Les Trump sans fard, la maquilleuse Audrey Lefevre raconte

La maquilleuse française Audrey Lefevre – ici photographiée au bar de l’hôtel Pilgrim, dans le 5e arrondissement de Paris – raconte à Point de Vue son expérience auprès du clan Trump.
© Christel JEANNE

Comment devient-on maquilleuse à la Maison Blanche ? 

C’est une histoire un peu folle. Je me suis installée à Washington en 2013 avec ma famille. Au bout d’un an et demi, j’ai compris qu’il fallait que je reprenne le travail. J’avais envie de réussir dans ce pays. J’ai alors suivi une formation de maquilleuse – qui n’était pas mon métier d’origine. Ma difficulté, c’est que je ne parlais pas très bien anglais à l’époque. J’ai trouvé mes premiers contrats grâce à une application qui met en relation maquilleurs et clients. C’est par ce biais que j’ai rencontré l’épouse d’un sénateur. Je lui ai proposé quelque chose de différent de ce dont elle avait l’habitude, moins tape-à-l’œil. Je voulais apporter une forme d’élégance parisienne à mon travail. Quand elle s’est regardée pour la première fois dans le miroir, j’ai compris que j’avais vu juste : elle m’a immédiatement engagée.

C’est grâce à elle que vous êtes entrée dans l’univers des politiques ?

En réalité, j’ai été contactée par une société du monde de la beauté qui me proposait de travailler pour l’investiture de 2017. On ne m’avait rien dit de plus, mais j’ai accepté. J’étais à mille lieues d’imaginer ce qui m’attendait. Il faut avoir en tête que des milliers de personnes sont invitées à chaque cérémonie de ce type : des parlementaires, des célébrités, toute la haute société de Washington. Ce jour-là, on me donne une adresse et un contact sur place. J’arrive dans une townhouse (maison de ville) typique, à deux pas de la Maison Blanche. Je me revois encore en train de monter les escaliers... Et soudain, c’est le branle-bas de combat. Les agents des services secrets s’agitent, un véhicule aux vitres teintées s’arrête, et en descendent le président élu Donald Trump et son épouse Melania. Très naïvement, je me suis dit : "C’est amusant, ils viennent saluer les clients dont je vais m’occuper." Comment aurais-je pu me douter que toute la famille Trump attendait à l’étage et que j’allais maquiller certains d’entre eux en cet instant historique ?

Donald Trump, alors 45e président des États-Unis, prête serment le 20 janvier 2017, entouré de sa famille.
Donald Trump, alors 45e président des États-Unis, prête serment le 20 janvier 2017, entouré de sa famille. © Patrick Semansky / AP / SIPA

Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?

On me guide vers une chambre où je dois m’occuper de Donald Jr., le fils aîné du président, et de sa femme de l’époque, Vanessa. J’ai en mémoire une scène surréaliste : la télévision était allumée ; Donald Jr. regardait CNN où l’on disait les pires horreurs sur son père... en mangeant du pop-corn ! Il semblait avoir un tel recul, être totalement détaché de la violence médiatique que sa famille suscitait. Je lui ai demandé s’il n’était pas trop stressé. Il m’a répondu simplement : "Après deux ans de campagne, j’ai juste à me tenir debout et à sourire."

La maquilleuse française Audrey Lefevre raconte à Point de Vue son expérience auprès du clan Trump.
Tout juste débarquée de Washington, Audrey Lefevre a vécu cette journée historique en coulisses. © Christel JEANNE

Néanmoins, l’investiture dure trois jours pleins. Les deux journées suivantes, j’ai continué à maquiller la famille, cette fois à la Maison Blanche. Le dernier jour, tout le monde devait aller à la messe. La pression continuait à être énorme. Et tout à coup, je comprends qu’une femme de la famille – que je ne nommerai pas – ne veut pas se rendre à l’église. Elle n’en peut plus, elle est à bout. La tension monte. La famille essaie de la convaincre, le temps passe. Le coiffeur et moi sentons que l’heure est grave. Finalement, elle s’assoit. Elle me regarde dans les yeux et me dit : "Il te reste vingt minutes." Autour de nous, les enfants courent, crient, jouent à cache-cache. C’est le chaos. Dans mon métier, quand on survit à ça, on peut survivre à tout.

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Ensuite, vous avez travaillé pour Ivanka Trump. On imagine que ce n’était pas de tout repos...

C’est elle qui a souhaité que je devienne sa maquilleuse attitrée. Je pense qu’elle a vu pendant les trois jours d’investiture de quoi j’étais capable. Je ne vais pas vous mentir : c’était l’enfer ! Je me levais à 4h30 le matin pour me rendre chez elle. Il fallait passer les contrôles de sécurité, suivre un protocole exigeant, faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller ses enfants. Je m’installais en silence, tandis que je l’entendais prendre sa douche. À 6 heures pile, elle était prête pour sa mise en beauté. Toujours ponctuelle. Ce qui était compliqué, c’est qu’il fallait s’adapter à son emploi du temps, rester flexible pour elle, alors que je ne pouvais rien dire à mes autres clientes, car j’étais tenue au secret.

Quel genre de femme est-elle ?

C’est une grande professionnelle qui sait ce qu’elle veut mais qui garde ses distances. J’ai surtout créé des liens avec sa fille, qui est née le même jour que moi [le 17 juillet, ndlr] et qui me posait plein de questions. Les enfants d’Ivanka Trump parlent anglais... et mandarin ! C’est très impressionnant. Cette proximité avec Arabella n’a pas beaucoup plu à sa mère. Mais d’une certaine manière, je le comprends : c’est quelqu’un qui se protège. Toute la famille se protège.

Quel regard portez-vous sur cette famille et sur les liens qui les unissent ?

Ce sont des gens déterminés. Tous. C’est leur marque de fabrique. Ivanka est la plus modérée. Je pense qu’elle essayait de contrôler son père et s’y est brûlé les ailes. Ils sont tous portés par un même élan, par leur vision. Ils savent où ils veulent mener le pays. C’est une mission. Ils se moquent des critiques, cela ne les arrêtera pas. Ils sont habités. Et ils restent soudés.

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Mais est-ce une famille aimante ?

Oui, mais ils sont pudiques. Cet amour, il est caché. J’ai vu de mes yeux un président Trump bien différent de sa caricature médiatique, dure, directe, agressive, voire antipathique. Un homme charmant et, je le souligne, quelqu’un de calme. Certainement pas un fou. J’ai observé un grand-père qui joue avec ses petits-enfants. J’ai vu l’être humain, pas le politicien ou l’homme d’affaires.

Vous n’avez pas seulement maquillé les Trump, mais aussi d’autres présidents américains. Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’ai en mémoire une anecdote avec Bill Clinton. Je devais le maquiller mais finalement, il n’a pas eu besoin de moi. Je l’ai malgré tout salué alors qu’il prenait son petit déjeuner dans sa cuisine. J’ai voulu lui faire une blague et je lui ai dit : "Alors, Monsieur le président, vous ne vouliez pas de ma poudre ?" Sauf que les mots "poudre" (powder) et "pouvoir" (power) sont assez proches en anglais, surtout quand vous avez un accent français. Il a d’abord compris que je lui parlais de mon pouvoir. Silence gêné avant qu’il réalise le quiproquo et éclate de rire !

Audrey Lefevre, maquilleuse du clan Trump, a travaillé avec Bill Clinton en 2019.
Audrey Lefevre n’a pas seulement travaillé pour le clan Trump. Parmi ses clients ayant occupé le Bureau ovale, Bill Clinton, croisé en 2019. © Service de presse

J’ai également été chargée de maquiller une certaine Carla Frank chez les démocrates... avant de comprendre qu’il s’agissait d’un nom d’emprunt pour Joe Biden, qui n’avait pas encore lancé sa candidature pour l’élection présidentielle de 2020. Je lui ai avoué que je devais passer un examen pour obtenir la citoyenneté américaine et que je ne comprenais rien à la Constitution. Il m’a alors donné un cours privé de droit constitutionnel, avant de me montrer sur son téléphone des photos de sa famille et de son chien ! Il était visiblement touché, j’ai perçu toute sa sensibilité. Il a aussi demandé à voir des photos de mes proches. Le monde s’est arrêté quelques minutes. Et j’ai eu mon examen et ma citoyenneté !

La maquilleuse Audrey Lefevre avec Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama, prêt à se lancer dans sa campagne victorieuse de 2020.
La maquilleuse au côté de Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama, prêt à se lancer dans sa campagne victorieuse de 2020. © Service de presse

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