Yahoo Actualités Usines en ruine, héros de l'énergie et hôpitaux sombres : le combat de l'Ukraine pour la lumière à l'approche de l'hiver
L'Ukraine s'apprête à vivre son troisième hiver depuis l'invasion russe. Avec la chute des températures, la production d'électricité à partir de combustibles fossiles est essentielle pour que les maisons restent éclairées, mais le pays espère passer à l'énergie verte à l'avenir.
D'ici à 2030, l'Ukraine souhaite que 27 % de sa consommation finale d'énergie provienne des énergies renouvelables. Celles-ci permettent non seulement de réduire les émissions, mais aussi de renforcer la sécurité énergétique, car la production décentralisée est plus difficile à détruire et la technologie peut être réparée plus rapidement.
"Un missile peut détruire une centrale thermique de 250 mégawatts. Il faudrait environ l'équivalent de 40 missiles pour causer les mêmes dégâts à un parc éolien, et cela s'explique simplement par le fait qu'ils sont dispersés sur une plus grande superficie", explique Jeffrey Oatham, responsable du développement durable chez DTEK, une entreprise ukrainienne spécialisée dans l'énergie.
"C'est là que nous voyons que les énergies renouvelables ne sont pas seulement bénéfiques pour le changement climatique et la décarbonisation, mais qu'elles offrent des systèmes énergétiques plus résistants et plus sûrs", ajoute-t-il, précisant que l'entreprise tente d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables en raison de la guerre.
L'impact de la guerre sur le système énergétique ukrainien a été présenté lors d'une récente exposition photographique intitulée "Fight for Light". Elle s'est tenue près du Parlement européen à Bruxelles et a été organisée par DTEK et la mission de l'Ukraine auprès de l'UE.
Les images montraient des centrales thermiques détruites par les forces russes, les ouvriers qui les réparaient et l'impact sur la vie des Ukrainiens, notamment les rues assombries et les interventions chirurgicales sans éclairage adéquat.
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"En Ukraine, nous vivons une période sombre, littéralement", a déclaré Serhiy Morgounov, l'un des photographes, lors de l'événement. "En plus de tout le reste, nous faisons l'expérience de ce que signifie être privé d'un avantage fondamental de la civilisation du XXIe siècle : la lumière.
"Imaginez votre vie sans lumière, sans la possibilité de charger vos appareils, de conserver votre nourriture, d'accéder au processus éducatif, de faire vos déclarations d'impôts, de vous sentir en sécurité dans une rue sombre".
L'Ukraine veut un avenir plus vert avec l'UE
Les énergies renouvelables présentent également l'avantage de fournir de l'énergie locale, de réduire la dépendance vis-à-vis des importations étrangères et d'aider l'Ukraine à renforcer ses liens avec l'Union européenne. Dans le cadre de son objectif d'adhésion à l'UE, l'Ukraine doit s'aligner sur les ambitions climatiques de l'Union.
"Les énergies renouvelables sont l'avenir de l'Europe et l'Ukraine veut rejoindre l'Union européenne", déclare Pascale Lamy, membre du conseil consultatif de DTEK et ancienne directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce.
"Quel que soit le type de relations qu'ils entretiendront à l'avenir avec la Russie, en supposant que cette guerre prenne fin à un moment donné, ils devront être indépendants de la pression russe et nous savons que l'un des principaux leviers de la puissance et de la pression russes est le combustible fossile", ajoute-t-il.
Même s'il faudra plusieurs années pour déployer ces énergies renouvelables, l'orientation est claire, selon M. Lamy.
L'Ukraine pourrait même devenir une plaque tournante de l'énergie verte pour l'Europe en raison de son important potentiel de production d'énergie renouvelable.
Selon des chercheurs de l'ETH Zurich, le pays pourrait produire 180 gigawatts d'énergie éolienne et 39 gigawatts d'énergie solaire. À titre de comparaison, l'Allemagne s'est fixé des objectifs de 130 à 140 GW d'énergie éolienne et de 200 GW d'énergie solaire.
Quels sont les défis liés au déploiement des énergies renouvelables en Ukraine ?
Le déploiement de l'énergie verte en Ukraine se heurte toutefois à d'importants obstacles. L'invasion russe ne crée pas seulement des risques lorsqu'il s'agit d'installer des capacités de production et des défis pour la livraison de pièces, mais elle a aussi détourné des travailleurs pour combattre dans la guerre ou réparer des centrales électriques.
Elle a également augmenté le risque de dommages, ce qui rend l'attraction d'investissements beaucoup plus difficile.
"Attirer des partenaires prêts à travailler dans ces conditions, obtenir des financements du secteur privé, en particulier, est un défi compte tenu du risque. Nous avons souvent besoin de garanties financières adéquates, ce qui est un rôle très clair que les États peuvent jouer", explique M. Oatham, qui souligne le soutien des États-Unis et de l'Union européenne.
Le réseau ukrainien doit également être renforcé. Les attaques contre le système énergétique et la dépendance à l'égard des centrales nucléaires et thermiques, qui réagissent lentement, rendent difficile l'équilibrage de la quantité d'électricité sur le réseau. Les énergies renouvelables comme l'éolien et le solaire pourraient aggraver la situation, car elles dépendent des conditions météorologiques.
Le stockage par batterie et l'amélioration du réseau pourraient contribuer à résoudre ce problème de fiabilité. DTEK vise à construire 200 mégawatts de stockage et travaille au renforcement des réseaux. Il s'agit notamment d'un projet pilote visant à numériser le réseau et à réduire les temps de coupure dans les villes reconquises synonymes d'atrocités au début de la guerre, comme Boutcha.
Comment l'Ukraine peut-elle passer l'hiver ?
À court terme, cependant, les combustibles fossiles restent une bouée de sauvetage pour l'Ukraine. À la suite d'attaques ciblées qui ont détruit environ 9,2 GW de capacité de production au début de l'année, le pays a travaillé d'arrache-pied pour les remettre en service.
"Nous devons penser à cet hiver et à garder les lumières allumées en Ukraine, c'est pourquoi nous réparons nos centrales électriques aussi rapidement que possible. Dans le même temps, nous devons planifier ce qui se passera l'hiver prochain et les hivers suivants. En d'autres termes, nous devons assurer une résilience à long terme tout en réparant le toit pour aujourd'hui", explique Ben Harding, porte-parole de DTEK.
Travailler sur ces centrales est loin d'être sans danger. Oleg, un travailleur du secteur de l'énergie de la deuxième génération qui s'est exprimé à la condition de n'utiliser que son prénom, a décrit le danger de son travail et le devoir de maintenir la lumière allumée qui coule dans son sang.
"Nous risquons notre vie. Lorsque nous allons travailler, nous ne sommes pas sûrs de rentrer chez nous", explique-t-il.
Il considère que les énergies renouvelables constitueront une part importante du bouquet énergétique de l'Ukraine dans les années à venir. "Je pense que les énergies renouvelables sont notre avenir. Cependant, nous dépendons toujours des centrales thermiques parce que nous en avons besoin dès maintenant pour passer l'hiver", ajoute-t-il.
On craint aujourd'hui que le système énergétique ne soit à nouveau pris pour cible. Que la production d'énergie soit renouvelable ou fossile, le risque est constant tant que la guerre se poursuit.
"Il nous manque les fusées, la défense aérienne, pour frapper les fusées russes. Il s'agit également de protéger notre ciel et de disposer d'un nombre suffisant de défenses aériennes pour protéger les stations", explique Larysa Bilozir, membre du Parlement ukrainien.
"Les menaces sont grandes et même la décentralisation et les énergies alternatives sont également menacées, car la Russie double, voire triple sa capacité à frapper chaque nuit et à terroriser l'Ukraine", ajoute-t-elle.
L'énergie reste d'une importance capitale, non seulement pour permettre à l'Ukraine de passer l'hiver, mais aussi pour assurer la qualité de vie dans le pays. La série de photographies illustre l'idée que la vie doit continuer et la lutte quotidienne pour l'alimenter.
