Eurotunnel rappelle Paris à ses obligations après un 9e décès

LILLE (Reuters) - Eurotunnel a rappelé mercredi la France à ses obligations de sécurisation des accès du tunnel sous la Manche après la mort dans la nuit d'un migrant soudanais qui tentait de monter dans une navette, le neuvième depuis début juin. Plus de 2.000 tentatives d'intrusion avaient été constatées sur le site d'Eurotunnel à Coquelles, près de Calais, dans la nuit de lundi à mardi, par des migrants qui espèrent gagner le Royaume-Uni, selon la préfecture du Pas-de-Calais. La nuit dernière, ce sont un millier de tentatives qui ont été signalées, selon une source policière qui n'a pu préciser combien de migrants étaient parvenus à entrer. Le corps du migrant, âgé d'une trentaine d'années, a été retrouvé au pied d'une navette, probablement tué par un camion qui sortait du train de transport. Depuis plusieurs semaines, les migrants tentent moins souvent de monter à bord des bateaux sur le port de Calais, en raison notamment du conflit social qui a perturbé l’activité du port, et essayent de pénétrer dans les navettes d’Eurotunnel, ce qui a provoqué de nombreux retards. Eurotunnel, qui se livre depuis plusieurs jours à une guerre de communication avec les autorités françaises sur les responsabilités respectives du groupe et des forces de l'ordre dans la sécurisation du site, a estimé mercredi que la coupe était pleine après ce nouveau décès. "La pression qui s’exerce maintenant chaque nuit dépasse ce qu’un concessionnaire peut raisonnablement faire, et en appelle de manière constructive à une réaction appropriée des Etats", peut-on lire dans un communiqué. Eurotunnel rappelle que les textes fondateurs du tunnel sous la Manche obligent les Etats à "permettre au concessionnaire d’effectuer son activité de transport en toute sécurité". BATAILLE DE CHIFFRES Le groupe répond implicitement à Bernard Cazeneuve qui avait déjà réagi dans une lettre datée du 23 juillet à une première salve de critiques émises par son PDG Jacques Gounon. "Le groupe Eurotunnel, dont relève la sécurité de l'enceinte et de l'intérieur de l'emprise, n'a pas fait, selon mon analyse, des efforts à due proportion de l'aggravation de la situation", peut-on lire dans ce courrier du ministre de l'Intérieur. "Je souhaiterais que vous vous interrogiez davantage sur les moyens humains que vous entendez consacrer à la sécurisation de ce site", a-t-il écrit à Philippe Gounon. Selon l'Intérieur, l'Etat a quintuplé durant la dernière décennie le nombre de CRS et gendarmes mobiles sur place pour parvenir au nombre de 350 hommes qui, depuis le 3 juillet, ont repoussé 4.583 tentatives d'intrusion dans le tunnel. De 2002 à aujourd'hui, Eurotunnel a réduit de 325 à 103 le nombre de ses agents de sécurité, affirme le ministre. Londres a par ailleurs investi 15 millions d'euros dans la sécurisation des accès, notamment des barrières, et a promis mardi d'y consacrer 10 millions de plus, ajoute-t-il. Bernard Cazeneuve fait par ailleurs état de 2.700 migrants dans le Calaisis, et non de 5.000, comme le dit Eurotunnel. Le groupe de transport a répliqué mercredi en estimant avoir été "au-delà de ses obligations contractuelles" en investissant 160 millions d'euros dans les moyens physiques, comme des caméras et des clôtures, depuis l'apparition des migrants. Il affirme que les effectifs de gardiennage ont été doublés, pour atteindre près de 200 personnes qui, "en toute discrétion, ont intercepté depuis le 1er janvier plus de 37.000 migrants qui ont été remis aux forces de l’ordre." Eurotunnel dit avoir "déposé des milliers de plaintes systématiquement classées sans suite par le procureur du tribunal de Boulogne" et fourni aux forces de l'ordre des bus afin de convoyer les migrants interceptés "pour suppléer au manque de moyens matériels des forces publiques présentes à Calais". (Yves Clarisse, avec Pierre Savary à Lille et Emmanuel Jarry à Paris, édité par Sophie Louet)