Pourquoi la diffusion du film "Unplanned" sur C8 fait polémique

Manifestation pour le droit à l'avortement, en 2017.

Le film, anti-IVG, avait divisé les États-Unis lors de sa sortie, et n'avait jamais été diffusé en France jusqu'à présent. Ce sera le cas le lundi 16 août sur C8, à 21h.

"Diffusion inacceptable", "pamphlet ouvertement anti IVG"... Pas encore diffusé et déjà le film "Unplanned" suscite de vive réactions. "Unplanned", traduire par "non planifié", est sorti en 2019 aux États-Unis, mais est très peu connu en France. À l'époque de sa sortie, Le Monde décrit une "réussite d’une ampleur inattendue" avec "plus de 6 millions de dollars de recettes en un week-end" pour un "hymne anti IVG".

La décision de diffuser un tel film en France, en prime time, a du mal à passer. "On est à la fois étonné d'un tel choix et en colère de voir ce film diffuser alors que le droit à l'IVG est fragile en Europe et dans le monde, et souvent attaqué", dénonce Sarah Durocher, co-présidente nationale du Planning Familial.

Un film poussé par les réseaux chrétiens américains

Derrière le film, un homme au parcours atypique. Michael Lindell, fondateur d’une entreprise d’oreillers made in USA et promue par Trump. Mais surtout, cet ancien accroc au crack aurait rencontré Dieu, selon ses propres mots.

Le film est distribué par Pure Flix, une entreprise spécialisée dans les films à message chrétien. Pour assurer la réussite de la sortie du film en salles, les réseaux chrétiens sont mobilisés. Plusieurs organisations, telles que Church Militant, Catholic Pro-Life Committee, Allen County Right to Life, ont mobilisé leurs militants pour les encourager à se rendre dans les cinémas, rapporte Le Monde.

"C8 est un média de propagande au service des anti-choix"

Un "réseau" pointé du doigt par la sénatrice PS Laurence Rossignol, qui estime que les "anti IVG s’appuient sur un réseau international, mobilisent de riches donateurs et bénéficient de relais médiatiques" dont ferait partie C8, qu'elle voit comme "un média de propagande au service des anti-choix". Le Planning familial dénonce "un choix politique", un film "financé par l'église évangélique, qui vise à faire peur, à attaquer les droits des femmes à disposer de leur corps", poursuit Sarah Durocher.

Au-delà du caractère chrétien qui entoure clairement le film, c’est le contenu qui dérange. Il adapte le récit d’Abby Johnson, ancienne militante pro-IVG et dirigeante de l’équivalent américain du planning familial, qui défend alors l’idée que les femmes devraient avoir le contrôle de leur grossesse et de leur fertilité.

Des scènes "traumatisantes"

Dans son autobiographie dont est inspiré le film, elle raconte que sa vision a basculé lorsque elle a assisté à l’avortement d’un fœtus de treize semaines. Elle devient alors une militante pro-vie, opposée à l’IVG. C'est ce passage, très tôt au début du film, qui est le plus polémique. Un journaliste qui a pu voir le film décrit des scènes "traumatisantes".

La scène montre l'embryon de 13 semaines comme conscient de la situation, se débattre comme s'il luttait pour sa survie et tentant de d'éviter le cathéter utilisé pour l'Interruption Volontaire de Grossesse. Un récit directement tiré de l'autobiographie d'Abby Johnson.

"Un embryon de 13 semaines ne peut pas ressentir de douleur"

Sauf que, selon le professeur Philippe Deruelle, gynécologue-obstétricien et membre du Collège national des gynécologues-obstétriciens français "un embryon de 13 semaines ne peut pas ressentir de la douleur et n’a pas de conscience du danger. Les voies de la perception sont en place à partir de 26 semaines. Les stimulations de la douleur peuvent être transmises chez le fœtus mais probablement pas avant que les voies nerveuses soient définitivement fonctionnelles soit autour de 20 semaines", nous assure le spécialiste.

Autre faux élément contenu dans cette scène choquante, concernant le moment où l'embryon tenterait d'éviter l'aspiration. "Le fœtus ne peut se dérober comme le laisse penser cette vidéo. Il n’a absolument pas ce degré de conscience. Le cerveau est plus que rudimentaire et les éléments neurologiques ne sont qu’à un stade de développement très précoce. Le foetus ne peut voir la canule d’aspiration car la vision n'est pas en place", martèle le professeur Philippe Deruelle.

Des scènes vérifiées par un gynécologue anti-avortement ?

Selon les réalisateurs, explique Glamour, la scène, basée sur l'autobiographie d'Abby Johnson, "a été vérifiée par Anthony Levatino, un obstétricien-gynécologue à la retraite et militant anti-avortement de longue date".

Plus globalement dans le film, "les représentations de saignements abondants ou de chutes de tissus ne sont tout simplement pas exactes. Les complications sont extrêmement, extrêmement rares. Les avortements sont incroyablement sûrs", poursuit Katherine McHugh, membre du conseil d'administration de Physicians for Reproductive Health et gynécologue en Indiana qui pratique l'avortement.

Une pétition pour alerter le CSA

"C'est regrettable que C8 ne diffuse pas un film progressiste. Nous demandons qu'un bandeau soit diffusé à l'écran avec les coordonnées de la page Internet du ministère dédiée à l'IVG, voire le numéro vert du Planning familial, afin de garantir une vraie information", demande Sarah Durocher, co-présidente nationale du Planning Familial.

C'est ce que réclame une pétition lancée par la créatrice du site grossesse imprévue, qui promet une information objective sur l'avortement, pour alerter le CSA. La pétition, qui a récolté plus de 19 000 signatures, demande au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel de "rappeler C8 à ses responsabilités". "Si Unplanned devait être diffusé malgré le danger qu'il fait peser sur la population vulnérable des personnes enceintes, que la chaîne instaure au minimum une contextualisation de ce programme", écrit l'auteure de cette pétition qui a récolté plus de 12 000 signatures.

Plusieurs députés dont Guillaume Gouffier (LREM) ont partagé leur indignation face à la prochaine diffusion du film anti-IVG.

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