Vacances: pourquoi les colonies apprenantes ont du mal à démarrer

Une colonie de vacances  Aveyron, en juillet 2010 (PHOTO D'ILLUSTRATION) - Rémy Gabalda - AFP
Une colonie de vacances Aveyron, en juillet 2010 (PHOTO D'ILLUSTRATION) - Rémy Gabalda - AFP

Alors que les enfants sont officiellement en vacances ce samedi et que le ministre de l'Éducation nationale a annoncé la création de "colos apprenantes" après le confinement, conséquence d'un calendrier scolaire bouleversé par la crise de la Covid-19, ce dispositif semble avoir du mal à démarrer.

Lors de la réouverture des écoles, Jean-Michel Blanquer avait annoncé des "vacances apprenantes" à destination d'un million d'enfants afin de rattraper les éventuelles lacunes et pour éviter que certains ne décrochent. Dans cette enveloppe de 200 millions d'euros, le financement de quelque 250.000 départs en colonies apprenantes, pour les mineurs de 3 à 17 ans, dont 200.000 places gratuites réservées à des jeunes de quartiers prioritaires.

Une colo "crinières au vent" ou "Davy Crockett"

Un dispositif ouvert à toutes les familles mais dont la prise en charge financière est particulière pour certains publics prioritaires: ceux de la politique de la ville, les élèves de zones rurales ou en difficultés scolaires, les enfants des professionnels en première ligne dans la crise du Covid-19 ou encore ceux de familles isolées, précaires ou monoparentales. Pour ceux-ci, l'inscription doit en principe se faire par le biais de la collectivité.

Ces colos apprenantes, proposées par les organisateurs habituels de colonies de vacances (association d'éducation populaire, collectivité territoriale ou structures privées) proposent ainsi des formules "associant renforcement des apprentissages et activités de loisirs", précise le ministère.

"Elles offrent la possibilité aux enfants et aux jeunes de renforcer savoirs et compétences dans un cadre ludique et de préparer ainsi dans de bonnes conditions la rentrée prochaine."

Un millier de séjours sont proposés, classés autour de cinq thématiques: sports, arts et culture, développement durable, langues étrangères, ainsi que sciences, innovation et numérique. Au choix parmi les quelque 3700 colonies: "crinières au vent", "Davy Crockett", "graine de p'tit chef" ou encore "défis games", "séjour anglais équitation" et "mission FBI - magicienne et papillons".

Peu d'inscrits

Dans le détail, l'État prend en charge 80% du coût du séjour - une aide plafonnée à 400 euros par mineur et par semaine pour un coût total de 500 euros - les collectivités partenaires du dispositif financent les 20% restants. Une procédure qui manquerait de simplicité, regrette pour BFMTV.com Nicolas Leclaire, directeur des services de la fédération de la Ligue de l'enseignement de Haute-Garonne, qui propose 530 places dans ses 46 colonies apprenantes en Haute-Garonne cet été:

"Les circuits d'inscription étaient opaques et il a fallu du temps pour que les collectivités territoriales, occupées par le déconfinement, les réouvertures d'école et le second tour des municipales, s'approprient le dispositif. Les familles ne savaient pas comment faire. Mais ça commence à prendre."

Nicolas Leclaire enregistre tout de même un certain retard dans les inscriptions avec seulement 60 réservations à ce jour, soit à peine plus de 11% de ses capacités. S'il espère que le dispositif "monte en puissance", il craint ne pas être complet. "Si on arrive à 350 inscrits, ce sera bien. D'autant qu'il y a d'autres dispositifs qui existent déjà, comme l'opération 'premiers départs en vacances' dans la région Occitane qui cible le même public."

"Beaucoup de demandes de dernière minute"

Sur la trentaine de colos apprenantes que propose Vacances voyages loisirs (VVL), le taux de remplissage est plus important, autour de 50%. "On a beaucoup de demandes de dernière minute, notamment du fait que les élections aient été repoussées, certaines équipes municipales se mettent tout juste en place", indique à BFMTV.com Louise Fenelon, sa directrice générale, également référente de la commission vacances enfants-ados de l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat). "Pour les familles qui nous contactent directement, on leur recommande de se rapprocher de leur propre collectivité pour bénéficier du dispositif financier."

Elle évoque l'appel d'une collectivité début juillet pour la réservation d'un séjour dix jours plus tard pour 24 jeunes. "La mise en œuvre est complexe, on est un peu dans l'urgence, mais on sait faire", poursuit Louise Fenelon. "Normalement, à cette époque, tout est déjà calé."

Du côté de l'UCPA, quelque 40.000 places en colonies apprenantes ont été spécialement créées. "Nous avons ouvert des sites qui étaient habituellement réservés aux séjours d'hiver ou encore noué des partenariats avec des lycées agricoles", nous détaille Guillaume Légaut, son directeur général. En plus des colonies habituelles proposées autour du sport, l'UCPA a ainsi monté des séjours spécifiques: nautisme et observation du littoral en Bretagne ou encore cirque, théâtre et randonnée dans les Vosges.

"Les enfants apprennent à se découvrir, être autonomes, se lier avec les autres et explorer de nouvelles activités. Dans le cadre des colos apprenantes, nous avons réfléchi à des modules qui permettent de mobiliser les fondamentaux. Il n'est pas question de faire cours mais de travailler sur la mémoire, l'observation, la prise de parole pour remettre la pompe à apprendre en route. L'activité n'est pas un prétexte, c'est un support et un vecteur d'éducation."

Si Guillaume Légaut, de l'UCPA, compte aujourd'hui quelque 2500 inscriptions et 7000 en cours de finalisation, il assure que le dispositif est en train de "monter en puissance". "Depuis vingt-cinq ans, les aides au départ en colonie de vacances n'ont cessé de baisser. Brusquement, l'État décide de mettre en place cette aide annoncée tardivement alors que la possibilité de partir en vacances était encore floue. Il faut le temps que l'information passe des collectivités aux association jusqu'aux familles."

Un dispositif "balbutiant"

France urbaine, l'organisation qui représente les grandes villes et communautés d'agglomérations, on reconnaît que le dispositif est encore "balbutiant", certaines collectivités ayant plus ou moins avancé sur le sujet.

"Certaines ont pris en main ce dispositif rapidement, d'autres seront opérationnelles un peu plus tard dans le mois. Mais il faut reconnaître que le contexte cette année est particulier", déclare-t-on à BFMTV.com

Si France urbaine se dit favorable aux colos apprenantes, tout en rappelant que "des vacances normales et ludiques ne sont pas antinomiques avec le fait d'apprendre", cette organisation craint cependant que trop peu de jeunes en bénéficient: "Il faut parvenir à ancrer ce dispositif dans les territoires."

"Hypothétique et hasardeux"

Cédric Vial, maires des Echelles, une commune de Savoie d'un peu plus de 1200 habitants, a quant à lui renoncé bien que séduit par le dispositif. "Sur le principe, c'est un cocktail de bonnes intentions, souligne-t-il pour BFMTV.com. Mais ça arrive un peu tard pour l'organisation, d'autant que le cahier des charges est très lourd." Et difficile selon cet élu, également membre de la commission éducation de l'Association des maires de France, de monter un tel projet, d'obtenir le label sans certitude sur le nombre d'inscrits ou sur l'évolution de la pandémie et des règles sanitaires.

"C'est peut-être plus facile pour les grandes communes ou celles qui organisent déjà des colonies. Mais c'est difficile de partir de rien dans le contexte actuel, sans compter que dans certaines communes, les équipes ne sont élues que depuis une semaine."

Pour ce maire, le nombre annoncé de 250.000 enfants en colos apprenantes serait "illusoire" et le dispositif "hypothétique et hasardeux". Cédric Vial craint ainsi que de nombreuses communes n'y renoncent.

"Je ne suis pas sûr que beaucoup de maires se lancent. Ce sera certainement plus facile pour les communes qui ont les moyens humains, financiers et matériels, si certains enfants peuvent en profiter tant mieux. Mais pour d'autres, comme la mienne, le dispositif est trop lourd et il y a encore trop d'incertitudes, sanitaire et financière. Entre l'objectif de départ et le résultat, il y aura forcément un fossé."

Ni grammaire, ni dictée

Ce représentant de l'Association des maires de France s'interroge également sur les ambitions pédagogiques de ces colonies. Et redoute un saupoudrage éducatif. "Il faut des compétences et des ressources pour mener un tel projet pédagogique. Ce n'est pas en découvrant les maths autour d'un jeu ou les sciences par une expérience que l'on rattrapera le retard", met en garde Cédric Vial. "Je ne suis pas sûr qu'on sauve une génération avec ce dispositif."

Si Nicolas Leclaire, le représentant de la Ligue de l'enseignement de Haute-Garonne, assure avoir revu son catalogue - "on a construit toute une programmation dédiée, ce qui a impliqué de supprimer certaines colonies que nous proposions habituellement" - Louise Fenelon, de VVL, indique pour sa part ne pas avoir "réinventé" ses colonies.

"Nous avions déjà des séjours avec des thématiques proches de celles des colos apprenantes, on y a ajouté des activités permettant de remobiliser les compétences et les apprentissages de manière ludique. Les enfants ne seront pas assis derrière une table, ils n'auront pas de leçon de grammaire et ne feront évidemment pas de dictée."

Concrètement, cela ira de l'écriture d'un journal de bord à la poursuite d'une histoire découverte collectivement, ou encore la construction d'un panneau solaire et la création d'une fresque. "Les colonies sont par essence éducatives", poursuit Louise Fenelon. "La colo apprenante ne va pas forcément changer la nature de la colo mais on essaiera de remettre les enfants dans le bain et de les préparer à la rentrée. Après le confinement, la rupture des liens scolaires et sociaux, quel que soit le milieu social de la famille, les colos auront vraiment du sens cet été."

Article original publié sur BFMTV.com