Ukraine: une enquête du "New York Times" accuse l'armée russe d'un crime de guerre à Boutcha

Vue d'une rue de Boutcha, le 2 avril 2022. - RONALDO SCHEMIDT

Jeudi, le "New York Times" a mis en ligne une longue enquête portant sur une scène d'exécution perpétrée à Boutcha dans la banlieue de Kiev, le 4 mars dernier. Croisant vidéos et témoignages, le journal évoque un "crime de guerre" et l'attribue à l'armée russe.

Ce vendredi a marqué le dernier jour du procès de Vadim Chichimarine à Kiev. Ce sergent russe est le premier militaire russe jugé par la justice ukrainienne pour crime de guerre. Il est accusé d'avoir assassiné un civil désarmé dans la région de Kharkiv. Mais c'est du côté de Boutcha, dans la banlieue ouest de la capitale ukrainienne, que la scène internationale a découvert les premiers charniers laissés derrière lui par l'envahisseur russe.

Jeudi, le New York Times a versé une nouvelle pièce dans ce dossier accablant pour le Kremlin qui continue à nier sa responsabilité dans les atrocités commises sur le front ukrainien et attribuées à ses troupes. Le quotidien américain a en effet publié une enquête reposant sur trois vidéos, assorties de témoignages multiples, pointant l'exécution d'un groupe de huit Ukrainiens, sans arme, par les soldats russes une dizaine de jours après le début de la guerre. Le média n'hésite pas à qualifier l'affaire de "crime de guerre".

En file indienne

Les faits remontent au 4 mars dernier. Ce jour-là, une caméra de vidéosurveillance de Boutcha enregistre la marche en file indienne d'un peloton de neuf personnes, escortés de soldats russes que le New York Times désigne comme des parachutistes. Les neuf Ukrainiens sont pour certains aveuglés par des tissus enroulés autour de leur tête et doivent se tenir à la ceinture de celui qui les précède.

D'après les éléments recueillis sur place au cours des dernières semaines par les journalistes américains, ces otages sont tous des hommes, des civils ayant toutefois rejoint des unités paramilitaires locales pour s'opposer à l'invasion. Ils ont été arrêtés quelques instants plus tôt au numéro 31 de la rue Yablunska et leurs geôliers les conduisent alors au 144 de la même artère, jusqu'à l'édifice où ils ont installé leur quartier général. Une autre séquence, toujours prise le 4 mars et cette fois due à la vigilance d'un riverain, atteste également du trajet des prisonniers.

Le lendemain, 5 mars, c'est cette fois la vidéo aérienne captée par un drone de l'armée ukrainienne qui dévoile la présence d'un monceau de cadavres dans la cour du 144 de la rue Yablunska. Parmi les victimes, le New York Times reconnaît le sweat-shirt bleu de l'un des Ukrainiens interpellés la veille par les Russes. La même dépouille sera encore photographiée, le 2 avril, après le retrait de l'agresseur de la région.

Le récit d'un survivant

Que s'est-il passé entre ces deux scènes effroyables? Cette fois, le titre new-yorkais s'en est remis aux témoignages livrés par les riverains, les officiels et surtout par Ivan Skyba, un homme de 43 ans qui affirme avoir été l'un des neuf prisonniers, avoir été lui-même fusillé et laissé pour mort mais ayant donc survécu à sa blessure. Le médecin qui l'a examiné a d'ailleurs confirmé ses dires.

Selon Ivan Skyba, certains de ses compagnons d'infortune ont été tués dès leur arrivée sur le parking du QG russe, tandis que d'autres ont été emmenés au préalable à l'intérieur du bâtiment pour y être interrogés, battus puis abattus. Dans un cas comme dans l'autre, et toujours d'après le récit du survivant, les corps ont ensuite été déplacés jusqu'à la cour de l'édifice où on les a découverts près d'un mois plus tard.

Les commandants russes pourraient être inquiétés

Huit hommes, certes belligérants mais alors désarmés et passés par les armes sans autre forme de procès: voilà qui qualifie à l'évidence - si la justice reprend les éléments apportés par l'enquête journalistique - un crime de guerre.

Stephen Rapp, ex-ambassadeur itinérant américain et spécialiste des crimes de guerre, souligne ainsi auprès du New York Times que le défaut d'armes à disposition des victimes les plaçait de fait "hors des combats" et donc sous la protection des conventions internationales.

Le diplomate précise qu'en plus des bourreaux, les officiers supérieurs russes alors déployés sur ce théâtre d'opération peuvent en toute hypothèse être poursuivis pour crime de guerre également s'il s'avère qu'ils ont eu connaissance des faits et ne les ont ni empêchés ni punis.

Article original publié sur BFMTV.com

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