Turquie : le putsch n’est plus à la mode

Une tentative de putsch qui échoue en Turquie. Les généraux séditieux ont mal évalué leur coup.

L’espace d’une nuit, on s’est cru revenu 30 ans en arrière. Les militaires turcs sortaient de leur caserne pour remettre le pays au carré. Les télés sont fermées, un communiqué annonce l’instauration de la loi martiale au nom de la défense des valeurs de la République turque, du kémalisme, des libertés et des droits de l’homme.

Les vieilles recettes ne marchent plus

Le chef d’état-major est séquestré. Les blindés sont dans la rue, des chasseurs F16 bombardent les abords du palais présidentiel et du Parlement, histoire de faire comprendre au président parti en vacances qu’il peut rester au bord de la mer et qu’il n’est pas nécessaire de revenir. On avait l’impression que les putschistes appliquaient à la lettre les conseils puisés dans le manuel du parfait petit coup d’Etat. A ceci près que la Turquie a changé et qu’à l’heure des réseaux sociaux les vieilles recettes ne marchent plus.

Première erreur d’analyse. La société turque est beaucoup plus politisée et clivée. Dès les premières heures, les partisans d’Erdogan descendent dans la rue pour soutenir le régime. 15 ans d’AKP (le parti islamiste modéré au pouvoir) ont changé le pays. Beaucoup se rappellent qu’avant de devenir mégalo et autoritaire, Erdogan a été celui qui a libéralisé le pays. La presse, les élections, l’économie ont été déverrouillées. En s’appuyant sur la religion, il a retissé des liens avec le monde arabe, pour se remettre dans les habits des sultans de l’Empire Ottoman. En faisant renaitre le mythe de l’Empire, Erdogan a proposé une alternative à l’Europe.

En substance, “plutôt que d’entrer dans un grand ensemble laïc où l’on nous regardera toujours de travers parce que nous sommes musulmans, autant construire un ensemble néo-ottoman que nous pourrions diriger”. Même si le projet est assez peu réaliste, il suffit à beaucoup de Turcs pour trouver une bonne raison de tourner le dos à l’Europe, à ses valeurs et par là, à l’héritage kémaliste.

Une partie de l’armée n’a pas suivi

La deuxième erreur est politique. Quand bien même ils détestent Erdogan et son autoritarisme grandissant, les partis d’opposition ont immédiatement dénoncé le coup d’Etat. L’armée comme recours ils n’y croient plus. La dictature temporaire à la romaine, le général qui prend le pouvoir pour défendre la République et ensuite le rendre aux civils, ils connaissent la chanson. Les généraux ne remettent jamais les clés aux civils. Ils rangent leur uniforme et s’achètent un costume pour avoir l’air de civils et ils gardent le pouvoir.

La troisième est une mauvaise appréciation de l’état des troupes. Pour la première fois lors d’un coup d’Etat, une partie de l’armée n’a pas suivi. Une fois montés au front, les généraux putschistes se sont retrouvés seuls. Les autres n’ont pas suivi. Eux non plus n’aiment pas Erdogan. Ils ne ratent pas une occasion de ne pas saluer l’épouse du président sous prétexte qu’elle est voilée. Mais ils ont appris à coexister. La guerre contre les Kurdes est une bataille importante à leurs yeux. Il en va aussi de l’unité du pays. En relançant les hostilités Erdogan leur a donné des gages. PKK, EI… Les ennemis de l’intérieur sont là et le pays est trop fragile à leurs yeux pour risquer de secouer les institutions.

Erdogan pourrait en sortir renforcé

La dernière erreur enfin a été diplomatique. Là aussi, quand bien même ils ne portent pas Erdogan dans leur cœur, Américains, Russes et Européens ont immédiatement appelé au respect de l’ordre institutionnel rappelant que le président et le gouvernement turcs avaient été démocratiquement élus. La région est trop instable pour se permettre de jouer aux apprentis sorciers.

Au final, entre ceux qui l’aiment et ceux qui le détestent mais ne sont pas prêts à aller contre lui, les putschistes étaient bien seuls. Ils le seront aussi devant les tribunaux quand ils seront jugés pour haute trahison. Le paradoxe de cette tentative de coup d’état est que le président-sultan Erdogan pourrait bien sortir renforcé de cette folle nuit.