Ukraine: pourquoi Ramzan Kadyrov critique-t-il ouvertement la stratégie de Vladimir Poutine?

Ramzan Kadyrov face à Vladimir Poutine, en 2019  - Alexey NIKOLSKY / Sputnik / AFP
Ramzan Kadyrov face à Vladimir Poutine, en 2019 - Alexey NIKOLSKY / Sputnik / AFP

De l'eau dans le gaz russe? À mesure qu'avance "l'opération militaire spéciale" russe en Ukraine, qui a débuté le 24 février dernier, le doute s'empare de l'armée du Kremlin, qui subit revers sur revers ces dernières semaines. Après avoir échoué à prendre la capitale Kiev et concentré leur offensive sur le Donbass, les soldats du Kremlin ont peu à peu perdu du terrain au point de laisser échapper des prises stratégiques, dernièrement la ville de Lyman.

Un net recul, qui fait dire à certains observateurs qu'une victoire ukrainienne est plausible, mais qui crée également l'émoi à Moscou, où les officiers russes sont de plus en plus critiqués. Parmi les principaux détracteurs, le sulfureux dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov qui s'en est directement pris au général Alexandre Lapine, commandant en chef du district central de l'armée russe, mais aussi au gouvernement de Poutine.

"Si cela ne tenait qu'à moi, je le rétrograderais, je le priverais de ses récompenses et je l'enverrais au front, avec une mitrailleuse à la main, afin qu'il lave sa honte au prix du sang", a-t-il déclaré.

Critique de l'armée et de Poutine?

Dans cette Russie au pouvoir si fort, cette critique ouverte a de quoi étonner. D'autant que c'est Vladimir Poutine en personne qui avait nommé Ramzan Kadyrov comme chef de la république tchétchène en 2007, au terme de deux guerres sanglantes qui avaient déchiré la région. Entre les deux hommes, un lien presque filial s'était ensuite noué.

Pour le consultant défense de BFMTV, le colonel Michel Goya, cette sortie ne s'est d'ailleurs pas faite sans l'aval préalable de Moscou. "J’ai du mal à imaginer que Kadyrov puisse s’exprimer aussi librement que ça, il y a un blanc-seing, il y a d'abord une critique de l'armée derrière tout ça", assure-t-il.

Pourtant, jusqu'au boutiste, Ramzan Kadyrov est allé encore plus loin et a également estimé que pour vaincre en Ukraine, l'armée russe devait "employer des moyens plus drastiques" dont l'utilisation "d'armes nucléaires de faible puissance." À cela, le Kremlin avait sèchement répondu que la sortie de Kadyrov avait été faite sous le coup de l'émotion.

"La déclaration de Kadyrov a piqué son orgueil d’homme (de Vladimir Poutine, ndlr). On est sur un président qui montre quelque chose de fort dans son discours, il vient d’annexer quatre régions. On a un lieutenant qui n’est pas content, qui remet en cause son autorité. Il y a une question d’humiliation, il dit qu’il n’est pas à la hauteur, tu es le patron de la Russie mais manifestement on perd sur le terrain", explique, sur notre antenne Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Une critique à double-emploi, qui confirme les premières sorties de Ramzan Kadyrov qui remontent à début septembre. Là, le dirigeant avait déjà émis de vives critiques quant à la stratégie militaire utilisée par le président russe. "Ils ont fait des erreurs et je pense qu'ils tireront les conclusions nécessaires", avait-il dit dans un message publié sur sa chaîne Telegram.

Tsar à la place du Tsar?

Tandis que l'opération militaire en Ukraine ne semble, pour l'heure, pas prendre une tournure favorable pour la Russie, la figure de Vladimir Poutine est de plus en plus remis en question alors que la grogne monte dans le pays depuis l'annonce de la mobilisation partielle. De fait, plusieurs observateurs estiment que Kadyrov souhaiterait devenir "tsar à la place du tsar" et se positionner pour devenir l'homme fort du Kremlin à la place de l'actuel président.

"Je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. La succession, les élections, cela ne va pas se passer comme cela, il y aura un passage de pouvoir et peut-être est-il en train de pousser certains candidats autour de lui. Quelque part, s'il était présidentiable, ce serait à un certain terme, pas à court terme", estime sur notre antenne Viatcheskav Avioutskii, spécialiste du Caucase et professeur de relations internationales à l’ESSCA.

Pour le consultant défense de BFMTV, Ulysse Gosset, il semble impossible que le dirigeant tchétchène n'accède un jour au pouvoir. "Il est Tchétchène, musulman, il ne peut prétendre au titre de Tsar", analyse-t-il.

"C’est un tortionnaire qui est dangereux, il peut jouer un rôle s’il y avait le chaos pour aider tel dirigeant, ce n’est pas lui le vrai danger", ajoute-t-il.

En réalité, via ces sorties, Ramzan Kadyrov souhaite surtout s'adresser à "plusieurs cibles, des bastions de droite", en particulier de sa région, complète Lova Rinel.

Fidèle au Kremlin

Ces critiques répétées mises à part, le dirigeant fait montre, comme il l'a toujours fait jusque-là, d'une fidélité sans bornes vis-à-vis du Kremlin et de Vladimir Poutine. Lundi, il a annoncé envoyer trois de ses fils, des adolescents, combattre en Ukraine.

"Le temps est venu (pour eux) de s'illustrer dans une vraie bataille, je ne peux que saluer leur détermination. Bientôt, ils partiront en première ligne et se trouveront dans les zones les plus difficiles de la ligne de contact", a-t-il dit.

Dès le début du conflit, il avait également annoncé l'envoi d'un "millier" d'engagés tchétchènes pour se battre aux côtés des forces russes. Ceux-ci avaient été les derniers à combattre dans les rues de Marioupol avant de parvenir à reprendre la ville et l'usine Azovstal.

Article original publié sur BFMTV.com