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Comment un général iranien a préparé les frappes russes en Syrie

La visite du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d'élite Al Qods, à Moscou a été la première étape préparant l'intervention militaire russe qui a rebattu les cartes dans la guerre en Syrie et donné naissance à une nouvelle alliance russo-iranienne en soutien au président Assad. /Photo prise le 8 mars 2015/REUTERS

par Laila Bassam et Tom Perry BEYROUTH (Reuters) - Lors d'une réunion à Moscou en juillet, le général iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d'élite Al Qods, a déployé une carte de la Syrie et expliqué à ses hôtes russes comment les revers du président Bachar al Assad pouvaient être transformés en victoire - avec l'aide de la Russie. La visite du général à Moscou a été la première étape préparant l'intervention militaire russe qui a rebattu les cartes dans la guerre en Syrie et donné naissance à une nouvelle alliance russo-iranienne en soutien au président Assad. L'aviation russe a mené ses premières frappes en Syrie mercredi dernier à partir d'une base aérienne à Lattaquié, tandis qu'une offensive au sol des forces pro-gouvernementales syriennes et de leurs alliés iraniens et du Hezbollah libanais est semble-t-il en préparation. Mercredi matin, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) fait du reste état d'intenses vagues de bombardements aériens russes dans l'ouest de la Syrie accompagnés par un assaut terrestre des "forces du régime", expression que l'OSDH emploie pour englober l'armée syrienne et ses milices alliées locales ou étrangères comme le Hezbollah libanais, soutenu par l'Iran. EN LIGNE DIRECTE AVEC L'AYATOLLAH KHAMENEI Qassem Soleimani est le commandant de la force Al Qods, la force spéciale chargée des opérations extérieures des pasdaran, les Gardiens de la révolution islamique. Il reçoit ses ordres directement du guide suprême de la Révolution islamique, l'ayatollah Ali Khamenei. Ce militaire d'élite né en 1957 aurait accédé au commandement de la force Al Qods en 1997 ou 1998, selon une biographie diffusée par l'American Enterprise Institute. Dans nombre de capitales arabes sunnites, qu'inquiète l'influence croissante de Téhéran en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen, il incarne les aspirations à un nouvel Empire perse et représente le bras armé d'une confrontation engagée entre la principale puissance chiite et les pays de l'islam sunnite. Des sources dans la région indiquent que le général Soleimani a déjà supervisé des opérations au sol contre des insurgés en Syrie et qu'il est maintenant au coeur des préparatifs pour la nouvelle offensive soutenue par la Russie et l'Iran. En Irak, il a aussi coordonné les offensives menées par des milices chiites soutenues par Téhéran contre les djihadistes sunnites de l'Etat islamique (EI), notamment à Tikrit au printemps dernier. Son rôle dans la région comme commandant opérationnel s'en trouve accru. "SOLEIMANI A MIS LA CARTE DE LA SYRIE SUR LA TABLE" Le général Soleimani est arrivé à Moscou alors que la situation se détériorait en Syrie: l'avancée des rebelles vers la côte constituait un danger pour le bastion des Alaouites, la branche chiite à laquelle appartient la famille Assad. C'est aussi le secteur où se trouve, à Tartous, la seule base navale de la Russie dans toute la Méditerranée. "Soleimani a mis la carte de la Syrie sur la table. Les Russes étaient très inquiets et ont eu le sentiment que les choses étaient en net déclin et qu'il y avait un réel danger pour le régime. Les Iraniens leur ont affirmé qu'il était encore possible de reprendre l'initiative", raconte un haut responsable régional. Selon trois hauts responsables dans la région, le voyage de Soleimani en juillet a été précédé par des contacts à haut niveau entre Russes et Iraniens qui ont été d'accord sur la nécessité de renouveler le soutien à un Assad en mauvaise posture. D'après le récit de ces trois personnes, la planification de l'intervention était dans l'air depuis plusieurs mois. Cela veut dire que pendant que les Occidentaux notaient ce qui leur semblait être une nouvelle souplesse de Moscou sur l'avenir du président syrien, Téhéran et Moscou discutaient de la manière de renforcer Assad. La décision d'un effort russo-iranien conjoint en Syrie a été prise lors d'une réunion entre le ministre russe de Affaires étrangères Sergueï Lavrov et l'ayatollah Khamenei il y a quelques mois, explique un haut responsable d'un pays de la région, versé dans les questions de sécurité. "Soleimani, chargé par Khamenei de diriger la partie iranienne de l'opération, s'est rendu à Moscou pour discuter des modalités. Et il s'est aussi rendu en Syrie plusieurs fois depuis", a dit ce responsable. "OK, NOUS INTERVIENDRONS. ENVOYEZ SOLEIMANI", DIT POUTINE Le gouvernement russe affirme que son déploiement en Syrie s'est fait à la demande d'Assad, qui a lui-même présenté sans ambages les problèmes auxquels était confrontée l'armée syrienne, notamment en terme d'effectifs. L'ayatollah Khamenei a également envoyé un émissaire spécial à Moscou pour y rencontrer le président Vladimir Poutine, a déclaré un autre responsable régional. "Poutine lui a dit :'OK, nous interviendrons. Envoyez Qassem Soleimani'. Il y est allé pour expliquer la carte du théâtre des opérations." Début août, la chaîne américaine Fox News avait révélé un récent voyage à Moscou du général iranien, information à l'époque confirmée par des sources des services de sécurité américains. Fox précisait que Soleimani était arrivé en Russie le 24 juillet, dix jours à peine après la conclusion de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien qui a remis Téhéran dans le jeu diplomatique. Une source iranienne avait confirmé sous couvert d'anonymat que le commandant de la Force al Qods s'était bien rendu dans la seconde quinzaine de juillet à Moscou. (voir) VIEILLE CONNAISSANCE DES OCCIDENTAUX L'intervention militaire en Syrie est décrite dans un accord entre Moscou et Téhéran qui dit que les frappes aériennes russes viendront en soutien aux opérations au sol par les forces iraniennes, syriennes et du Hezbollah libanais, explique un des responsables régionaux interrogés. L'accord prévoit aussi la fourniture d'armes russes plus sophistiquées à l'armée syrienne et l'établissement de salles d'opérations conjointes, qui regrouperaient ces alliés ainsi que les représentants du gouvernement irakien, qui est allié à la fois à l'Iran et aux Etats-Unis. Une des salles d'opérations est à Damas et l'autre à Bagdad. "Soleimani habite pratiquement à Damas, ou disons qu'il y va beaucoup. On peut le trouver entre deux réunions avec le président Assad et des visites sur le théâtre des opérations comme n'importe quel soldat", dit l'un des responsables régionaux. Le général Soleimani est une vieille connaissance des Occidentaux. Dans une interview en mars au Washington Post, David Petraeus, ancien commandant des forces américaines en Irak et en Afghanistan et ex-directeur de la CIA mentionnait un message que Soleimani lui avait fait remettre au printemps 2008, en pleine offensive des forces irakiennes et de la coalition américaine contre les milices chiites d'Irak. "Général Petraeus, disait ce message, vous devriez avoir conscience que moi, Qassem Soleimani, je contrôle la politique iranienne en Irak, en Syrie, au Liban, à Gaza et en Afghanistan." (Danielle Rouquié et Henri-Pierre André pour le service français)