USA: Le "shutdown" pourrait enrayer la mécanique de la consommation

Les dépenses des ménages, moteur de la croissance des Etats-Unis en 2018, risquent d'être moins dynamiques cette année et la fermeture partielle des administrations fédérales ("shutdown") contribue à brouiller les cartes un peu plus. /Photo prise le 17 janvier 2019/REUTERS/Kevin Lamarque

par Nandita Bose et Howard Schneider

NEW YORK (Reuters) - Les dépenses des ménages, moteur de la croissance des Etats-Unis en 2018, risquent d'être moins dynamiques cette année et la fermeture partielle des administrations fédérales ("shutdown")contribue à brouiller les cartes un peu plus.

La Réserve fédérale et beaucoup d'économistes ont longtemps compté sur la vigueur de la consommation des ménages pour alimenter la croissance économique en dépit des récentes turbulences sur les marchés financiers, des tensions commerciales et du ralentissement de la croissance mondiale.

Mais ils craignent maintenant que ce moteur ait des ratés.

Les signaux d'alarme se manifestent sur la totalité du spectre des revenus, des plus aisés qui pourraient freiner leurs dépenses après avoir subi de fortes pertes en Bourse aux plus pauvres qui risquent gros si le "shutdown" aboutit à repousser les versements de prestations d'aide alimentaire.

Les économistes se demandent par ailleurs, à titre d'exemple, si la baisse de l'impôt sur le revenu intervenue l'an dernier dopera les gros achats, comme dans l'électroménager, qui se font souvent à cette époque de l'année, ou si cette manne fiscale a déjà été intégralement dépensée.

Le "shutdown", qui en est à son 28ème jour, risque de retarder les reversements d'impôts et d'affecter les entreprises qui comptent sur les consommateurs qui consacreraient une partie de cet argent frais à acheter leurs biens et services.

Les entreprises d'amélioration de l'habitat telles que Home Depot, Lowe's et Wayfair, dont les ventes sont habituellement dopées par les achats de meubles et autres grosses dépenses de printemps, ne seraient pas épargnées.

"Nous ne constatons pas d'impact tangible", a toutefois déclaré un porte-parole de Home Depot. Lowe's et Wayfair n'ont pas répondu aux sollicitations de commentaires.

Le "shutdown" a des implications difficiles à cerner pour le consommateur, les distributeurs et l'économie dans son ensemble parce les chefs d'entreprise et les autorités ne peuvent mesurer les répercussions directes liées aux 800.000 salariés du secteur public qui ne touchent plus leur paye, ni le contrecoup sur la confiance des consommateurs et des entreprises.

Charles Evans, le président de la Réserve fédérale de Chicago, déclarait la semaine dernière que même si les effets immédiats du "shutdown" sur l'économie seront limités, son impact psychologique pourrait lui être conséquent.

"Le consommateur éprouve une aversion au risque et se replie sur lui-même; les entreprises commencent à planifier une baisse d'activité et tous ces effets vont en s'amplifiant", a-t-il dit.

Constance Hunter, chef économiste de KPMG, a dit à Reuters que si le "shutdown" durait jusqu'à la fin du mois, "nous retrancherons deux points de pourcentage (à la croissance du PIB) du premier trimestre".

Ces préoccupations ont trouvé leur chemin jusqu'au sein de la Réserve fédérale qui prône désormais la patience et la prudence dans sa politique de relèvement des taux d'intérêt.

FAST FOODS ET L'ALIMENTAIRE EN PÉRIL

Les dépenses des ménages représentent les deux tiers environ de l'activité économique aux Etats-Unis et le bond de 4% de leurs achats de biens l'an passé expliquent en grande partie la solide croissance qui devrait probablement atteindre 3%.

Plus récemment, le dynamisme de cette consommation a contrebalancé un investissement productif plus faible que prévu et le coup de frein du commerce. On pense aussi qu'elle a compensé la dissipation de l'effet de la récente vague de dépenses publiques mise en oeuvre par l'administration Trump.

Que la hausse des taux d'intérêt et les tensions commerciales freinent les dépenses des ménages n'a rien qui puisse surprendre les économistes. C'est sur l'ampleur de ce coup de frein qu'ils se posent des questions et le "shutdown" contribue à rendre la réponse encore plus compliquée.

Steven Blitz, chef économiste chez TS Lombard, observe que des distributeurs tels que Macy's, Nordstrom et d'autres ont évoqué un mois de décembre faible et il pense que le "shutdown" affectera la croissance du premier trimestre.

"Il y aura un mieux au deuxième trimestre mais certains secteurs subiront des dégâts dans la durée, comme la restauration", a-t-il dit.

Seraient concernés au premier chef McDonald's, Chipotle Mexican Grill et Starbucks, qui ne pourront rattraper le manque à gagner dû au "shutdown", de l'avis des analystes.

Tous trois n'ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Brian Cantor, chez Alvarez & Marsal, observe que les distributeurs de produits alimentaires tels que Walmart et Kroger risquent de ressentir les effets d'une baisse des dépenses en biens non essentiels, ce qui devrait rogner leurs marges, tandis que les achats de biens de première nécessité se maintiendraient.

Walmart s'est abstenu de tout commentaire.

Rodney McMullen, PDG de Kroger, soulignait pour sa part la semaine dernière que si le consommateur conserve une opinion incroyablement positive sur l'état de l'économie, "il est de plus en plus nerveux concernant l'évolution de la situation".

Les petits détaillants indépendants, dont la clientèle est souvent peu aisée, risquent également de souffrir.

Le programme d'aide alimentaire aux plus démunis (Supplemental Nutrition Assistance Program, SNAP), qui aide 19 millions de foyers aux maigres revenus, est financé jusqu'à février inclus. Mais le "shutdown" a perturbé le traitement des nouvelles demandes de licences SNAP ou leur renouvellement.

Peter Larkin, PDG de la National Grocers Association, a écrit au Congrès le 10 janvier pour dire que le "shutdown" empêchait beaucoup de distributeurs indépendants d'obtenir une licence SNAP pour leurs nouveaux magasins et que plus de 2.500 détaillants ont des difficultés à faire prolonger leur licence.

"L'incapacité à obtenir de nouvelles licences SNAP pour des magasins nouvellement ouverts ou achetés pourrait avoir un impact négatif important sur les économies locales", a-t-il dit.

(avec Anna Driver, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Juliette Rouillon)