Turquie: Erdogan investi de pouvoirs élargis

Recep Tayyip Erdogan, réélu le mois dernier à la tête de l'Etat turc, prête serment lundi avec des pouvoirs présidentiels accrus qu'il dit vouloir utiliser pour faire de la Turquie une grande puissance économique. /Photo prise le 7 juillet 2018/REUTERS/Umit Bektas

par Ece Toksabay et Gulsen Solaker

ANKARA (Reuters) - Recep Tayyip Erdogan, réélu le 24 juin à la tête de l'Etat turc, a été investi lundi de pouvoirs étendus, qu'il dit vouloir utiliser pour faire de la Turquie une grande puissance économique.

"En tant que président, je jure sur mon honneur et mon intégrité, devant la grande nation turque, d'oeuvrer par tous mes moyens à préserver et à exalter la gloire et l'honneur de la République de Turquie, et de remplir les devoirs qui sont les miens, en toute impartialité", a-t-il déclaré devant les députés. Ses partisans l'ont ensuite acclamé, debout, pendant une minute.

Après avoir prêté serment devant le parlement, le président a participé à une cérémonie au vaste palais présidentiel qu'il a fait construire à Ankara. Parmi les plus de 7.000 invités figuraient le président vénézuélien Nicolas Maduro, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev et le président soudanais Omar Hassan al Bachir. Une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement étaient présents, mais aucune puissance occidentale n'avait dépêché de représentant de haut rang.

Recep Tayyip Erdogan a ensuite annoncé dans la soirée la composition de son gouvernement, dans lequel son gendre Berat Albayrak occupe les fonctions de ministre du Trésor et des Finances. L'ancien vice-Premier ministre Mehmet Simsek, considéré comme la personnalité la plus proche des milieux d'affaires dans le gouvernement sortant, ne fait pas partie de cette équipe resserrée autour de 16 portefeuilles.

Recep Tayyip Erdogan avait annoncé vendredi que ses ministres ne seraient pas forcément issus des rangs parlementaires de sa formation islamo-conservatrice, le Parti de la justice et du développement (AKP).

La réforme constitutionnelle entrée en vigueur lundi supprime le poste de Premier ministre et autorise le président à former ou à dissoudre le gouvernement mais aussi à limoger les membres de la fonction publique sans l'approbation du Parlement.

"NOUVEAU DÉPART"

L'instauration d'un régime présidentiel a été approuvée de justesse par référendum l'an dernier. Erdogan affirme que cette réforme d'une importance sans précédent depuis la fondation de la République turque par Mustafa Kemal Atatürk sur les ruines de l'Empire ottoman il y a près d'un siècle est nécessaire pour stimuler la croissance économique et garantir la sécurité.

"Nous, peuple turc, prenons un nouveau départ, ici, aujourd'hui", a-t-il dans son discours d'investiture. "Nous laissons derrière nous le régime qui a coûté cher à notre pays par le passé en semant le chaos politique et économique.

"Nous nous engageons sur cette voie en utilisant cette opportunité du mieux possible pour un parlement fort, un gouvernement fort et une Turquie forte", a-t-il ajouté.

Ses opposants, qui craignent une dérive autoritaire, l'accusent de vouloir affaiblir les institutions laïques mises en place par Mustafa Kemal et d'éloigner la Turquie des valeurs occidentales de démocratie et de liberté d'expression.

A la veille de l'investiture, 18.000 fonctionnaires ont été limogés par décret avant la levée, vraisemblablement courant juillet, de l'état d'urgence instauré après le coup d'Etat manqué de juillet 2016, imputé aux réseaux de l'intellectuel musulman Fethullah Gülen, qui vit en exil aux Etats-Unis.

Plus de 150.000 employés de l'Etat ont perdu leur emploi à la suite de cette tentative de putsch. Quelque 77.000 d'entre eux ont été officiellement inculpés et placé en détention préventive, selon des données fournies en avril par le ministre turc de l'Intérieur.

La séance inaugurale de la nouvelle législature, également élue le 24 juin, a également eu lieu lundi. L'AKP dispose de 295 des 600 sièges et ses alliés du Parti d'action nationaliste (MHP) ont 49 sièges.

(Avec Ezgi Erkoyun, Daren Butler et Humeyra Pamuk à Istanbul; Danielle Rouquié, Jean-Philippe Lefief, Eric Faye et Guy Kerivel pour le service français)