Une Commission prône le rejet de l'accord avec le Maroc

PARIS (Reuters) - La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommande, dans un avis adopté jeudi, le rejet par les parlementaires d'un accord de coopération judiciaire entre Paris et Rabat qui a scellé fin janvier leur réconciliation après un an de brouille. Cette autorité indépendante, dont les avis ne lient pas le gouvernement ni le législateur, indique exprimer "avec force son opposition" à ce texte dans son avis adopté à l'unanimité. "Il y a tout lieu de penser que ce protocole viole les principes constitutionnels et la convention européenne des droits de l'Homme", ajoute-t-elle sur Twitter. Interrogée mercredi sur cet avis, dont la teneur avait été révélé la semaine dernière, la ministre de la Justice a rappelé que le texte était désormais entre les mains des députés. Il doit en effet être ratifié par les parlements des deux pays, mais son examen, en procédure accélérée, n'est pas encore prévu à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale française. "Cet avenant (à la convention bilatérale avec le Maroc) a été travaillé, signé et maintenant il doit être ratifié", a déclaré Christiane Taubira à la presse en marge de rencontres sur la lutte contre le racisme à la cour d'appel de Paris. Le ministère des Affaires étrangères a indiqué ne pas avoir à se prononcer sur cet avis qui relève du "fonctionnement normal des institutions françaises". Paris se veut toutefois rassurant. "Cet instrument n'implique pas de redéfinition des compétences entre les juridictions françaises et marocaines, qui sont indépendantes", dit à Reuters une source gouvernementale française. Et d'ajouter : "Sa mise en place s'effectuera dans le respect des engagements internationaux de la France". SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL? Mais la CNCDH n'est pas la seule inquiète. Avant elle, cinq associations, dont Amnesty International et l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat), ont aussi appelé au rejet de ce protocole par les parlementaires. A défaut, l'Acat souhaiterait obtenir un débat parlementaire que ne permet pas l'examen en procédure accélérée mais qui peut être demandé au président de l'Assemblée par tout patron de groupe. Elle espère aussi convaincre 60 sénateurs ou 60 députés de saisir le Conseil constitutionnel au sujet de ce texte qu'elle juge "potentiellement anticonstitutionnel". "L'avis de la CNCDH peut changer la sensibilisation, notamment des députés et des sénateurs", estime Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb à l'Acat. Le texte a été signé après un an de suspension des relations judiciaires avec le Maroc, sur fond de plaintes à Paris visant le patron du renseignement marocain pour "torture" et "complicité de torture". Il stipule notamment que la France devra informer "immédiatement" le Maroc de toute procédure sur des faits susceptibles d'impliquer un Marocain. ABSENCE DE RECOURS ? Il prévoit aussi "prioritairement" la clôture ou le renvoi vers le Maroc d'affaires relatives à des crimes et délits commis au Maroc par un Marocain, une disposition valable aussi pour les victimes binationales. Le rapporteur de la CNCDH s'est inquiété jeudi de "l'absence de tout recours offert à la victime lors du dessaisissement du juge d'instruction" et a souligné le "risque de rupture de l'égalité entre les victimes nationales et bi-nationales." "Ce protocole risque d'ouvrir la porte à d'autres accords bilatéraux du même type, ce qui est gravissime", a-t-il ajouté alors que l'institution rappelait sur Twitter son "attachement à la lutte contre l'impunité". Fin mars, la justice française a officiellement dénoncé aux autorités marocaines des faits de torture présumés qui auraient été commis au Maroc à l'encontre d'un Franco-Marocain sur ordre d'Abdellatif Hammouchi, patron du renseignement, apprenait-on mardi de source judiciaire. Une "procédure standard" utilisée une dizaine de fois par an avec ce pays, comme l'a indiqué dans un communiqué le porte-parole du quai d'Orsay, qui précise que les deux pays "sont animés d'un esprit de coopération mutuelle." "Cette procédure de transmission ne signifie en rien une quelconque confirmation du bien-fondé des allégations" du plaignant, ont de leur côté déclaré mercredi dans un communiqué les avocats du Maroc, Me Yves Repiquet et Ralph Boussier. Une source au ministère de la justice marocaine a indiqué à Reuters que le Maroc n'avait pas reçu à ce jour de dénonciation officielle émanant du parquet de Paris. (Chine Labbé, avec Aziz El Yaakoubi à Rabat, Emile Picy et John Irish à Paris, édité par Yves Clarisse)