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Ukraine: "Si on noie les centrales nucléaires sous les bombes, ça ne va pas bien se passer"

(Photo satellite de la centrale nucléaire de Zaporojie en Ukraine prise en septembre 2019 par Planet Labs PBC via AP) (Photo: via Associated Press)
(Photo satellite de la centrale nucléaire de Zaporojie en Ukraine prise en septembre 2019 par Planet Labs PBC via AP) (Photo: via Associated Press)

NUCLÉAIRE - Situation sous haute tension. Un bombardement russe a touché ce vendredi 4 mars la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d’Europe dans le centre de l’Ukraine. Les autorités ukrainiennes ont indiqué avoir pu envoyer des pompiers à la centrale nucléaire, où un incendie s’est déclaré après les tirs russes, assurant que la sécurité nucléaire des lieux était maintenant assurée.

Selon les responsables de la centrale, un bâtiment pour les formations et un laboratoire ont été touchés. Le régulateur nucléaire ukrainien n’a détecté “aucun changement” dans le niveau de radioactivité à la centrale”, a annoncé l’Organisation internationale de l’énergie atomique (AIEA).

La centrale nucléaire de Zaporijjia est située dans le sud de l’Ukraine sur le fleuve Dniepr, à 525 kilomètres de Tchernobyl. Il s’agit de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, avec une capacité totale de près de 6000 mégawatts, assez pour fournir en électricité environ quatre millions de foyers. En temps normal, le site produit un cinquième de l’électricité du pays et près de la moitié de son énergie nucléaire. Ces réacteurs possèdent une durée de vie se situant entre 40 et 60 ans, ou plus avec l’avancée des technologies.

Dans un communiqué, l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire française, a annoncé ce vendredi avoir activé son centre d’urgenceen mode veille” pour suivre l’évolution de la situation dans les centrales nucléaires ukrainiennes. Anne-Cécile Rigail, directrice générale adjointe de l’autorité, a répondu aux questions du HuffPost.

Le HuffPost: Que pouvez-vous nous dire sur la situation à Zaporijjia? Doit-on craindre un risque nucléaire?

A-CR: Nous avons des contacts directs avec l’autorité de sûreté ukrainienne pour faire le point sur la situation. Ce qu’il en ressort pour le moment, c’est qu’il n’y a pas d’accident nucléaire, les balises fonctionnelles autour de la centrale ne relèvent pas d’anormalités.

Pour autant, ce que précisait l’autorité de sûreté ukrainienne, c’est que ses propres agents, les inspecteurs qui contrôlent habituellement la sûreté de la centrale, ne peuvent actuellement pas accéder au site en raison de la présence des troupes russes et des combats autour du site. Ce qui rend le contrôle indépendant beaucoup plus fragile. Il faudra donc être assez vigilant sur la qualité des informations qui remonteront du terrain dans les prochains jours.

Le HuffPost: Les combats se produisant autour du site de la centrale, en quoi cela pourrait-il impacter son fonctionnement?

A-CR: Avec ce qui est arrivé ce matin, les points de vigilance sont nombreux. Le premier est technique. Il faut savoir que le réacteur d’une centrale nucléaire a toujours besoin d’être refroidi, même quand il est à l’arrêt, même quand il ne produit pas. Car la matière radioactive à l’intérieur est très chaude et doit être refroidie activement. Pour cela il faut de l’eau et de l’électricité pour faire tourner les pompes et les systèmes de refroidissement. C’est un point de vigilance commun à tous les réacteurs nucléaires, mais dans un contexte de guerre, très proche d’un site comme ici, il y a une réelle vigilance sur l’intégrité de ces systèmes d’alimentation. C’est pourquoi nous sommes dans une posture de veille active si la situation venait à se dégrader.

Le HuffPost: Quels sont les autres points?

A-CR: Après l’aspect technique, il y a l’aspect humain. Le conflit autour du site empêche les mouvements de personnes. Or, si l’on se fie à ce qu’il se passe en ce moment à Tchernobyl, qui a été pris par les Russes, le personnel du site n’a pas pu être relayé depuis le 24 février. Ces roulements se font sur le système des trois-huit afin que les agents puissent se reposer. Ce qui n’est plus permis depuis que les Russes sont sur zone. Aujourd’hui, à Zaporijjia, on craint que ce schéma se reproduise. Ce qui ferait que les réacteurs nucléaires seront opérés, exploités par des gens extraordinairement fatigués et stressés notamment par la situation dans leur pays.

Enfin, le troisième point est logistique. Avec le conflit, les flux logistiques sont compliqués, donc si la centrale demande des pièces de rechange ou a besoin de spécialistes pour de la maintenance, ils ne pourront pas arriver sur site.

Le HuffPost: La centrale pourrait-elle supporter une attaque russe?

A-CR: Tous les systèmes de sûreté de la centrale sont assez robustes, ils sont à l’état de l’art des centrales européennes post-Fukushima avec des groupes diesel, etc. Pour autant, si on les noie sous les bombes ça ne va pas bien se passer. C’est une centrale sûre du point de vue des standards de sûreté mais elle n’est pour autant pas faite pour supporter des actes de guerre.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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