En Ukraine, le stress de la guerre à l'origine de nombreuses complications chez les femmes enceintes

En Ukraine, le stress de la guerre à l'origine de nombreuses complications chez les femmes enceintes
Une femme enceinte examinée dans l'abri d'une maternité de Zhytomyr, dans le nord de l'Ukraine. (Photo: FADEL SENNA via AFP)
Une femme enceinte examinée dans l'abri d'une maternité de Zhytomyr, dans le nord de l'Ukraine. (Photo: FADEL SENNA via AFP)

Une femme enceinte examinée dans l'abri d'une maternité de Zhytomyr, dans le nord de l'Ukraine. (Photo: FADEL SENNA via AFP)

GUERRE EN UKRAINE - “Pour les femmes qui sont restées, il y a cette incertitude sur leur futur, sur celui de leur enfant, elles sont anxieuses, stressées.” Olena Serhieienko est sage-femme et membre de l’équipe Médecins du Monde à Dnipro, à l’est de l’Ukraine. Depuis le 24 février, date du début du conflit, elle constate les conséquences de la guerre sur la santé mentale et physique des femmes enceintes restées sur place.

Selon le Fonds des Nations unies pour la population, 265.000 femmes ukrainiennes attendaient un enfant lorsque la guerre a commencé. 80.000 naissances sont attendues d’ici les trois prochains mois.

Sur le terrain, plusieurs reporters américains se sont intéressés à leur situation. Andrew E. Kramer s’est ainsi rendu dans une maternité de Kiev début mai pour le New York Times, Lauren Egan dans un hôpital de Varsovie, la capitale polonaise, pour NBC News fin avril. Tous deux témoignent du stress que ressentent ces femmes, et des complications que celui-ci entraîne pendant leur grossesse.

“Le nombre de complications de grossesses est plus ou moins le même qu’avant la guerre, car beaucoup de femmes sont parties et leur stress a pu être réduit, mais pour les femmes qui sont restées ici, elles sont anxieuses, il y a plus de risques”, souligne quant à elle Olena Serhieienko auprès HuffPost.Elle partage en effet le constat des journalistes américains.

Des complications de grossesse dues à la guerre

Durant notre appel vidéo, Olena Serhieienko énumère les conséquences de la guerre sur les femmes enceintes. “La première conséquence, c’est qu’à cause du stress, les femmes mangent plus, leur taux de sucre dans le sang augmente, ce qui explique qu’elles donnent naissance à des enfants ‘plus gros’. Après l’accouchement, cela peut provoquer différentes lésions chez les nouveau-nés”, débute-t-elle.

“La deuxième conséquence, toujours à cause du stress, c’est que la tension artérielle augmente, ce qui a un impact négatif sur le système coronaire [artères recouvrant le cœur, ndlr] des femmes enceintes. La troisième conséquence c’est que le stress augmente la quantité de cortisol. Le fœtus s’active alors plus dans le ventre, ce qui accroît le risque de naissances prématurées et c’est pourquoi les femmes doivent aller bien à l’avance à l’hôpital”, explique-t-elle ensuite.

Dans son reportage pour NBC News, Lauren Egan remarque de la même façon que “bien qu’aucune donnée ne soit encore disponible, les médecins polonais affirment qu’ils constatent des taux plus élevés de complications de grossesse, de naissances prématurées et de surmortalité chez les réfugiées ukrainiennes”. Parmi les patientes qu’elle a suivies, Olena Serhieienko n’a pas constaté une augmentation du nombre de naissances prématurées, mais les risques existent et sont plus nombreux qu’auparavant, affirme-t-elle.

Stress et manque d’accès aux soins

L’une des principales raisons de ces complications de grossesse est le stress que ressentent ces femmes. “Il s’explique par le fait qu’elles sont incertaines de l’avenir et par le manque d’argent”, éclaire Olena Serhieienko. Avant d’ajouter: “Le stress influence aussi la glande thyroïde, ce qui a des effets négatifs sur le système coronaire ou sur le système nerveux”.

“Le mois dernier, j’ai supervisé neuf femmes qui avaient accouché récemment, et sur ces neuf femmes, deux ont donné naissance à des enfants qui avaient déjà des dysfonctionnements au niveau du système coronaire”, poursuit-elle. Plusieurs devront subir des opérations. Pour Alina Shynkar, témoignant auprès du New York Times, “garder le calme pour son bébé est devenu [sa] bataille personnelle”.

À ce stress s’ajoute le manque d’accès aux soins. Si Olena Serhieienko réalise ses consultations en santé mentale et en santé sexuelle et reproductive sur place, à Dnipro, une partie de ses consultations se fait à distance, notamment celles concernant le district de Bakhmout. “Récemment, l’unité mobile du district de Bakhmout a été arrêtée en raison de l’insécurité, donc le nombre de patients s’est étendu”, précise le traducteur.

Les médecins doivent deviner la situation de ces femmes en se basant sur la description de leurs symptômes, mais sans voir les résultats des analysesOlena Serhieienko

La majorité des consultations se réalise en effet à distance, ce qui limite la possibilité pour les femmes enceintes de réaliser leurs check-ups de grossesse en présentiel. “Les laboratoires sont également fermés, il n’y a aucune possibilité pour faire des examens. Les médecins doivent deviner la situation de ces femmes en se basant sur la description de leurs symptômes, mais sans avoir de résultats des analyses”, souligne Olena Serhieienko.

Une vulnérabilité qui persiste après l’accouchement

Après l’accouchement, des risques de dépression existent. “Les femmes qui sont restées dans la région sont isolées, sans soutien”, souligne la sage-femme. Mais surtout, elles font face à des manques en lait. Olena Serhieienko explique: “À cause du stress, beaucoup ne parviennent pas à produire suffisamment de lait pour nourrir leur nouveau-né. Et le lait en poudre est cher, toutes ne peuvent pas se permettre de l’acheter”.

À cause du stress, beaucoup ne parviennent pas à produire suffisamment de lait pour nourrir leur nouveau-né. Et le lait en poudre est cher, toutes ne peuvent pas se permettre de l’acheterOlena Serhieienko

Ce sont donc à tous les stades de la maternité que la guerre affecte la santé mentale et physique des femmes enceintes en Ukraine. “Le nombre d’avortements augmente aussi beaucoup. Ce n’était pas si énorme auparavant en Ukraine mais maintenant c’est répandu, car elles ne voient pas de perspectives pour des enfants”, appuie la sage-femme. Même les femmes qui ont suivi une procréation médicalement assistée avortent, estime-t-elle.

Olena Serhieienko a néanmoins quelques belles histoires à raconter. Comme ce nouveau-né qu’elle montre sur l’écran de son téléphone. “Une de nos patientes avait déjà eu trois enfants avant d’accoucher récemment. Au départ, elle voulait le laisser à l’hôpital, et on a réussi à la convaincre de le garder, c’était une grande source de stress pour elle, elle venait d’une famille à faible revenu mais elle l’a fait. Aujourd’hui, elle est installée en Allemagne et ils vont bien”, raconte-t-elle.

Humanitaire à Médecins du Monde, Olena Serhieienko n’a, elle, pas pu se résoudre à quitter son pays, bien qu’elle ait une fille encore mineure. “J’ai décidé de ne pas fuir mais de résoudre les problèmes, d’utiliser mon expérience dans l’humanitaire pour aider les autres”, conclut-elle. Il est bientôt 10 heures à Dnipro, 9 heures en France, et de nouvelles consultations l’attendent.

À voir également sur Le HuffPost: “La guerre en Ukraine et ses terribles conséquences sur la santé des enfants”

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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