, en 2003, un projet de Constitution européenne, signé en octobre 2004 par les 25 États-membres de l'Union européenne.

Il sera aussi élu à la tête du Conseil régional d'Auvergne en 1986, poste qu'il occupe pendant 18 ans, jusqu'en 2004. Entre 1989 et 1993, il occupe un mandat de député européen. Du fait de sa qualité d'ancien chef de l'État, Valéry Giscard d'Estaing est aussi membre de droit du Conseil constitutionnel depuis son départ de l'Élysée en 1981.

Accusation d'agression sexuelle

Au crépuscule de sa vie, une enquête est ouverte à l'encontre du prédécesseur de François Mitterrand. Une journaliste allemande, Ann-Kathrin Stracke, a déposé plainte en mars dernier pour agression sexuelle. Elle accuse VGE de lui avoir touché les fesses à trois reprises au cours d'une interview réalisée en 2018.

En juin, l'ancien président mis en cause réagit publiquement sur RTL, balayant ces accusations d'un revers de main. "C'est quelqu'un qui cherche manifestement à se donner un rôle important qu'elle n'a pas", explique-t-il, avant d'ajouter: "Le grotesque ne me blesse pas."

Outre la politique, VGE est élu à l'Académie française en décembre 2003, au fauteuil de Léopold Sédar Senghor. Ce mercredi, "l'Immortel" est mort.

Article original publié sur BFMTV.com