« Les transgressions d’Emmanuel Macron soulèvent des inquiétudes » - TRIBUNE

Emmanuel Macron photographié lors de la réception de la presse internationale à l’occasion des Jeux Olympiques le 22 juillet (illustration)
LUDOVIC MARIN / AFP Emmanuel Macron photographié lors de la réception de la presse internationale à l’occasion des Jeux Olympiques le 22 juillet (illustration)

POLITIQUE - Exégète particulier cherche partenaire particulier... « Nos institutions conservent, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, toutes leurs forces », « Pour préserver la Constitution, (...) il faut d’abord la faire vivre. User de tout ce qu’elle permet et s’interdire tout ce qu’elle ne permet pas. » Le discours du Président de la République, lors du 65ème anniversaire de la Constitution le 4 octobre 2023, contenait peut-être de précieux signaux faibles annonçant la période de trouble que nous connaissons aujourd’hui.

Emmanuel Macron restera non seulement dans l’histoire comme le disrupteur politique hors pair qu’il a été, mais ces dernières semaines l’inscrivent également comme un curieux et imprévisible exégète institutionnel.

Dans la course à Matignon, le Premier ministre idéal de Macron n’existe pas

Celui qui a révolutionné la pratique politique française, en cassant ses codes comme jamais auparavant dans une république française, a opéré deux transgressions principales. La première c’est qu’à seulement 39 ans, sans jamais avoir été candidat à aucune élection auparavant, il est devenu le plus jeune président de la Ve République. La deuxième, véritable prouesse au regard des alternances politiques qui étaient de rigueur depuis 1969 entre UDR/RPR et PS, a été de transcender le clivage droite-gauche, réussissant là où Valéry Giscard d’Estaing avait échoué.

Ce dernier avait porté l’ambition de gouverner au centre, tentant de rassembler centre-droit et centre-gauche, mais sa base électorale située davantage à droite et le Programme commun lui ont été fatals. Emmanuel Macron a quant à lui su fédérer un électorat diversifié autour de son mouvement  « En Marche ! » , non pas sur le terrain de l’échiquier politique traditionnel - appelant ralliement de barons, accords sur des lois, etc. - mais sur celui d’une nouvelle idéologie politique, sans frontière (prendre les bonnes idées où elles se trouvent), sans programme (ne surtout pas s’engager sur des mesures concrètes) et sans base militante (véritable coup de force).

Le gouvernement démissionnaire permanent

Novice de la politique et des campagnes, il a pourtant été élu en 2017, a obtenu une majorité absolue à l’Assemblée nationale la même année, et a été réélu en 2022. Si le premier mandat de Macron a été marqué par une disruption politique, son second mandat se caractérise par une transgression institutionnelle inquiétante.

Emmanuel Macron a instauré le plus long gouvernement démissionnaire de l’histoire de la Ve République. Cette situation, que l’on pourrait qualifier de « gouvernement démissionnaire permanent », rend impossible l’exercice des fonctions d’un Premier ministre telles que le disposent les articles 20 et 21 de la Constitution. Bien que juridiquement toléré, ce vide révèle une faille préoccupante dans nos institutions.

L’Assemblée nationale comme fusible

Traditionnellement, c’était le Premier ministre qui subissait la crise politique en étant le fusible du président. Emmanuel Macron a innové en utilisant l’Assemblée nationale comme fusible, la dissolvant pour échapper à la crise engendrée par les débats sur la loi immigration et le désaveu, voire la haine, croissante des Français à son encontre. Cette utilisation de l’article 12 de la Constitution diffère radicalement des dissolutions précédentes, qui visaient soit à résoudre une crise (1962), soit à aligner l’Assemblée sur le président (1981, 1988), soit à réduire une majorité présidentielle trop importante (1997). Ici, le président pratique une stratégie de la terre brûlée préférant sa tranquillité d’esprit pour mener ses projets favoris, à l’international notamment, à la stabilité politique, qui sera mise à rude épreuve dès l’ouverture de la session parlementaire mais surtout lors des débats sur le projet de loi de finances.

La censure présidentielle préalable

En refusant de nommer Lucie Castets, représentante choisie par les quatre partis composant le Nouveau Front Populaire, le président s’est arrogé un droit de censure préalable, bafouant les articles 8 et 49 de la Constitution. Dans un régime parlementaire traditionnel, le rôle du président dans la formation du gouvernement est plus limité et encadré que ce que suggère l’argument d’Emmanuel Macron.

Il consiste plutôt à identifier et désigner une personnalité capable de rassembler une majorité parlementaire. Invoquer le risque d’instabilité institutionnelle évoqué par le président s’éloigne d’une forme de jurisprudence qui opérait jusque-là, où la légitimité du gouvernement découle principalement de son soutien par une majorité à l’assemblée et non du fait du Prince.

Et ce, surtout dans une configuration comme celle que nous connaissons où même une alliance comme celle envisagée par la macronie, alliance sans LFI ni le RN, ne permettrait pas une majorité absolue dans l’hémicycle.

Vers d’autres innovations constitutionnelles ?

Ces transgressions soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir de nos institutions. Verrons-nous émerger des concepts farfelus tels qu’un « référendum d’urgence constitutionnelle » ou une «  »dissolution préventive » ? Pire encore, assisterons-nous à un refus de quitter l’Élysée, à l’instar de Trump au Capitole ?

Il est crucial de rester vigilant face à ces dérives institutionnelles. La Constitution, garante de notre démocratie, ne doit pas devenir un simple outil au service des ambitions politiques d’un homme. Il incombe désormais aux contre-pouvoirs - opposition parlementaire, société civile, médias - de jouer pleinement leur rôle de garde-fous démocratiques.

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