Top 14: LOU, chronique d’un divorce annoncé?
"On n’a pas deux fois l’occasion de faire une première bonne impression", dit l’adage populaire. Avec le LOU et Xavier Garbajosa, le départ fut (presque) idyllique avant de petit à petit glisser vers un climat de défiance qui pourrait emporter avec lui, l’avenir du manager du LOU. "Un point de non-retour est franchi, je ne vois pas comment cela peut s’arranger", entend-t-on aux abords du centre d’entraînement du LOU à Gerland. Car oui, au départ tout roulait ou presque dans cet "après Pierre Mignoni", le manager parti après un septennat de (re)construction du club lyonnais qu’il avait sorti de l’anonymat de la Pro D2 pour l’emmener vers le gain de la (petite) coupe d’Europe en mai 2022.
De l’extérieur – et de l’intérieur aussi – le LOU en version Xavier Garbajosa fonctionne bien et affiche des résultats prometteurs. Au soir de la 11ème journée et à la faveur d’un succès probant face à Toulouse (21-14), les Lyonnais pointent au 4ème rang du Top 14. Tout va bien dans les rangs du nouveau LOU, en version Xavier Garbajosa. De quoi balayer les rumeurs qui avaient précédé l’arrivée de l’ex-technicien de La Rochelle et de Montpellier. Mais, déjà, de "petites choses" troublent la vie collective : des phrases entendues en conférence de presse, qui tranchent avec la réalité interne. A tel point qu’un proche du groupe s’interroge rapidement quand il scrute ces exercices imposés avec des faits qu’on lui rapporte : "mais, c’est son jumeau qui parle ?"
"Il fait des phrases…" dit un autre qui remarque la disparition des briefings du staff, l’absence de règles et de cadres, un peu comme un fil rouge de la saison : "Pierre Mignoni était dur, exigeant, mais il expliquait les décisions", raconte un témoin. Il se dit que Xavier Garbajosa use parfois du mail ou du sms pour expliquer un choix de non sélection dans le groupe ou sur la feuille de match : "On est dans du sport, de l’affect, il faut des échanges, les yeux dans les yeux, sinon…" Sinon, ce sont des non-dits qui se multiplient au cœur de la "mutation" du club en mode post-Mignoni. Un à un, joueurs, membres du staff et même personnels du bureau s’interrogent. Et les messes basses s’amplifient. "Mais dire que ce sont les anciens qui ont la nostalgie de l’ex-manager, c’est faux, répond par avance une source interne. Car Xavier a eu sa chance."
Des compétences techniques louées, mais pas sa façon de gérer les hommes
Seulement, il n’a peut-être pas su la saisir, notamment à un moment où tout allait bien (encore) dans le groupe. En lançant des formules limite cassantes, il blesse certains dans l’intimité du vestiaire qui avalent la pilule, sans dire un mot. Elles remonteront à la surface quelques semaines plus tard quand le climat tourne à la défiance à la fin de l’automne, creusant un fossé entre les différentes composantes du staff. Il ne fera que s’agrandir au fil des mois : "c’est la porte d’entrée de tous les problèmes" résume une source. D’autant qu’à ces mots, reçus par les personnes visées comme exprimés sur un ton "hautain", des "routines" de longue date disparaissent. Comme celle dite de la roue, qui chaque lundi depuis quelques années permettait aux joueurs de laisser, telle la roulette sur un tapis de casino, le hasard imposer un challenge interne, pour qui était en retard le week-end ou n’a pas porté le bon équipement. Ce rituel peut être enfantin, peu chronophage paraît anecdotique, mais son absence casse un challenge stimulant de l’intérieur.
La vie de groupe ne sera plus pareille. Si ses compétences techniques et tactiques sont louées, c’est sa façon de gérer les hommes qui interpellent et fait monter au créneau les acteurs. Arrive le mois de décembre en pente abrupte : 5 matches, 5 défaites en Top 14 et en Coupe d’Europe avec un aller-retour fatigant en Afrique du Sud. Le 5ème échec laissera les premières traces puisque c’est la lanterne rouge, Brive qui vient s’imposer à Gerland, le 31 décembre 2022. La préparation du déplacement à Pau n’est pas un long fleuve tranquille, car les réunions entre les joueurs, puis avec le manager se multiplient. Les remous s’ébruitent, les sorties dans la presse interpellent. Mais la période soude les joueurs qui l’emportent (12-21) à Pau. Ils se relancent et sauvent la tête de leur entraîneur. En même temps, les jours d’après ne sont pas ceux imaginés par les joueurs qui voulaient faire bouger les lignes : aucun débriefing ne découle de ses explications de texte et rien de concret ne se met en place, notamment dans la foulée des reproches, que les joueurs souhaitent constructifs, au sujet d’un manque de communication et d’un management général, loin des standards. Tout ça pour ça, pensent les joueurs, qui pour la plupart ont grandi avec le club, l’aime et savent le potentiel du groupe.
La saison s’écoule au grés des montagnes russes qui placent fin avril, le LOU dans un ascenseur émotionnel rarement vu, du 28-0 à la mi-temps au Stade Français au 31-31 au final en passant par le succès "miracle" face à l’USAP grâce à un essai de filou de Baptiste Couilloud qui renverse à lui seul les Catalans dans les dernières minutes. La rentrée de Xavier Garbajosa au vestiaire au moment de cet éclair – le demi de mêlée n’a pas encore franchi la ligne d’essai… - laissera perplexe le groupe. Elle accentuera la défiance. En fin de match, les murs tremblent. L’explication de texte sévère sera révélée immédiatement en conférence de presse. Drôle d’après match après un drôle de match, déjà. Le lundi qui suit, le groupe se réunit, puis délègue ses huit cadres pour aller parler au manager dans son bureau. Et le mercredi, sur le jour off de la semaine, ces huit leaders demandent audience au président Yann Roubert.
"Un point de non-retour"
Il est à nouveau question des reproches énoncés au fil de cette saison atypique. Et si des membres peinent à trouver le sommeil, que le climat s’épaissit, qu’un type d’autogestion s’installe, joueurs, staff et dirigeants décident toutefois de mettre la poussière sous le tapis. Le 22 mai, dans une interview donnée au Dauphiné Libéré, Xavier Garbajosa fait un mea-culpa et admet qu’il doit "donner de l’amour" à ses joueurs, qu’il doit "devenir meilleur" et qu’il vit tout ça avec excès, "comme si ma vie en dépendait." Tout le monde entend sauvegarder l’essentiel et garde le focus sur l’ambition, encore à portée. Car, sur le pré, le LOU garde la main dans sa qualification directe pour les phases finales, ce qui serait une première depuis 2019. C’est l’essentiel et le visible. L’engouement dans la ville est palpable. Le dimanche de Pentecôte, plus de 25.000 personnes assistent au match décisif face à Bayonne. Les plus fins observateurs notent toutefois, la défiance "publique" d’un manager qui demande à deux reprises, avec sa main, de prendre les trois points de la pénalité : les joueurs décident de jouer la pénaltouche.
Le Lou l’emporte, termine 3ème. Sa cote chez les suiveurs grimpe en flèche. Le scénario et les infos qui sortent des vestiaires dessinent le portrait-robot du parfait trouble-fête sur le thème : "et si le groupe s’était mis en autonomie et en ordre de bataille." Rendez-vous est pris pour le dimanche suivant, face à l’UBB avec un barrage à la maison. L’euphorie sera de courte durée puisque les Bordelais viennent gagner leur billet pour les demi-finales. Depuis, c’est rendez-vous en terre inconnue. Seule la journée "barbecue" organisée mardi a égayé cet après défaite. Personne ne sait ce qu’il va advenir de… l’avenir à court terme. Contacté par nos soins, le président Yann Robert se donne quelques jours pour prendre une décision.
Car tout le petit monde du rugby lyonnais attend une fumée blanche après un rapide tour d’horizon opéré en quelques heures par Riadh Djait, formateur indépendant qui a déjà collaboré avec la FFR, qui a écouté les doléances de tous les acteurs en présentiel à Lyon mardi et mercredi. Il doit rendre son "regard" très rapidement afin de fixer tous les acteurs, présents et futurs sur la prochaine saison. "Ce n’est pas un audit comme j’ai pu le lire » avait pourtant rapidement répondu Yann Roubert à RMC Sport, mercredi soir à l’inauguration d’un centre médical dans l’enceinte de Gerland. "Soit il reste et cela veut dire que chacun a mis de l’eau dans son vin, soit il est épaulé par une autre personne, soit il est exfiltré vers l’équipe de France", résume une source bien informée du rugby lyonnais. Laquelle précise, amer, meurtrie et marquée par cette saison à nulle autre pareil, en terme d’émotions : "c’est clair, nous en sommes à un point de non-retour." Pas étonnant alors qu’en privé, Olivier Ginon, patron de GL Events, actionnaire majoritaire du club évoque le nom de Gonzalo Quesada…