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Un an après, l'euphorie n'est plus de mise en Crimée

par Olesya Astakhova SIMFEROPOL, Crimée (Reuters) - Un an après l'annexion de la Crimée à la Russie, qui avait soulevé une vague d'euphorie parmi les habitants de souche russe de la péninsule, la population souffre de difficultés croissantes, dont l'augmentation du coût de la vie, et nombreux sont ceux qui craignent pour l'avenir. Depuis le référendum du 16 mars 2014, la popularité de Vladimir Poutine n'a fait que grandir en Crimée, et son portrait apparaît aussi bien sur les pancartes et les banderoles que sur les T-shirts des quidams. Certains Criméens, comme les retraités, estiment avoir profité du rattachement à la Russie. Les investisseurs étrangers, en revanche, ont fui, le secteur bancaire est paralysé et nombreux sont les habitants à avoir du mal à joindre les deux bouts. "La vie a changé en mieux. Les retraites et les salaires ont augmenté, on entretient les routes, et de manière générale, le gouvernement (local) s'est mis au travail", déclare un retraité. "La Crimée va devenir un trou perdu de Russie. Qu'est-ce qui est bon ici? Les prix s'envolent et les salaires sont risibles", se plaint en revanche un chauffeur de taxi de 35 ans, tout en négociant les nids de poule des rues du centre de Simferopol. Le nombre de touristes, qui avait atteint les six millions en 2013, a été plus que divisé par deux l'an dernier, selon les chiffres mêmes du gouvernement de la péninsule. Moscou a promis de créer des voies de contournement de l'Ukraine et a attribué à un proche de Poutine, Arkadi Rotenberg, un contrat de 2,8 milliards d'euros pour construire un pont par-dessus le détroit de Kertch, qui relierait ainsi la Crimée au reste de la Russie. "Sans le pont, il n'y aura pas de boom" de l'économie, a déclaré un voyagiste. "Les Russes moyens ont perdu avec l'annexion de la Crimée", déplore Sergueï, un détaillant qui avait quitté Kiev pour la péninsule l'an dernier, avec sa famille, au moment où les manifestations tournaient à la violence dans la capitale ukrainienne. "Dans toute la Russie, les prix montent, il y a des sanctions, le rouble a été dévalué", dit-il, en fermant la fenêtre de sa cuisine pour que les voisins n'entendent pas. ENLÈVEMENTS, ARRESTATIONS Le volet économique et social n'est pas le seul à susciter l'inquiétude. Certains parlent d'une atmosphère de harcèlement et de peur dans la péninsule, déclarant qu'il y a eu de nombreux enlèvements, ainsi que des arrestations sur la foi d'accusations mensongères. Les Tatars de Crimée, musulmans, qui sont au nombre de 240.000, se plaignent de manoeuvres d'intimidation et de violences. "Depuis que la Russie a annexé la Crimée, les autorités de facto ont recours à une large gamme de méthodes de brutes pour réprimer la dissidence", explique John Dalhuisen, directeur d'Amnesty International pour l'Europe et l'Asie centrale. Les cas d'enlèvements ont poussé de nombreux opposants à quitter la Crimée, dit-il en ajoutant: "Ceux qui restent sont la cible de harcèlement de la part d'autorités résolues à réduire au silence les opposants." A Moscou, Vladimir Poutine a dit n'avoir aucun regret, un an après l'annexion. "Le but ultime était de donner à la population l'occasion d'exprimer son opinion sur son avenir", dit-il du référendum du 16 mars 2014 dans un documentaire télévisé qui a été diffusé dimanche. Selon lui, l'envoi de forces russes en Crimée était destiné à empêcher tout bain de sang et à épargner des vies. Malgré les problèmes auxquels ils sont confrontés, la majeure partie des Criméens sont toujours heureux de faire partie de la Russie, assurent les dirigeants de la péninsule. "La cote de popularité du président en Crimée frise les 100%", déclare à Reuters le Premier ministre de Crimée, Sergueï Axionov. "Neuf personnes sur dix disent soutenir (l'annexion) et voteraient de la même façon aujourd'hui", ajoute-t-il. Etats-Unis et Union européenne ont beau avoir de nouveau condamné, lundi, la prise de contrôle de la Crimée, le Kremlin défend l'annexion. "La Crimée est une région de la Fédération de Russie et bien entendu, la question de nos régions n'est pas négociable", a déclaré mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Le mécontentement de certains n'a pas empêché les festivités d'anniversaire du rattachement, échelonnées sur plusieurs jours, qui ont débuté lundi en Crimée et doivent se poursuivre, mercredi, par un concert à Moscou. (Eric Faye pour le service français)